L'offensive du nord constantinois, déclenchée le 20 août 1955, et dont le 55e anniversaire sera célébré vendredi, a "brisé l'étau qui étouffait la région des Aurès et donné un nouveau souffle à la Révolution", affirme à Skikda le Moudjahid Ahmed Hafsi, aujourd'hui âgé de 76 ans. Ayant lui-même pris part à une opération menée dans le centre-ville de Skikda dans le cadre des attaques menées ce jour-là, ce Moudjahid souligne que l'objectif était de "porter la Révolution au coeur même des centres coloniaux du Nord-constantinois en ciblant les bases mêmes du système colonial". L'impact des opérations fut "retentissant" dans la mesure où elles ont réussi à donner une forte impulsion à la Révolution, à casser le siège qui frappait la première région des Aurès, à faire tomber le mythe de l'armée française "invincible" et à démentir la propagande coloniale qui tentait de réduire la lutte armée à des "actes de sabotage perpétrés par des brigands et des hors la loi", ajoute Ahmed Hafsi. Agé d'à peine 21 ans à l'époque, ce témoin encore très alerte rappelle que le 19 août 1955, les Moudjahidine sont descendus des maquis, amassé des armes et des munitions et organisé les groupes qui allaient le lendemain barricader les routes et dresser des embuscades à l'ennemi. Des petits groupes de 2 djounoud et de 15 citoyens Chacun des groupes de djounoud (des groupes constitués en fait de deux éléments) était assisté de 15 citoyens pour exécuter les opérations prévues à Skikda. La ville fut ainsi assiégée de toutes parts de la cité Bouabaz à la carrière romaine et de Bab Laouras à Sabaâ Ababar en passant par les quartiers Zafzaf et El-Kébia, précise cet ancien combattant de l'ALN (Armée de Libération Nationale). Si Hafsi se souvient en particulier de l'attaque qu'il avait tenté de mener en compagnie du Chahid Rachid Saker, alors âgé de 18 ans, et de 15 civils contre le siège de la police des renseignements généraux, avenue de la façade maritime près du Palais Vert. Son groupe arrive vers midi sur le site de Bab Laouras mais les accrochages, dit-il, avaient débuté déjà vers 10h00 à la cité Zafzaf à cause d'informations glissées par certains traîtres aux services d'occupation. Parvenu au lieu de l'attaque, "notre groupe essuya des tirs intenses qui devaient contraindre les civils qui nous accompagnaient à fuir dans tous les sens", affirme Si Hafsi qui ajoute que seuls lui-même et Saker sont restés. "Et alors que Saker s'apprêtait à lancer la bombe artisanale qu'il transportait, j'ai réussi à abattre de deux balles dans le ventre un policier français qui se lançait sur nous. Ce fut la première personne que je tuai après trois mois dans les maquis", lâche-t-il avec une profonde émotion. Les rafales d'une mitrailleuse placée sur le toit de l'hôtel de ville "devaient nous obliger à nous retrancher", affirme Si Hafsi, ajoutant que pendant que Saker fuyait vers le port, il se retira lui-même du côté du Palais Vert où il croisa deux policiers sur lesquels il ouvrit le feu, tuant l'un et blessant l'autre avant de se replier vers la montagne. Le vieux Moudjahid se souvient également que le 20 août 1955 était un samedi, soit un jour de week-end coïncidant notamment avec le changement des gardes à l'intérieur des casernes, le débarquement d'un bateau de voyageurs venu de France et la tenue du marché de Skikda qui réunissait les colons de la région. Atroces représailles Conscientes de la gravité de la situation, les forces d'occupation assiégèrent la ville et ouvrirent le feu sur tous les algériens transformant la cité en une ville fantôme. Les attaques menées par les éléments de l'ALN et la population permirent de "détruire plusieurs avions de combat qui se trouvaient à l'aéroport, le saccage d'importantes infrastructures et l'élimination d'un nombre importants de soldats ennemis", témoigne Si Hafsi. En représailles à ces assauts audacieux, l'armée d'occupation lança de vastes opérations de répression et de rafles. Plusieurs mechtas furent complètement incendiées et beaucoup de villages pilonnés sans merci. Les européens ont été aussitôt armés et créèrent des milices qui assassinèrent un grand nombre de civiles désarmés. La plus horrible de ces exactions fut le massacre collectif perpétré le lendemain contre des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants rassemblés au stade de Philippeville (nom colonial de Skikda). Plus de 12.000 algériens périrent dans les massacres commis par l'armée et les milices de l'occupation à la suite de ces assauts, affirme le septuagénaire, contenant difficilement son émotion.