L'Assemblée nationale bukinabè s'apprête à examiner jeudi un projet de loi visant à modifier la Constitution permettant au président Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat en 2015, alors que l'opposition a mobilisé près d'un million de manifestants cette semaine contre la démarche. Les syndicats ont appelé à une journée nationale de grève mercredi et des personnalités de l'opposition ont demandé au peuple de bloquer le Parlement jeudi pour empêcher le vote. Cet appel à la grève était peu suivi dans la journée à Ouagadougou, au lendemain d'une manifestation historique émaillée de violences contre le projet de révision constitutionnelle permettant le maintien du pouvoir du président. A 9h30 (locales et GMT), seulement quelques centaines de personnes, dont beaucoup tenaient des drapeaux rouges - la couleur des syndicats -, s'étaient regroupées dans le centre-ville pour répondre à l'appel des syndicats et de la société civile, regroupés au sein de la Coalition nationale contre la vie chère, selon les médias. Jeudi dernier, les parlementaires ont voté à une écrasante majorité (98 voix pour, 28 contre, 1 absent) l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée le 30 octobre du très controversé projet de loi gouvernemental portant sur la révision de la Constitution. Ce projet a pour objectif de modifier l'article 37 de la Loi fondamentale, qui interdit au chef de l'Etat, au pouvoir depuis 27 ans, de briguer un nouveau mandat à la prochaine élection présidentielle prévue en novembre 2015. Dans sa nouvelle mouture, le président serait "rééligible deux fois", au lieu d'une actuellement. Si, la convocation d'un référendum constitutionnel est jugée "d'une légalité sans faille", par le porte-parole du gouvernement, le pas n'a pas a été accueilli favorablement par l'opposition. Cela interpelle justement Bénéwendé Sankara et Ablassé Ouédraogo, deux icônes de l'opposition et chefs de partis. "Face à ce qui n'est pas acceptable, nous interpellons le peuple (et l'invitons) à prendre ses responsabilités", a déclaré Me Sankara, qui "encourage" l'idée d'un "blocus" du Parlement le jour du vote, appelant "le peuple" à "libérer" les députés sans "violence" ni "haine". --Echec du dialogue avec l'opposition L'hostilité à une révision constitutionnelle au Burkina Faso remonte au mois d'août dernier lorsque des dizaines de milliers de personnes avaient manifesté à Ouagadougou contre une possible consultation populaire. Une montée de fièvre qui avait, notons-le, poussé le chef de l'Etat à instaurer en septembre un dialogue entre opposition et majorité, qui a pris fin début octobre sans que les deux parties ne puissent s'entendre au sujet de la révision de l'article 37. C'est en effet ce statut quo qui a donné lieu à de nouveaux rebondissements sur le terrain. Des dizaines de milliers d'opposants à une révision constitutionnelle qui permettrait le maintien au pouvoir du président burkinabè se sont massivement mobilisés mardi à la capitale, l'opposition revendiquant un million de manifestants. "Notre marche est déjà un succès énorme, phénoménal", a affirmé Zéphirin Diabré, le chef de file de l'opposition. La manifestation de mardi, fait suite à l'appel de l'opposition, contre ce qu'elle appelle le "coup d'Etat constitutionnel" mené par le gouvernement. Bénéwendé Sankara a aussi dénoncé le "forcing" du pouvoir pour "réunir les trois- quart de députés en faveur de la révision constitutionnelle", dénonçant des cas de corruption ou le contrôle des votes des députés proches du régime. Si le projet de loi est voté à la majorité simple (64 voix sur 127), un référendum sera organisé. Si trois quarts des députés, soit 96 d'entre eux, se prononcent pour, la Loi fondamentale sera automatiquement modifiée, sans consultation populaire. "Chaque député du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti du président) doit montrer son bulletin à son voisin avant d'aller le mettre dans l'urne", a expliqué Roch Marc Christian Kaboré, ex-président de l'Assemblée nationale passé dans l'opposition. "Le vote n'a aucun secret au CDP. Le vote est contrôlé", a estimé mardi cet ancien très proche de M. Compaoré. "Risques d'une discorde" Au Burkina, ce projet de loi suscite l'hostilité de l'opposition, d'une grande partie de la société civile et de nombreux jeunes - plus de 60% des 17 millions d'habitants ont moins de 25 ans et n'ont jamais connu d'autre dirigeant. La modification de l'article 37 a permis d'ouvrir la voix aux manifestations, avec une surenchère verbale des deux camps et des risques de dérapages. L'opposition et à la société civile a prôné la "désobéissance civile", comme mode d'emploi, elles lancent désormais "ultimatums" et enchaînent "mises en garde" au pouvoir, demandant la "démission" du président, accusé de viser le "pouvoir à vie". Réactions étrangères Kompaoré qui jouit d'une solide réputation à l'étranger n'a pas eu le soutien de cette dernière. La France, ancienne puissance coloniale a critiqué la décision du Burkina Faso d'engager un processus la modification constitutionnelle, et réitéré "son attachement au respect des principes définis par l'Union africaine sur les changements constitutionnels visant à permettre aux dirigeants de se maintenir au pouvoir. Washington a aussi exprimé mardi sa préoccupation sur le projet de révision constitutionnelle. Les Etats-Unis "sont inquiets de l'esprit et des intentions de ce projet de loi", a déclaré la porte-parole du département d'Etat, Jennifer Psaki, appelant "toutes les parties, à ne pas céder à la violence et à débattre de manière pacifique". Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir à la suite d'un coup d'Etat en 1987, a déjà effectué deux septennats (1992-1998 et 1998-2005), et il terminera fin 2015 son deuxième quinquennat (2005-2010 et 2010-2015). Il est un partenaire majeur de la communauté internationale en Afrique, avec un rôle-clé de médiateur dans plusieurs crises, notamment dans la bande sahélienne. Le putsch en 1987 avait été marqué par l'assassinat - jamais élucidé- du président Thomas Sankara, icône du panafricanisme. Compaoré a rétabli le multipartisme en 1991 et a déjà modifié à deux reprises l'article 37 de la Constitution, en 1997 puis en 2000, pour pouvoir participer aux élections. En 2011, son pouvoir avait vacillé à la suite d'une vague de mutineries dans l'armée.