La mauvaise gestion du foncier immobilier local est la conséquence directe des choix non judicieux faits par les collectivités locales et de l'absence d'une approche pluridisciplinaire dans l'élaboration des instruments d'urbanisme, estime un expert dans les questions immobilières, Lotfi Ramdani, dans un entretien à l'APS. "Le processus de recomposition des territoires urbains, induit par l'effort colossal consenti par l'Etat depuis l'année 2000, dont l'intention était de réduire les disparités régionales et de moderniser le pays, ne s'est pas accompagné par une maîtrise par les collectivités locales (APC et APW) de la croissance urbaine rapide induite par ces investissements", observe-t-il. Ce qui s'est traduit par la prolifération de l'habitat précaire, les cités dortoirs et l'absence d'équipements d'accompagnement. Face à l'importance de la demande sur le logement qui s'est accumulée depuis les années 80 et avec des ressources financières locales insuffisantes, les APC et APW ont cédé du terrain aux pratiques informelles qui n'ont cessé de prendre de l'ampleur, au point où elles sont devenues banales, affirme M. Ramdani. A cet effet, cette banalisation de l'habitat précaire, qui a fini par désorganiser nos villes, devenues ingérables, résulte de "la démarche adoptée par nos collectivités territoriales, qui a été souvent synonyme de laxisme et d'improvisation". D'ailleurs, le nombre important des dossiers déposés dans la cadre de la loi 08-15 relative à la mise en conformité des constructions confirme ce constat, fait-il valoir. Plus encore, même la crise des transports urbains que connaissent nos villes est d'ordre urbanistique, puisqu'elle réside dans les retombées de cette forme urbanisation sur le développement des villes du pays. Par ailleurs, cet expert juge qu'en matière d'accès au foncier urbain, du choix de terrain et d'implantation des projets, l'action des collectivités locales ne s'inscrit pas souvent dans le respect des normes urbanistiques, édictées par les Plans directeurs d'aménagement et d'urbanisme (PDAU) et les Plans d'occupation des sols (POS), pourtant adoptés par les APC et APW. Il rappelle, cependant, que pour ce qui concerne la prérogative d'attribution du foncier public, elle ne relève plus des attributions des APC depuis 1990, date de la promulgation de la loi d'orientation foncière. Mais il relève l'enchevêtrement des prérogatives et l'imbrication des échelles de décision de l'action publique en matière d'urbanisme "qui n'ont pas favorisé l'émergence d'une politique urbanistique efficace et cohérente", et ce, sans compter l'insuffisance des ressources financières chez un grand nombre de communes et de wilayas, rendant difficile toute gestion dans ce domaine. Concernant le rôle des urbanistes et des architectes, M. Ramdani explique que le modelage du cadre de vie de millions d'habitants, qui représente une "très lourde "responsabilité", ne peut relever des seules prérogatives des collectivités locales. Cependant, il constate une quasi absence de concertation entre ces professionnels et les APC et APW dans la gestion de l'urbanisme local. De par leur responsabilité dans l'élaboration des instruments d'urbanisme, les APC et APW sont censées réunir les différents acteurs de l'aménagement de la ville dans le sens de la concertation, insiste-t-il. La révision de la loi sur l'urbanisme, une opportunité pour adopter une approche pluridisciplinaire Au sujet de la révision de la loi relative à l'aménagement et à l'urbanisme, annoncée récemment par le ministre de l'Habitat, de l'urbanisme et de la ville, Abdelwahid Temmar, cet expert avance que cela constitue une opportunité pour adopter une approche pluridisciplinaire dans l'élaboration des instruments d'urbanisme impliquant non seulement les urbanistes et les architectes mais aussi toutes les autres disciplines en relation avec la vie urbaine touchant au paysage, la biodiversité, les formes urbaines, les déplacements, l'énergie, l'eau, le contexte social, le climat et géographie, les déchets, les bruits et nuisances, le sol et matériaux... Selon lui, les meilleurs projets résultent d'équipes pluridisciplinaires à compétences multiples, "seule réponse cohérente pour garantir la qualité de la production des instruments d'urbanisme et de la conception et de la conduite de tout projet urbain". Afin de mettre fin à l'anarchie urbaine, M. Ramdani préconise, tout d'abord, de rompre avec les pratiques actuelles lesquelles ont réduit les instruments d'urbanisme à de simples outils juridiques dont la fonction première est de régulariser des états de fait, loin de leur rôle d'instrument de planification. Toute politique de gestion urbaine, fait-il valoir, suppose une décentralisation réelle et un renforcement des pouvoirs locaux en leurs capacités de gestion puisqu'ils sont les mieux placés pour identifier les besoins de leurs administrés. Pour cet expert, la sphère locale est la plus appropriée pour ébaucher une sorte de contrat social urbain à travers un compromis entre des logiques techniques et des logiques sociales. Les instruments d'urbanisme, à leur tête le PDAU, sont "le fil conducteur" de la politique de développement de la ville, enchâine-t-il, en soulignant qu'il n'en demeure pas moins que leur persuasion dépend du sérieux des études et du débat participatif de tous les acteurs urbains lors de son approbation. Les codes de la commune et de la wilaya attribuent de larges prérogatives aux APC et APW en matière d'urbanisme, "c'est à ces dernières d'assumer leur responsabilité". L'Etat doit, selon lui, "assumer son rôle de contrôle et de dissuasion afin d'extirper le foncier immobilier, objet de toutes les convoitises, de la sphère spéculative et de le réserver uniquement pour améliorer le cadre de vie des citoyens". Mais les citoyens, note-t-il, doivent également s'impliquer davantage dans le cadre de la démocratie participative consacrée par la Constitution révisée, et ce, dans la gestion de leurs villes, en sus de leur rôle décisif dans le choix des élus locaux au niveau des APC et APW lors des élections locales prévues le 23 novembre.