Le politologue Français Bertrand Badie a auguré jeudi à Alger un rôle déterminant des pays du Sud dans le jeu international, marqué actuellement par la disqualification des grandes puissances et leurs échecs répétés à travers le monde. "La puissance est disqualifiée, elle est devenue négative", a estimé ce spécialiste en relations internationales lors d'une conférence qu'il a animée à l'Institut national des études stratégique globales (INESG), citant les exemples des Etats-Unis au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, de la France en Libye et au Sahel et de la Russie en Afghanistan et en Syrie. La nature de l'ordre international est aujourd'hui dépassée, mais les grandes puissances ne veulent pas reconnaitre les faits, a-t-il avancé, soulignant que "la puissance négative continue toujours à s'affirmer malgré les échecs répétés". Pour M. Badie, le monde post-Guerre froide s'est profondément transformé, à l'instar du déplacement du champ de bataille de l'Europe vers les pays du Sud, le changement de la nature de la guerre de l'interétatique à l'intra-étatique et enfin les belligérants ne sont plus les Etats mais des seigneurs de guerre et les milices. C'est dans ce contexte que le conférencier a présagé un rôle déterminant pour les Pays du Sud sur la scène internationale, d'où le thème de la conférence "Quand le Sud réinvente le monde, l'impuissance de la puissance" et qui est également le titre d'un livre qui devrait apparaitre aujourd'hui en France. Il a expliqué que le passage de la guerre interétatique à la guerre intra-étatique implique que la guerre est l'effet de la décomposition des sociétés et que la puissance n'est plus à l'origine du jeu international, notant au passage que le concept de "société guerrière" est malheureusement d'actualité (entre 250.000 à 400.000 enfants soldats en Afrique). Dans cet ordre d'idées, le conférencier à estimé que les grandes puissances ne peuvent rien faire contre ce nouveau type de conflictualité, malgré qu'elles pensent toujours le contraire en intervenant militairement, en Somalie, en Libye, en Irak, en Afghanistan, au Mali...etc. "Y a-t-il un seul exemple où la puissance a pu arrêter ces formes nouvelles de conflictualité? Y a-t-il un seul exemple où la puissance a pu remplacer le désordre, causé par la conflictualité nouvelle, par l'ordre? s'est-il interrogé dans un ton ironique. Sur cette base, M. Badie a jugé que la puissance est aujourd'hui "négative", et qu'on a passé de la "power politics à la witnesse politics" (de la puissance politique à la faiblesse politique). C'est pourquoi les pays du Sud sont plus que jamais appelés à retourner cette situation à leur avantage. Il a expliqué que "si la violence des faibles est si efficace aujourd'hui, leur capacité constructrice le sera encore plus, d'où l'importance des demandes de l'Afrique et de l'Asie relatives à de la redéfinition de la gouvernance globale". "Le Sud qui n'a jamais été en situation de puissance, donc n'a pas gouté à son amertume et bien échappé à sa pesanteur, peut définir une nouvelle grammaire des relations internationales", a-t-il affirmé. Il a expliqué que le Sud pourra définir les concepts des relations internationales différemment des vieilles puissances en termes de souveraineté, de territorialité, de nation, de construction régionale...etc. "Il y a là une façon neutre de regarder le monde". Il a cité, dans ce sens, l'approche chinoise pour jouer un rôle dans le système international, le qualifiant d'"efficace". Le modèle chinois est une "autre façon de gérer le monde et ça peut être la base d'un redémarrage de quelque chose de nouveau", a-t-il conclu.