« Comment pouvez-vous vous en laisser détourner ?...Ils te regardent de leurs propres yeux, sans rien voir cependant, frappés qu'ils sont de cécité.... » (Mawaqif 16) , Emir ‘Abd al-Qâdir Ibn Muhyî al-Dîn Kitâb al-Mawâqif fî altaçawwuf al-wa'dh wa al-irshâd 3 vol.., 2e éd. Revue et établie à partir des manuscrits qui se trouvent à la bibliothèque Zahiriya de Damas
Tout le travail du grand patriote allemand Carl Schmitt était d'élaborer des outils conceptuels (c'était son obsession récurrente dans tous ses ouvrages) pour démasquer les mythes, de regarder derrière les façades, de combattre les fictions, pour appréhender les intérêts réels et cachés en lice dans tout rapport juridique.
Derrière les facteurs idéaux abstraits se cachent des intérêts concrets. C'est vers eux qu'il convient de se tourner pour appréhender les phénomènes juridiques dont nous sommes enlacés et prisonniers.
En tant que pourfendeur du pouvoir et de la décision comme fait de souveraineté ultime, Schmitt ne pouvait en effet que s'opposer à des concepts métaphysiques, tels que ‘'la justice'', ‘'l'équité'', ‘'souverainisme'',''la personnalité juridique'', ‘'la paix'', ‘'la guerre juste'' etc .
Ces concepts n'ont pas de réalité propre. Ils ne signifient rien en dehors d'un contexte politique où ils seront embrigadés par des personnes particulières et des Etats pour des causes concrètes et des intérêts situés.
Ce pseudo-ordre mondial est sous-tendu subrepticement par des intérêts impérialistes plus ou moins pudiquement masqués derrière de lénitives façades universalistes, à la fois creuses et fictives. Nous vivons une drôle d'époque qui suppute en effet partout l'arrière pensée et le non dit (confrontation Russie-USA en Syrie) ; l'on vit du désir de ne pas être dupe ; l'obsession de l'arnaque est omniprésente.
Quoi qu'il en soit, le travail essentiel du scientifique doit être de serrer de près les visées particulières et de mettre à nu les mobiles réels du discours. Là encore, le concret l'emporte sur l'abstrait. L'intérêt concret est le mobile agissant du politique ; les règles relèvent du discours abstrait dont on se drapera volontiers pour cacher les fins réelles.
Cette « analyse critique » du droit, que l'on retrouve dans les Ecoles marxistes ou les Critical Legal Studies, dont la place n'a pas été négligeable au XXe siècle, a une valence de modernité indéniable.
Rappel Nos catégories de perception et d'appréciation, celles que nous employons ordinairement pour comprendre les représentations géopolitiques du monde et le monde lui-même, sont nées de ce que nous rapportent les intellectuels des pays impérialistes de l'extérieur (ex: le judéo-américain Malk Haim). Cet «ordre du discours » (au sens Foucault du terme) --Ils parlent dans leurs causeries, de ce que nous aimons entendre-- n'est pas le même de ce qui est produit à l'intérieur par leurs Think Tanks , leurs états-majors , ne reflète pas leurs véritables intentions. Je vais vous en parler, comment à évoluer la « révolution géopolitique » et pour quel but. Je tenterai de déconstruire tout ce discours, par une analyse historique fine et bien articulée. L'impérialisme a produit un discours ‘'cohérent'', des structures à travers lesquelles nous percevons ses actions : « démocratie », « droits des femmes », « droits de l'homme »...[Tout le travail du grand patriote allemand Carl Schmitt était d'élaborer des outils conceptuels (c'était son obsession récurrente dans tous ses ouvrages) pour démasquer les mythes, de regarder derrière les façades, de combattre les fictions, pour appréhender les intérêts réels et cachés en lice dans tout rapport juridique. Derrière les facteurs idéaux abstraits se cachent des intérêts concrets. C'est vers eux qu'il convient de se tourner pour appréhender les phénomènes juridiques dont nous sommes enlacés et prisonniers. En tant que pourfendeur du pouvoir et de la décision comme fait de souveraineté ultime, Schmitt ne pouvait en effet que s'opposer à des concepts métaphysiques, tels que ‘'la justice'', ‘'l'équité'', ‘'souverainisme'',''la personnalité juridique'', ‘'la paix'', ‘'la guerre juste'' etc . Ces concepts n'ont pas de réalité propre. Ils ne signifient rien en dehors d'un contexte politique où ils seront embrigadés par des personnes particulières et des Etats pour des causes concrètes et des intérêts situés. Ce pseudo-ordre mondial est sous-tendu subrepticement par des intérêts impérialistes plus ou moins pudiquement masqués derrière de lénitives façades universalistes, à la fois creuses et fictives. Nous vivons une drôle d'époque qui suppute en effet partout l'arrière pensée et le non dit (confrontation Russie-USA en Syrie) ; l'on vit du désir de ne pas être dupe ; l'obsession de l'arnaque est omniprésente. Quoi qu'il en soit, le travail essentiel du scientifique doit être de serrer de près les visées particulières et de mettre à nu les mobiles réels du discours. Là encore, le concret l'emporte sur l'abstrait. L'intérêt concret est le mobile agissant du politique ; les règles relèvent du discours abstrait dont on se drapera volontiers pour cacher les fins réelles. Cette « analyse critique » du droit, que l'on retrouve dans les Ecoles marxistes ou les Critical Legal Studies, dont la place n'a pas été négligeable au XXe siècle, a une valence de modernité indéniable.] Cette façon de rendre ‘'intelligible'' le sens du monde à travers la géopolitique et les actions impérialistes , le rend « incongruent» , c'est-à-dire qu'il est plein de contradictions du point de vue des catégories, des schèmes de perception tacitement inscrits dans les cerveaux et les aspirations des peuples libres et opprimés à la fois que nous sommes. Par exemple, un discours, qui a disparu totalement, des schèmes de pensées de nos ‘'politiques'' Algériens est le discours Schmittien (Schmitt ce grand juriste et philosophe, dans la grande tradition de l'école du droit public allemand) dont la théorie la plus connue fait de la distinction ami-ennemi le fondement de toute politique. Cette absence de distinction, de détournement, un processus d'aliénation a rendu notre Politique étrangère, molle, sans âme, sans perspective, dépendante totalement de l'humeur d'un pouvoir compradore laquais de l'impérialisme. La Géopolitique vise à identifier des acteurs géopolitiques qui définissent des objectifs sous tendus par des actions concrètes : Acteurs géopolitiques humains (Histoire, Ethnologie, Analyse économique) ; Acteurs géopolitiques physiques (Géographie). Ces 2 acteurs humains et physiques interagissent dans des systèmes étatiques mus par des intérêts vitaux. Pour préserver et pérenniser ces intérêts vitaux, les Etats définissent des politiques qui s'incarnent et s'articulent autour de 3 stratégies : Militaires, Economiques et Diplomatiques (aussi idéologique et juridique). Sans oublier de mettre le doigt sur une réalité tangible, que les enjeux mondiaux actuels sont liés à la captation, l'exploitation et la circulation des richesses : La Géo-économie. La Géopolitique conserve sa grille de lecture étatique, tandis que la géo-économie souhaite s'inscrire dans le paradoxe d'un ordre étatique confronté à une mondialisation extrêmement puissante : « L'Etat, ancré dans son territoire, doit rendre celui-ci aussi attractif que possible. Il en résulte bien une schizophrénie de l'Etat, celui-ci devant en même temps défendre et ouvrir ses frontières, garder une identité et être perméable à la prolifération des innovations ».(Brezinski). Les Etats ont compris que leur niveau de puissance dépendait aujourd'hui de leur « insertion gagnante » dans l'économie monde. Cette situation les oblige à S'ouvrir sans s'affaiblir. D'où l'importance de l'intelligence économique. Mais à quoi sert cette puissance acquise par l'économie ? A accroitre le sentiment de sécurité, la stabilité des frontières, la protection de la population (chômage, famine, tensions sociales, ‘'printemps'' commandités de l'étranger, etc..) et du territoire des Etats ; ainsi, la richesse que les Etats escomptent de leur positionnement stratégique-économique, de leur capacité à échanger et produire, nourrit la puissance politique. Vladimir Poutine clamait dernièrement, significativement à la conférence de Shanghai en 2015, « le PIB commun de la Chine et de l'Inde en parité du pouvoir d'achat dépasse déjà celui des Etats-Unis. Le PIB des Etats du groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) évalué selon le même principe dépasse le PIB de l'Union européenne tout entière....le potentiel économique de ces nouveaux centres de la croissance mondiale sera inévitablement converti en influence politique ». _______________________________ L'impérialisme selon Gramsci-- avait besoin et a toujours besoin, de cette couche d'intellectuels géopoliticiens qui lui apportent homogénéité et conscience de sa propre fonction. Nous les appellerons les fondateurs de la géopolitique.
L'HISTOIRE ET LES FONDATEURS
Origines de la géopolitique.
Née au tournant du XIXe et du XXe siècle en Europe. La géopolitique est issue de la rencontre de trois phénomènes: -le rationalisme scientifique de l'époque moderne et le succès du darwinisme social ; -les développements d'une analyse géographique de plus en plus dynamique et, partant, de plus en plus politique; -la volonté d'expansion des principales puissances impérialistes industrielles européennes, et singulièrement de l'Allemagne qui a juste raison a réussi à conquérir, dominer, triompher sur tous les marchés (Voir les tableaux de Paul Bairoch, T3, victoires et déboires page 173 à 450). Jeune Etat tout juste unifié par la Prusse en 1871, à la recherche d'un chemin de puissance nouveau. Les rivalités économiques inter impérialistes seront exacerbées jusqu'à leur paroxysme-- la France et l'Angleterre écrasées par la suprématie économique et industrielle allemande-- pour déboucher finalement sur les deux guerres mondiales. La géographie classique décrivait un territoire. Le facteur territorial a été placé au cœur d'une analyse de puissance qui a d'abord été descriptive, académique: la géographie politique, puis qui s'est voulue praxéologique, c'est-à-dire science pour l'action: la géopolitique. Censée fournir aux Etats impérialistes une méthode politique de puissance territoriale appuyée sur les permanences de la géographie, la géopolitique en vient fatalement, dans une Europe rejetant « l'équilibre bismarckien », à croiser les préoccupations d'expansion de l'Allemagne, c'est-à-dire, la suprématie économique allemande qu'il fallait détruire. ‘'Aucun discours n'est indépendant de l'époque qui le voit naitre'' Karl Marx: A juste titre, l'idée pangermaniste, prônant au XIXe siècle le rassemblement unitaire de tous les peuples de langue et de culture allemande en Europe, va ainsi investir et enrichir la géopolitique naissante. De cet intérêt très marqué des théoriciens germaniques (un instinct de défense face aux tiraillements inter-impérialistes et à l'hégémonisme colonial de la France et l'Angleterre), la géopolitique héritera la réputation d'une théorie d'abord allemande (ce qui n'est pas tout à fait faux), et un certain nombre de procès d'intentions(les jalousies colonialistes des puissances impérialistes, toujours). Trois écoles principales émergent depuis la naissance de la géopolitique: l'allemande (celle des Geopolitiker), l'anglo-saxonne et la française. Les personnalités intellectuelles fondatrices les plus marquantes de ces trois groupes que nous allons passer en revue, sont Rudolf Kjellen, Friedrich Ratzel, Karl Haushofer, l'amiral Alfred Mahan, Halford MacKinder, Nicholas Spykman, Ces grands noms éclipsent quelque peu la liste impressionnante des autres spécialistes qui ont enrichi le discours géopolitique (les Russes, les français, des Japonais, des Iraniens, un Syrien du début du siècle, auraient pu y figurer), mais ils demeurent cependant représentatifs. Courte représentation de leur œuvre et de leurs motivations proposés ici, par notre large recherche documentaire de première main, raconte une histoire, celle des tribulations et affinements successifs de la méthode géopolitique. L'école allemande Rudolph Kjellen (1864-1922) Né en 1864, Rudolf Kjellen, universitaire suédois, est généralement considéré comme le père de la géopolitique, paternité dont il partage l'honneur (et le fardeau) avec l'allemand Ratzel. Malgré sa nationalité, on le rattache d'ailleurs souvent à "l'école allemande". Auteur, en 1916, d'un ouvrage intitulé ‘'l'Etat comme forme de vie'', il donne son autonomie à la discipline nouvelle - pour laquelle il forme un néologisme - en lui faisant dépasser les limites strictes de la géographie politique, "qui se contente d'observer la planète en tant qu'habitat des communautés humaines en général". Son objectif est d'analyser selon les critères les plus objectifs possible les réussites et les échecs des Etats dans leur quête de puissance, ce qu'il appelle leur "nature profonde". Kjellen meurt en 1922, mais son approche va, en raison de circonstances historiques particulières, rencontrer un écho immédiat en Europe, et particulièrement en Allemagne. Friederich Ratzel (1844-1904) Né en 1844 en Allemagne, Friedrich Ratzel a très tôt beaucoup voyagé. Tenté dans un premier temps par le journalisme, il visite en particulier le continent américain qui lui inspire certaines réflexions sur l'importance de l'espace territorial en tant que facteur de puissance: Ratzel perçoit dès cette époque que la jeune puissance américaine, protégée par deux océans, est promise a la plus brillante destinée en raison des espaces infinis qui s'offrent à son dynamisme et son esprit pionnier. Dans ses travaux de géographie ultérieurs, Ratzel en tire de fortes conclusions quant à l'opportunité d'une expansion territoriale de son propre pays, l'Allemagne, à la fois vieux peuple et jeune nation. En ce XIXe siècle ou l'Europe déborde de ses armes et le progrès fulgurant des techniques et des moyens de communication, de grandes puissances émergent, et d'abord la France et le Royaume-Uni, qui ont une histoire étatique ancienne et stable, et disposent d'un Empire colonial conséquent.
L'Allemagne, tout récemment unie, aboutissement par la force des armes de trois guerres, contre le Danemark (1864), l'Autiche 1866, puis la France en 1870-1871, (suprême humiliation de la France, l'empereur Napoléon III sera emprisonné), par cette guerre victorieuse contre la France, l'Allemagne veut s'élever au niveau de la France et de l'Angleterre. Sa puissance industrielle et sa population nombreuse sont des atouts qui pour Ratzel, nommé en 1886 professeur de géographie à l'Université de Leipzig, doivent trouver un exutoire et un prolongement territorial à leur mesure. Membre de la Ligue pangermaniste qui prône le rattachement au Reich wilhelmien de toutes les régions européennes culturellement allemandes, Ratzel met au centre de sa réflexion le Raum, le sol nourrisseur d'une population. Son ouvrage Der Lebensraum, (L'espace vital), date de 1901. Comme on l'a vu, Kjellen, qui a baptisé la géopolitique, considérait l'Etat comme une forme de vie organique. Admirateur de Darwin et de sa théorie de la sélection naturelle, influencé comme toute sa génération par les travaux du Philosophe soliste Herder, Ratzel va s'inscrire dans la logique de leurs idées pour développer une vision d'accroissement naturel des Etats forts. Pour lui, "L'Etat est l'organisme vivant rassemblant un peuple sur un sol, le caractère de l'Etat se nourrissant de ce peuple et de ce sol". L'Etat, synthèse d'une union entre une communauté et un espace, "est un organisme non seulement parce qu'il articule la vie du peuple sur l'immobilité du sol, mais parce que ce lien se renforce par réciprocité au point qu'ils ne forment plus qu'un et qu'on ne peut plus les penser l'un sans l'autre".(Ratzel) Dans son ouvrage "Géographie politique" publié en 1897, Ratzel débouche sur une stratégie globale d'accroissement territorial de l'Allemagne, justifiée par la non-correspondance entre sa population dynamique, entreprenante et conquérante, et un sol limité. Cette stratégie d'expansion ne doit pas, pour Ratzel, ignorer la dimension coloniale et la projection de puissance: pour accroitre son domaine outremer, l'Allemagne se doit de disposer d'une Marine puissante et moderne, et de points d'appui nombreux, Ratzel contribue à orienter son pays vers l'Asie, en y décelant des plus grandes potentialités commerciales pour l'avenir. On retient généralement de Ratzel ses sept lois gouvernant l'expansion spatiale des Etats (dans deux de ses ouvrages): -la croissance territoriale des Etats suit l'évolution de leur culture; -la taille des Etats augmente avec leur puissance idéologique, commerciale ou économique; -les Etats s'agrandissent par l'annexion d'entités politiques plus petites -la frontière est un organe vivant qui précise le dynamisme territorial de l'Etat; -l'Etat pratique une expansion logique sur des territoires disposant d'atouts vitaux (accès la mer, eau douce, ressources énergétiques); -l'Etat tend à s'étendre sur des voisins qui lui sont inférieurs (Maroc et la RASD); -la tendance à l'annexion des nations les plus faibles a un effet répétitif, celle-ci tendant alors à se reproduire. L'origine "belliqueuse" de la géopolitique est souvent analysée à partir de cette matrice germanique (que va prolonger Haushofer). Mais il faut garder également à l'esprit un contexte plus large. Car cette vision active et pessimiste de la nature des relations internationales correspondait historiquement à la réalité d'un continent européen ou la stabilité des frontières n'avait rien de figé. Lorsque Ratzel énonce ses théories, les recompositions entrainées en Europe par la tourmente de 1789 et les conquêtes napoléoniennes, le fracas de la chute de l'Empire français (l'empereur napoléon III, sera prisonnier des allemands), enfin, sont encore dans toutes les mémoires. Pour les Européens de ce temps, le changement et l'expansion n'étaient pas l'exception mais la norme: les puissances "régulatrices" qu'étaient la Prusse, la Russie et l'Autriche avaient donné l'exemple en se partageant une énième fois la Pologne au Congrès de Vienne en 1815, tandis que l'Angleterre accroissait son Empire aux dépends d'une France ramenée à ses proportions prérévolutionnaires; quant aux Etats-Unis, profitant de la faiblesse d'une Espagne à bout de souffle, ils venaient en 1898 de lui arracher par la force de nombreux territoires, des Philippines à Porto Rico. Le monde et ses frontières étaient mouvants. La géopolitique allemande, quoique grosse de dérives dangereuses, pouvait donc se penser, de son point de vue, comme parfaitement ajustée à l'esprit de l'époque. On notera qu'à la suite du congrès de Berlin de 1885, l'Allemagne de Bismark commencera, en matière coloniale, à suivre une feuille de route clairement "ratzelienne", en Afrique comme dans le Pacifique sud. Ratzel, en définitive, fait de la géographie le critère ultime de son analyse, Il meurt en 1902. Son continuateur allemand le plus célèbre, Haushofer, va ajouter cette grille de lecture une dimension humaine et culturelle plus marquée. Karl Haushofer (1869-1946) Karl Haushofer, militaire et géopoliticien allemand né en 1869, va donner toute sa portée à la discipline géopolitique, à un moment fatal de l'histoire de l'Europe. Chez lui, la géopolitique s'identifie avec le destin de l'Allemagne. Bavarois, Haushofer a quitté l'armée impériale à la fin d'une première guerre mondiale d'où l'Allemagne sort révolutionnée, humiliée et vaincue. Au milieu des ruines du IIe Reich, le ressentiment est grand envers un traité de Versailles (1919), injuste envers l'Allemagne, cristallisant toute la rancœur du peuple allemand envers ce traitement humiliant, marqué par l'opportunisme des vainqueurs, qui prive les Allemands de nombreux territoires, et qui entérine la disparition de leur empire colonial, de leur flotte et de tout ce qui pouvait justifier le rôle mondial de Berlin. Ayant étudié le Japon et son émergence en Asie Pacifique, et s'inspirant des travaux de Ratzel, Haushofer va en tirer une théorie géopolitique impérialiste de restauration de la puissance allemande. Le point de départ de son analyse est emprunté à Ratzel : Les Etats forts, êtres vivants, ont vocation à étendre leur territoire et leurs frontières naturelles. Chez Haushofer le Lebensraum, espace vital à conquérir pour permettre à l'Allemagne de parvenir à l'autarcie économique, devient central. Une théorie qui prend un relai particulier au moment ou l'Allemagne, totalement dépendante de ses importations, subit partir de 1923 la plus effroyable crise économique de son histoire. Haushofer défend également: -à travers la notion de Volkstum, la réunion de tous les peuples de culture allemande à l'Allemagne (Sudètes, Alsaciens, Silésiens, Autrichiens...) -la répartition des responsabilités mondiales en quatre zones d'influence et de puissance autosuffisantes, les pan-Idéens. Selon ce modèle, chaque zone est dominée par un Etat hégémonique: l'Allemagne en Europe, Afrique et Moyen-Orient (pangermanisme), la Russie en Asie (eurasisme), le Japon en Extreme-Orient (panasiatisme) et les Etats-Unis en Amérique (panaméricanisme). En 1937, Haushofer publie Weltmeere und Weltmachte (Mers et puissances mondiales), dans lequel il présente une géopolitique globale des mers comme vecteur de puissance, appuyant ainsi les prescriptions de Ratzel. Haushofer fonde la revue Géopolitique en 1924. Bientôt reçu par Adolf Hitler qui partage ses préoccupations de restauration de la puissance allemande et son pangermanisme, Haushofer lui exposera ses théories sans pour autant jouer un rôle officiel. L'idéologie et ses vertiges géométriques, qui s'accommode mal des irritantes inerties géopolitiques, sépare en effet le professeur à l'université de Munich du chancelier national-socialiste. Un géopoliticien comme Haushofer peut approuver le rattachement de l'Alsace-Lorraine au Reich (principe du Volkstrum), mais il ne peut que condamner l'invasion de l'Union soviétique en 1941, contraire à ses propres théories et contredisant tout bon sens géographique et stratégique. Patriote pangermaniste ayant pour objectif la renaissance de l'Allemagne en tant que puissance, nationaliste conservateur et non nazi, Haushofer aura un destin paradoxal et tragique. Marié à une Juive, leur fils sera exécuté par la Gestapo pour avoir comploté contre Hitler en 1944. Il préférera lui-même se suicider avec sa femme en 1946, après avoir été accusé, de manière sans doute exagérée, d'avoir inspiré toute la politique étrangère du nazisme. La géopolitique demeura de nombreuses années marquée négativement par la figure de ce théoricien dont les analyses recoupaient dans leurs fondements nombre d'intuitions de penseurs anglo-saxons contemporains, mais qui, appliquées à l'Allemagne, son pays, ont croisé l'une des périodes les plus difficiles et tragique de l'histoire. Les géopoliticiens anglo-saxons L'amiral Alfred Thayer Mahan (1840-1914) Les théories d'Alfred Thayer Mahan, amiral américain né en 1840 est contemporain de l'amiral Ratzel, se confondent avec la vocation maritime des Etats-Unis d'Amérique. Il va en effet formaliser, à partir de ses réflexions historiques sur la puissance britannique et de ses observations consécutives au blocus naval des cotes confédérées durant la guerre de Sécession (1861-1865) une véritable théorie du Sea Power, la puissance maritime. Son influence sera immense. Les Etats-Unis actuels font encore reposer les fondements de leur stratégie navale sur les réflexions de Mahan. Ayant achevé leur formation territoriale terrestre, et sans véritables rivaux sur le continent américain, les Etats-Unis apparaissent à la fin du XIXe siècle comme une ile dans le système international. Ils ont atteint, en raison de l'énorme espace dont ils disposent, une taille de marché intérieur qui peut, s'ils le veulent, leur assurer l'autarcie, situation dont rêve l'école des Geopolitiker allemands. Cependant, à l'écart des pôles de pouvoir et de civilisation traditionnels que sont l'Europe et l'Asie, Washington n'a d'autre choix que de projeter son influence pour peser sur les affaires du monde. Le seul moyen pour atteindre cet objectif est la puissance maritime. Mahan précise sa doctrine en 1897, en faisant paraitre The interest of America in Sea Power. Pour lui, la maitrise des mers par l'Amérique, indispensable à l'accomplissement de ses ambitions, dépend de plusieurs pré-requis: -entretenir une convergence de vues et d'action entre Européens et Américains pour contenir la puissance maritime des nations asiatiques. Au moment ou Mahan formule cette recommandation, les Etats-Unis ont déjà commencé leurs acquisitions territoriales dans le Pacifique (Hawai, Ile de Guam, archipel des Philippines qui est conquis sur l'Espagne en 1898); -faire des Etats-Unis une puissance industrielle majeure, capable de construire et d'entretenir sur le long terme une flotte moderne, rapide et solide; -faire de l'Angleterre et de sa Marine le partenaire privilégié d'une Amérique engagée dans le contrôle des espaces maritimes et des couloirs stratégiques des océans; -éviter que l'Allemagne ne sorte de son rôle continental et ne projette sa jeune puissance sur les océans Mahan diffère grandement des géopoliticiens allemands et de certains théoriciens anglo-saxons (comme MacKinder) sur un point: pour lui, l'hégémonie continentale n'est pas seule facteur de domination mondiale. A terme, seule la maitrise totale des mers garantit la puissance. Son analyse est en grande partie fondée sur l'histoire, la politique séculaire de l'Angleterre, maitresse des mers, détentrice de nombreux points d'appuis sur toute la surface du globe et première puissance mondiale, à celle de la France, longtemps aussi puissante que sa rivale, mais qui s'est épuisée en hésitant entre sa vocation maritime (efforts navals de Colbert poursuivis sous Louis XV et Louis XVI et aboutissant au succès de l'Indépendance américaine) et sa révolution et de l'Empire, dont la France ne retire rien, sinon les ruines, la méfiance des peuples européens et un retard économique conséquent. Ce dernier point sera développé par Mahan dans un ouvrage de 1898; The influence of sea power upon the Frensh Revolution and Empire, 1793-1812. Le modèle à dépasser, la stratégie à imiter sont clairement pour Mahan ceux de l'Angleterre. De nos jours, l'US Navy "mahanienne" écrase par son tonnage et la modernité de ses navires de tous types la plupart des marines mondiales. La géopolitique de Mahan a servi de bréviaire à Washington durant tout le XXe siècle, et ses orientations demeurent: le Royaume-Uni est toujours le meilleur allié des Etats-Unis, la puissance navale allemande est un souvenir, tandis que l'Asie devient aujourd'hui une puissance maritime majeure qui inquiète l'Amérique. Le rôle du concurrent est tenu non par la Marine japonaise, mais par une Marine chinoise tournée vers le Pacifique et le contrôle des points de passage de l'Asie du sud-est, et dont le tonnage a explosé ces dernières années pour la hisser au troisième rang mondial. Halford John MacKinder (1861-1947) Autant que les théoriciens allemands Ratzel et Haushofer, Halford MacKinder, géographe britannique né en 1861 peut être considéré comme le fondateur de la science géopolitique, en raison de l'importance conceptuelle de ses travaux opposant les puissances continentales aux puissances maritimes. Autant les travaux de Haushofer et Ratzel reflétaient les préoccupations d'une Allemagne dynamique, encerclée et continentale, autant les théories de MacKinder se fondent sur les données spécifiques une puissance britannique insulaire et thalassocratique (qui recherche la domination des mers). Impliqué politiquement (il sera député de Glasgow de 1912 à 1922). Directeur de la London school of economics and politicanl sciences, président du Comité impérial économique, MacKinder a eu une grande influence en Angleterre. Le concept principal à retenir de l'oeuvre de MacKinder est le pivot géographique.(Concept qu'utilisera plus tard Brezinsky dans on ouvrage, le grand échiquier) -Dans l'Océan-monde qu'est le globe terrestre (constitué à 9/12e d'eau), existe un pivot fixe, une masse continentale écrasante autour de laquelle s'articulent toutes les stratégies de puissance des Etat dominants. Ce pivot central pour MacKinder est l'ile mondiale c'est-à-dire l'Eurasie, qui possède elle-même un cœur stratégique, le Heartland (v.les deux cartes ci-dessous). Celui-ci se confond à peu près avec la Russie, dont l'immensité et les ressources, conjuguées à l'amélioration des moyens de communication terrestres (Transsibériens), lui donnent un potentiel de puissance immense; -Protégé autant qu'enclavé par des obstacles géographiques naturels (océan arctique, haute montagnes), ce Heartland ou coeur du système-monde est bordé par les Coastlands (terres côtières) qui le ceinturent, et lui donnent accès à l'Océan Mondial. Ces Coastlands sont l'Europe occidentale, le Moyen-Orient, l'Asie du sud et l'Extrême Orient: elles forment le croissant intérieur ou marginal selon MacKinder. -Autour de ce pivot et de ses ceintures se trouve enfin le croissant insulaire (insular crescent) formé tout d'abord de deux Etats maritimes proches, la Grande-Bretagne et le Japon, tandis qu'en profondeur les Etats-Unis, troisième pôle maritime mondial, complètent le dispositif extérieur encerclant le Heartland. Pour MacKinder, tous les conflits peuvent s'expliquer par les frictions entre ce pivot et ses bordures. Et tout peut être déséquilibré si un jour l'Allemagne et la Russie, jusque-là enclavées, devraient s'unir, ce qui créerait l'unité "L'Ile-Monde" et assurerait l'hégémonie des puissances continentales.(Merkel et Schröder ont compris et s'activent à un rapprochement privilégié avec la Russie qui va bien au-delà de l'intérêt énergétique).(Schröder a été accusé de haute trahison par les européens). La hantise des USA, des fives eyes et de la Francce, c'est le rapprochement de l'Allemagne et de la Russie qui appuyées sur des ressources infinies et des moyens de communications modernes relativisant les obstacles naturels, celles-ci ne tarderaient pas à profiter de leur puissance industrielle et commerciale pour construire une marine qui leur assurerait bientôt la domination du monde. Pour MacKinder, héritier en cela des angoisses historiques anglaises redoutant toute émergence d'un pouvoir hégémonique continental européen, "Qui tient l'Europe orientale(Allemagne + Russie) tient le Heartland, qui tient le Heartland domine l'Ile mondiale, qui domine l'Ile mondiale domine le monde".On peut bien entendu rapprocher cette formule de celle, inversée du célèbre navigateur anglais du XVIe siècle Sir Raleigh que j'ai cité en incipit du Part I. Dans l'Europe des années vingt au moment ou la puissance maritime de la Grande-Bretane s'essouffle, MacKinder met en garde contre le rapprochement entre Moscou et Berlin. Il va logiquement appuyer la politique de "cordon sanitaire" en Europe orientale, issue de la décomposition éradique de l'Autriche-Hongrie et de l'isolement de la Russie soviétique, et prôner l'alliance avec la France (tête de pont sur le continent) et les Etats-Unis en tant que soutient maritime en profondeur. Si sa théorie a le mérite de mêler déterminismes géographiques et réalités humaines (puissance industrielle, moyens de communication), et de formaliser l'affrontement entre puissances terrestre et thalassocraties, MacKinder a cependant été critiqué. Son Heartland ne semble avoir d'autre horizon de réalisation que théorique. Comment l'Allemand et la Russie, Germains et Slaves pourraient-ils s'unir durablement? Malgré cela, on retrouve les fondements de ses théories de l'encerclement insulaire chez nombre de stratèges et de géopoliticiens américains actuels, et la politique américaine, durant la Guerre froide, peut être vue comme une tentative effective de contrôle des coastlands visant a contenir la puissance continentale soviétique. Nicholas Spykman (1893-1943) La géopolitique semble réservée et destinée aux curieux. Comme l'Allemand Friedrich Ratzel, le géopoliticien américain Nicholas Spykman a débuté sa carrière dans le journalisme, et a beaucoup voyagé à l'étranger avant de se consacrer aux sciences politiques et à l'étude des relations internationales. Né en 1893, Spykman confère une grande importance à la géographie, qui crée pour lui une "prédisposition" culturelle des Etats. Il s'inscrit par ailleurs dans la lignée des théories de MacKinder, dont il partage le tropisme insulaire anglo-saxon cherchant perpétrer la domination des puissances maritimes. Il va cependant modifier les conclusions de l'Anglais en développant sa propre conception, celle du Rimland, le "bord du monde". (Voir carte ci-dessous). Pour Spykman, l'histoire démontre que l'unité du Heartland demeure théorique , Allemagne et Russie se sont affrontées durant la première et seconde guerre mondiale, et que le pivot du monde ne se situe pas au centre continental de l'Eurasie, mais sur les bordures de cette dernière (les coastlands de MacKinder), Spykman rebaptise cette zone le Rimland, et en fait le champ de bataille permanent entre les puissances continentales et les puissances maritime. Les premières, en contrôlant le Rimland et ses ports, peuvent espérer concurrencer les thalassocraties sur les mers. Les puissances maritimes, en verrouillant le Rimland, empêchant au contraire les Etats continentaux de projeter leur puissance. La différence avec MacKinder est que le centre de gravité mondial est ici littoral et non continental. Le Rimland est cet arc de cercle, qui comprend, la Biélorussie, la Pologne, les pays Baltes, Danemark l'Allemagne, l'Ukraine, les Balkans, la Turquie, l'Arménie, la Géorgie, le Moyen orient, la Syrie, l'Irak, la Palestine occupée, le Liban, l'Iran, la Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie, le Vietnam, l'Iran, le Pakistan, l'Afghanistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan, Kazhakstan, Ossétie, Ingouchie, l'Inde et la Chine, Taiwan, Corée du Sud, Philippines.
La position de la France, "coincée" historiquement entre les poussées jumelles de l'Angleterre insulaire et de l'Allemagne continentale, est un bon exemple de cette fonction essentielle de Rimland dans l'histoire de la "vieille" Europe. Autre illustration saisissante de cette théorie: la politique multiséculaire de la Russie pour accéder aux mers chaudes en s'emparant d'un rivage du Rimland (Grand Jeu au XIXe siècle, la guerre de Crimée (1843), invasion de l'Afghanistan en 1979). Renversant la "recette" de MacKinder, Spykman énonce: "Qui tient le Rimland domine l'Eurasie contrôle le destin du monde". Nicolas Spykman meurt en 1943, mais sa théorie du Rimland va être rapidement illustrée par la stratégie de containment de Kenan (endiguement) de la Russie soviétique mise en place par les Américains durant la guerre froide. Le containment rend très clairement compte de la pratique "réaliste des relations internationales dont témoignent les administrations américaines successives, en dehors de quelques parenthèses "idéalistes-interventionnistes" comme celle du président Wilson durant la première guerre mondiale. Cette politique est simple: après avoir conquis la première place dans le système-monde, l'Amérique doit préserver cette rente de situation en combattant toute émergence d'un compétiteur de son niveau, qui allierait comme elle profondeur stratégique terrestre et puissance maritime. Au-delà de l'affrontement idéologique, la Guerre froide a ainsi consisté à brider la puissance historique russe en s'appuyant sur les permanences mises en relief par l'analyse géopolitique. Aucun pouvoir mondial ne doit émerger en Eurasie. Tout le système d'alliance américain se retrouve alors logiquement sur le Rimland: L'OTAN en Europe, Le Pacte de Bagdad au Moyen-Orient et l'OTASE en Asie du sud-est ont ainsi joué le rôle de verrous géopolitiques. Même la Chine, à partir des années 70, et malgré son communisme, a été utilise par les Américains comme verrou supplémentaire contre la poussée russe. De Spykman des géopoliticiens et stratèges plus contemporains comme Brezinski (voir plus loin), la stratégie américaine de containment se retrouve dans l'attitude envers la Chine, actuellement encerclée par les bases et pays alliés de l'Amérique (Japon, Indonésie, Taiwan, Corée du sud, Ile de Guam, Thailande, Philippines). Ce cordon insulaire, confinant la flotte de Pékin dans des eaux côtières peu profondes (shallow waters) l'empêche encore de projeter sa puissance maritime en pleine ascension. Pour combien de temps ? Car la Chine pose un problème inédit: elle possède un immense territoire terrestre et une très grande façade maritime libre de glaces. En cela, elle ressemble davantage aux Etats-Unis qu'à la Russie. Peut-on la "contenir" très longtemps ?
La géopolitique française Contrairement à la géopolitique allemande centrée sur l'étude "darwinienne" de l'Etat envisagé comme forme politico-culturel, "organique", et à la géopolitique anglo-saxonne s'intéressant à la dichotomie Terre/Mer, la géopolitique française semble se structurer historiquement autour de la notion de "territoire", et d'une prise en compte plus fine des réalités humaines. Les français par galanterie (c'est un concept français qui présentait des résistances même à l'intérieur des cours aristocratiques européennes) recours toujours au détail inutile. Paul Vidal de la Blache (1845-1918) On considère parfois, comme l'indique le géopoliticien contemporain Yves Lacoste, que le premier ouvrage de géopolitique français est La France de l'Est, publié en 1917 par Paul Vidal de la Blache. Dans cet ouvrage, Vidal de la Blache, né en 1845 e fondateur de l'école française de géographie, justifie l'appartenance de l'Alsace-Lorraine à la France de manière géopolitique: son discours géographique sert en effet clairement et consciemment à conforter une acquisition territoriale conflictuelle. On trouve plus généralement dans son œuvre une approche qui permet de séparer rapidement les écoles géopolitiques françaises et allemande. Comme le précise Aymeric Chauprade, "L'être géographique ne peut être réduit, chez Vidal de la Blache, au seul produit de la Nature; s'ajoute en effet aux déterministes de celle-ci l'activité de l'homme qui multiplie les possibilités géopolitiques". A ce tropisme humain qui corrige et complète la fatalité géographique, et que l'on retrouvera aussi chez Jacques Ancel ou Lucien Febvre, Vidal de la Blache ajoute une propension particulière à favoriser l'étude des micro-territoires: terroirs, "pays", régions. Cette approche, appelée "géographie des genre de la vie", dissèque les relations entre un milieu naturel et ses habitants. Une différence fondamentale avec l'école des Geopolitiker allemands, et même avec les Anglo-saxons qui, comme nous l'avons vu, raisonnent de préférence sur les espaces continentaux mondiaux, et donnent davantage de place aux déterminismes géographiques et physiques. Militant républicain, Vidal de la Blache a formalisé une approche qui reflète une certaine sensibilité française, tôt détournée des grands espaces, peu coloniale, et plus proche de l'idéal d'une France agricole des coteaux équilibrés chère au politicien radical des années 20 et 30, Edouard Herriot. A l'autre extrémité du spectre politique français, il semble également utile de mentionner l'œuvre de l'historien et journaliste monarchiste Jacques de Bainville. Spécialiste reconnu de la diplomatie et des relations internationales, sa dénonciation du danger allemand, dans son ouvrage "les conséquences de la paix » publié en 1919, s'appuie sur une analyse explicitement géopolitique des permanences territoriales et culturelles. En dénonçant les faiblesses du traité des Versailles, Bainville part des données historiques intangibles (volontés et identités nationales), ainsi que de la géographie européenne, pour prophétiser avec exactitude la politique européenne allemande entre 1920 et 1939, de l'Anschluss, la guerre mondiale, en passant par l'invasion de la Tchécoslovaquie, le pacte germano-soviétique et l'agression de la Pologne. Jacques Ancel(1879-1943) En France, en dehors de Vidal de la Blache, certains autres ont tôt remarqué l'exploitation des développements de la science géopolitique par les Allemands, dans un contexte d'opposition ouverte entre Paris et Berlin sur le continent européen. Agrégé de l'histoire et de la géographie, Jacques Ancel (1879-1943) a fait la première guerre mondiale - ou il est blessé trois fois -, guerre qu'il a terminée dans l'Armée d'Orient. Il deviendra d'ailleurs après le conflit un des grands spécialistes européens des Balkans. Son "Manuel historique de la question d'Orient" date de 1923, son "Peuples et Nations des Balkans" de 1926. Bientôt, Ancel, sans s'éloigner de sa formation géographique, sera amené créer le premier cours français géopolitique de la fondation Carnegie. Il s'oriente ainsi vers la "géopolitique" proprement dite alors que les succès diplomatiques hitlériens peuvent sembler suivre une feuille de route puisée chez Ratzel et Haushofer.
Nous sommes bien ici en présence d'une réaction intellectuelle, Ancel désirant (à l'instar, d'ailleurs, d'autres géopoliticiens français comme André Chédame) allumer un contre-feu à des théories allemandes extrêmement bien structurées. Il va donc bâtir sa propre pensée géopolitique autour de l'idée de frontière, envisagée comme produit de l'action humaine, et non pas seulement héritage "fatal" de la géographie. Ainsi, les obstacles naturels ne sont pas forcément déterminants pour la fixation des limites entre Etats: La Russie s'étend des deux cotés de la chaine montagneuse de l'Oural; la mer Egée ne sépare pas les Grecs mais les réunit.
On comprends qu'Ancel, en réaction contre un héritage ratzélien empreint de déterminisme géographique et de pangermanisme, en vienne à intégrer à sa réflexion géopolitique une dimension prenant résolument en compte les complexités humaines. On retrouve ici les fondements des travaux de Vidal de la Blache. Notons tout de même un paradoxe de cette école française "anti-déterministe" : la formation politique-historique moderne du royaume de France s'est modelée, on le sait, sur une théorie géographique des "frontières naturelles" : Atlantique, Pyrénées, Méditerranée, Alpes, Rhin, Ardennes... Dans ses principaux ouvrages (Géopolitique en 1936, Géographie des frontières en 1938, Manuel géographique de politique européenne de 1936 à 1945), Jacques Ancel défend également l'idée française de la nation elle que la présente le célèbre article "Qu'est-ce qu'une nation ?" d'Ernest Renan en 1882. Appliquant à ce principe son prisme géopolitique, il souligne que l'ethnie, la race ou la langue ne sont pas suffisantes pour faire correspondre légitimement et mécaniquement un territoire et un Etat-nation. Il y faut une mémoire et une histoire commune, un vouloir-vire ensemble. L'Alsace-Lorraine apparait ainsi comme l'exemple parfait de l'interprétation divergente que font les géopoliticiens français et allemands d'une même réalité: l'Alsace est à la fois culturellement germanique et française de cœur (une galanterie bien français). Ancel et Haushofer en tirent des conclusions opposées selon leur propre système géopolitique. Durant les années trente, Ancel échangera une correspondance avec son "double ‘' Karl Haushofer, sans dévier d'un pouce de sa conviction que les théories pangermanistes de ce dernier encouragent une agressivité néfaste à l'équilibre européen. L'heure n'est pas aux échanges apaisés, comme ceux qui rapprocheront les historiens Ernest Nolte et François Furet après la guerre. En 1943, Jacques Ancel meurt comme résistant. Sa disparition empêche l'école géopolitique française de se perpétuer, alors que ses travaux avaient suscité avant-guerre l'intérêt de nombreux observateurs en France même, et l'admiration des géopoliticiens étrangers (même si l'école de géopolitique française n'a produit que très peu de théories d'explication générales, et s'est surtout focalisée sur la critique des visions expansionnistes allemandes). En 1945, dans une Europe qui panse d'innombrables plaies, la géopolitiqueque est assimilée à une machine de guerre intellectuelle pangermaniste (alors que les Anglo-saxons, de manière volontariste, et les Français, de manière réactive, l'ont aussi utilisée). Bientôt, la nécessité du rapprochement franco-allemand achèvera de la reléguer dans l'obscurité pour une vingtaine d'années. La renaissance de la géopolitique par l'impérialisme(1945-1989) Après la seconde guerre mondiale, la lecture des relations internationales s'avère saturée par l'idéologie, dans le cadre binaire d'une lutte entre le libéralisme américain et le socialisme scientifique soviétique. L'avènement de l'arme nucléaire et de l'aviation à long rayon d'action peut également laisser penser que les déterminismes géographiques sont dépassés. Humaines ou physique, les grilles de lecture géopolitiques sont repoussées au second plan par l'idéologie, sauf peut-être en Amérique ou l'influence de Mahan et du Sea Power perdure. Le primat de l'affrontement idéologique entre blocs est illustré par la situation de l'Allemagne et de la Corée, coupées en deux contre toute évidence géopolitique. Parfaitement alignés derrière les deux chefs de file qui sont les Etats-Unis et l'URSS, les Etats du monde mettent sous les boisseaux un grand nombre de différends territoriaux, de haines ethniques et de projets d'expansion. Reste que la grille de lecture géopolitique, en arrière-plan, n'a rien perdu de sa pertinence: après la chute du mur de Berlin, les conflits "gelés" éclateront de plus belle, selon les réels éternels des permanences géographiques et humaines. Craquements géopolitiques sous l'ère idéologique Avant même la chute de l'URSS, certains conflits, en pleine Guerre froide, rappellent d'ailleurs aux observateurs l'importance des oppositions géopolitiques: -Rupture entre la Chine et la Russie en 1959, malgré le fait que Moscou et Pékin partagent une même idéologie communiste. Une rupture explicable par le désir de la chine de défendre ses propres intérêts, et la volonté concurrente des deux Empires de dominer l'Eurasie. -Lancement en 1969, par le chancelier allemand Willy Brandt, de son Ostpolitik (politique orientale). Bien que partie intégrante et même avant-poste du camp occidental, l'Allemagne de l'ouest retrouve les fondements de son "ADN géopolitique" en prenant l'initiative de contacts dans un espace, la Mitteleuropa, qui participe de sa sphère d'influence "naturelle" malgré la présence de l'URSS. -Insurrections hongroises de 1956 et tchèque de 1968 contre le "grand frère" russe: les deux pays sont officiellement communistes et alliés de l'URSS, mais la géographie, la culture, l'histoire et leurs intérêts les ont toujours attirés de gré ou de force dans l'orbite germanique. -Guerre ouverte en décembre 1978 entre le Vietnam et le Cambodge de la dictature des Khmers rouge, deux Etats pourtant communistes, pour le contrôle d'un espace territorial circonscrit au delta du fleuve Mékong. -Guerre fratricide entre l'Irak et l'Iran en 1980, conflit enflammée par la CIA et les puissances impérialistes, et qui débute en raisons d'une dispute classiquement territoriale (contrôle du Chatt el Farissi et visées irakiennes sur la région iranienne du Khuzestân, peuplée d'Arabes.) Autant de conflits qui contribuent officieusement, puis de manière parfaitement explicite à partir de 1975, à réhabiliter le commentaire géopolitique. Tirant parti de ces événements, et malgré la suspicion qui continue à peser sur la discipline, certains analystes publient alors des ouvrages géopolitiques majeurs dans lesquels les facteurs géographiques et culturels reprennent le pas sur l'idéologie. C'est le cas de l'Américain Colin Gray dont The geopolitics of Nuclear Era. Heartland, Rimland and the Technological Revolution est particulièrement salué en 1977 aux Etats-Unis. En Grande-Bretagne, Peter Taylor relance la géographie politique, tandis qu'en France, Yves Lacoste, avec la revue Hérodote fondée en 1976, redonne à la géopolitique droit de cité, contribuant à la "laver" de son péché originel. Yves Lacoste. La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, édit. Le Seuil,1976 Témoin d'une école géographique française marquée, on l'a vu par la méfiance envers le déterminisme, Yves Lacoste n'en considère pas moins que la géopolitique demeure utile et pertinente pour comprendre le monde: s'appuyant sur les permanences, elle est seule à même de penser efficacement le chaos. Il aura un grand rôle dans la réhabilitation de cette discipline en France, à partir des années 70. Dans son approche géopolitique, Lacoste se distingue en insistant sur une analyse qui privilégie davantage l'organisation de l'espace (influence de Vidal de la Blache et d'Ancel) que son extension, cette dernière option n'étant pas vue comme une fatalité contrairement aux vues des géopoliticiens allemands. Yves Lacoste s'intéresse depuis ses premiers travaux aux perceptions différenciées que deux groupes humains institutionnels (Etats) ou "naturels" (peuples, ethnies) peuvent avoir d'un même territoire, et aux conflits qui se découlent. La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, son plus célèbre ouvrage, est publié en 1976. Il met le doigt sur la valeur de symbole donnée par les Etats à certains territoires disputés, de manière à faire adhérer les peuples aux luttes menées pour leur conservation ou leur conquête. La chute de l'URSS et la nouvelle consécration de l'analyse géopolitique Ce que l'on percevait du retour en grâce de la géopolitique dans les nées 70 et 80 se confirme de manière éclatante avec la fin du système des blocs. Minée par un système économique à bout de souffle et une idéologie totalitaire et étouffante, l'URSS s'effondre à la fin des années 80. A Berlin, capitale symbole d'un monde coupé en deux, le drapeau national allemand est hissé en 1989 par une jeunesse réunifiée. "Avec le Mur s'abime la grande illusion qui fondait le XXe siècle, celle qui consistait à croire que les idéologies gouvernent les hommes et sous-tendent exclusivement leurs conflits". Le monde à peine sorti de l'opposition eschatologique entre communisme et libéralise, et après une courte période d'irénisme relativement irresponsable (les dividendes de la Paix), les analystes sont nombreux à admettre que l'identité et la puissance demeurent au fondement des relations internationales. Et qu'elles continuent à produire des frictions sans fin toujours aggravées par le poids de l'Histoire. Une prise de conscience à laquelle font écho les observations du sociologue Max Weber, "ce sont les intérêts, et non les idées, qui déterminent directement les actions des hommes. Et la représentation du monde créée par les idées sert souvent à baliser les chemins sur lesquels se meut en réalité la dynamique des intérêts sous-tendant les actions." En ce sens, pour corriger le titre d'un ouvrage récent d'Alexandre Adler, il est difficile de dire que le 11 septembre 201, lorsque s'abîmèrent les Twin Towers, nous avons vu finir le monde ancien. Nous l'avons, plus exactement, vu recommencer après un sommeil d'à peine 70 ans. Berlin 1989 et New York 2001, ces deux événements-balises du monde contemporain sont fortement liés, parce qu'ils ont délimité très strictement la parenthèse de certaines illusions post-historiques. La guerre froide avait gelé des conflits éphémère du conflit idéologique. En mourant, elle a libéré ces conflits de leur gangue artificielle, ranimant les compulsions culturelles et leur donnant libre cours. L'effondrement dramatique et éminemment symbolique des tours du World Trade Center a été une illustration parmi d'autres du retour à la longue durée, un instantané paroxystique des conflits et de la compétition culturelle qui menacent nouveau la paix entre les Etats au XXIe siècle."
Nous vivons donc un réveil de l'Histoire, même s'il s'accommode très bien des totems de la mondialisation. Ces derniers (internet, les entreprises multinationales, les réseaux transnationaux, la montée en puissance des sociétés civiles) n'effacent pas les Etats et les peuples. Internet, instrument de liberté et de communication sans frontière, est aussi devenu un enjeu de puissance, d'influence et de contrôle des opinions nationales: la cyberguerre en fait foi; les entreprises multinationales sont souvent le faux nez de stratégie nationales et étatiques, d'ou le développement de l'intelligence économique; les réseaux transnationaux, à commencer par les ONG, peuvent être inclus dans une stratégie nationale globale d'influence et de "présence" sur les théâtres stratégiques (comme le prouve le rôle joué par l'USAID américaine); quant aux "sociétés civile", elles ne conçoivent pas forcément que l'Etat et la nation appartiennent au passé: en Inde et en Chine, il semble même que cela soit le contraire. La "mode de la géopolitique est directement liée ce réveil de l'Histoire ou tradition et modernité s'interpénètrent sans s'exclure. Les permanences géopolitiques qui se font jour depuis 1989 apparaissent d'ailleurs évidentes à tous les observateurs de l'actualité internationale. Deux exemples principaux: -Les nations d'Europe de l'est, une fois libérées de la tutelle de l'URSS, cherchent désormais, à travers la double intégration à l'Union européenne et à l'OTAN, une manière de protéger et d'affirmer leurs intérêts nationaux. Entre Allemagne et Russie, le recours aux Etats-Unis leur permet d'équilibrer les forces; -La russie garde ses obsessions géopolitiques éternelles: accès aux mers chaudes, défense de son étranger proche, domination de l'Eurasie, hésitation entre l'Orient et l'Occident. Ces objectifs sont exacerbés par un sentiment lancinant de perte de puissance et de prestige. D'autres exemples de stratégies géopolitiques et de réveil de la conflictualité, nombreux, seront étudiés au cours des chapitres suivants. Actuellement, stimulées par la Realpolitik issues des décombres du système des blocs, de nouvelles écoles de géopolitique tentent de formaliser une vision du monde post guerre-froide. On citera notamment l'américain Samuel Huntington et son modèle du choc des civilisations qui divise le monde en grandes aires religieuses et civilisationnelles concurrentes, dont l'interaction mènerait dans le futur à un affrontement majeur entre Islam et "Occident". On peut contester à Huntington le titre véritable de géopoliticien. Son analyse néglige les fractures internes aux aires religieuses (catholiques-protestants, sunnites-chiites, bouddhistes du petit et du grand Véhicule, etc.) sous-estime l'importance du facteur politique t esentialise le bloc musulman qui n'est qu'un bloc parmi les autres. Le choc des civilisations est plein d'analyses pénétrantes (il a malheureusement été davantage critiqué qu'il n'a