«Moussem Arbiâe », un ensemble de rituels antiques pour accueillir le printemps, est encore célébré, à des degrés divers, dans toute l'Algérie, à en croire les témoignages locaux recueillis. Cette célébration populaire allie les aspects festifs et ludiques à la recherche d'une revivification autant spirituelle que corporelle et s'étale du 28 février au 14 mars, période charnière entre l'hiver (Tagrest) et le printemps (Tafsuth) du calendrier agraire amazigh. Dans les grandes villes où le béton a envahi les espaces, jadis dévolus aux divertissements bucoliques, et où seules quelques spécialités culinaires annoncent les beaux jours, le souvenir demeure vivace d'un temps ou l'on quittait en masse les agglomérations pour aller "à la rencontre du printemps". A Jijel, aux premiers appels du coucou, les lâchers de taureaux sur les pentes verdoyantes des Béni-Caïd précédent ces grandes excursions familiales vers les tombeaux des marabouts s'étant distingués, aux siècles précédents, par leur rôle fédérateur des tribus contre l'envahisseur étranger que la belle saison ne manquait jamais de ramener sur les rivages d'Afrique du Nord. A Alger, même halte de la mémoire au mausolée de Sidi-Yahia autour duquel les familles improvisent un campement. Des douches d'eau fraîche puisée sur les lieux alternent avec les prières et les incantations. Sidi Abderahmane et Sidi Mhamed, fondateurs de confréries musulmanes, y sont pareillement honorés. Dans la vallée du Mzab, les grandes "Zyarates" (pélerinages) honorent à ce jour le souvenir de "la jeune fille aux trois voeux" au lieudit "Ahbès n' tezewt" (le barrage de la jeune fille) de Ghardaïa mais également à Bounoura et Melika, autres villes de la pentapole. Les autres haltes sont le "Mqam" (petit monument blanchi à la chaux) de Baba Saâd (Ghardaïa) --dont la puissance de la foi a, dit-on, détourné le cours de l'oued Mzab-- et la placette consacrée au Cheikh Hamou Oulhadj, concepteur de génie du système hydraulique du Mzab au 17e siècle. A Constantine, à l'issue d'un jeûne de 10 jours, la "Nechra" (retraite et pèlerinage) mène encore les femmes de la vieille cité au mausolée de Sidi Mohamed Loghrab, marabout venu du Maroc au 15e siècle. Après une offrande de "Tamina" (poudre de céréales préparée avec du beurre et du miel) aux tortues du bassin appelé "Borma", des sacrifices sur le djebel Boulahbel précèdent le repas servi aux "Khouans" (membres de confréries religieuses) venus de différentes régions du pays. Ces escapades collectives s'assortissent un peu partout de joutes, tournois et courses équestres ou camelines. Les chants et poésies se déclament parfois sur des balançoires, comme à Jijel ou à Tlemcen. Fleurs et mets de printemps En cette période à laquelle les provisions de l'année ("Aoula") sont épuisées, les familles recherchent une "régénération du sang" et allientaux bénéfices du grand air, les vertus du monde végétal. Les couscous et pâtes à pain sont mélangés de lavande sauvage (Halhal) dans l'Algérois et d'origan (Zaâtar) à Jijel, tandis que dans la vallée de la Soummam, des racines (Adheryes) réputées dépuratives sont rajoutées au bouillon du couscous. "Ayernni", purée de racines et "Arbit" (soupe aux herbes sauvages) sont incontournables à Jijel, alors qu'en grande Kabylie et dans l'Algérois c'est le moment des "Taqfalt", couscous aux légumes frais. Les "Tikourbabines" (boulettes de semoule aromatisée de menthe et coriandre) se préparent en Kabylie et dans l'Algérois. A l'Est, El bradj (losanges aux dattes) sont préparées et accompagnées de "Leben" (petit lait). Le "R'fis Tounsi" (Tamina aux dattes) et autres crêpes et beignets sont également servis lors de goûters en plein air sur les berges du Rummel. Et de même que le printemps a ses mets, il a ses fleurs, dont l'emblématique narcisse s'offrant sur les étals et appelé "Belliri" dans l'est algérien, "Akhanchar Enbi" ou "Khnounet Enbi" dans d'autres régions. Plus tard, la fleur d'oranger et la rose de Damas (Rosa damascena) sont cueillies dès l'aube "pour que leur parfum ne s'envole pas" comme le soulignent les vieux Constantinois. S'ouvre alors la période de distillation des eaux de fleurs, autre spécialité des beaux jours.