Les chercheurs en histoire Hassan Remaoun et Mohamed Lahcen Zeghidi ont appelé "à continuer à faire pression" sur la France pour reconnaître ses "crimes contre l'humanité" perpétrés durant sa présence en Algérie et pour avancer dans les dossiers encore en suspens entre les deux parties. Dans une déclaration à l'APS à l'occasion de la célébration de la fête de l'indépendance, MM. Remaoun et Zeghidi ont également souligné l'importance de la restitution des archives de l'Algérie pour l'écriture de l'histoire et la sauvegarde de la mémoire collective du peuple algérien. Interrogé sur le travail des commissions mixtes mises en place entre les deux pays et inhérentes aux dossiers des archives, des disparus et des indemnisations des victimes des essais nucléaires, l'universitaire et chercheur en histoire au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d'Oran, M. Remaoun estime que celui-ci permettra "de déblayer le terrain", en même temps, cependant, qu'il fera "gagner du temps". "Or, tout le monde n'est pas obligé de gagner du temps. Du côté algérien, nous abordons la question de la façon qui consiste à continuer à faire des pressions", observe-t-il, citant les "besoins" en reconnaissance et en dédommagements des victimes des essais nucléaires perpétrés par la France coloniale dans le Sud algérien. Qualifiant cet épisode de "grave préjudice" et de "crime contre l'humanité", le spécialiste insiste sur l'obligation de "reconnaissance" par l'ex-empire colonial des atrocités commises dans ses anciennes colonies, dont l'Algérie. Le dossier des victimes des essais nucléaires "doit être éclairci" pour répondre aux attentes des victimes de ces essais, fait-il observer, notant les "horreurs" particulières subies par cette population du fait de ces essais dévastateurs et dont les conséquences sont toujours endurées. "L'Algérie se doit également de tout faire pour récupérer les 32 crânes exposés dans un musée en France pour leur offrir la sépulture et l'honneur auxquels ils ont droit", insiste-t-il, par ailleurs, encourageant les actions menées dans ce sens par la société civile, aussi bien en Algérie qu'en France. Il déplore le fait d'exposer ainsi des crânes humains comme s'il s'agissait de "trophées de guerre", renseignant sur des "traditions coloniales" et un esprit esclavagiste visant à montrer que les colonisés sont des personnes "différentes", de même qu'à afficher une certaine "supériorité" du colonisateur. Abordant le dossier des archives dont "l'enjeu est de taille", M. Remaoun considère que "le problème est de savoir si l'Algérie pourra les récupérer un jour". Il s'agit bien d'une "bataille de souveraineté" que le pays se doit de mener, ajoute-t-il, relevant que la question doit être appréhendée dans son ensemble, dés lors que tous les documents se rapportant à la période coloniale ont leur importance. "Dans une région sismique comme la nôtre, même les archives liées à l'architecture et à l'urbanisme peuvent être utiles", explicite-t-il, faisant observer qu'il appartient à l'Algérie d'être "plus offensive" dans ce domaine, et "ne pas attendre que la France daigne rendre publiques toutes les archives, celle-ci ayant forcément des choses à cacher et des personnes à préserver". "L'histoire s'écrit et se réécrit en permanence, dés lors que chaque nouvelle génération a tendance à l'écrire selon de nouvelles visions et sources de recherche. Le processus de réécriture nous pousse à faire une déconstruction plus grande avec les mémoires, de sorte à produire quelque chose qui puisse nous satisfaire", a-t-il clarifié, à ce sujet. Sur la portée de la date du 5 juillet 1962, l'universitaire et chercheur souligne que celle-ci a "démontré comment on pouvait obtenir la renaissance de la nation algérienne après que le peuple ait pris en charge sa destinée". M. Remaoun plaide, à ce propos, pour "une utilisation de notre passé comme un stimulant pour avancer et non pas comme une rente qu'il suffit de consommer", notant que les générations actuelles sont en train de "comprendre" cela, "tout en ayant naturellement leurs propres exigences et enjeux". La France ne se condamnera pas d'elle-même Pour sa part, le professeur en histoire à l'Université d'Alger 2, Mohamed Lahcen Zeghidi, considère que contrairement à la Tunisie et au Maroc, la France n'a toujours pas soldé son contentieux historique avec l'Algérie, et ce, en raison de "la perception de conquérant" qu'elle continue d'entretenir, de génération en génération. Il estime, s'agissant de la question des archives, que si la France a consenti, depuis 2012, à ouvrir ses archives et à les mettre à la disposition des Algériens, elle ne le fait que pour les documents "non compromettants" pour elle, à savoir administratifs, diplomatiques, divers rapports, etc. L'historien est convaincu que l'ancien colonisateur "ne pourra pas remettre de ses propres mains ce qui pourra le condamner, ce qui l'obligera à réécrire l'histoire qu'il a enseignée à ses générations depuis plus d'un demi-siècle laquelle met en relief les valeurs de l'humanité". M. Zeghidi est d'avis que "notre devoir en tant qu'Algériens est de dépoussiérer, d'organiser et de divulguer ce dont nous disposons comme patrimoine d'archives", citant celui se trouvant au niveau du ministère des Moudjahidine, des Archives nationales, des institutions concernées et autres archives issues de la mémoire orale du peuple algérien. Sur la symbolique de la fête de l'indépendance, il relève qu'eu égard à l'environnement international et au contexte de crises qui caractérise les pays de la région, l'Algérie se doit de "revenir aux sources de la culture ayant donné naissance au mouvement national". Il s'agit, à ses yeux, "non seulement de préserver ces valeurs mais de s'y accrocher, en priorité celle inhérente à l'unité nationale avec toutes ses dimensions et que l'on ne peut préserver qu'au moyen d'une autosuffisance à tous points de vue", conclut-il.