Le 5 octobre 1961, un communiqué du préfet de police de la Seine (Ile de France), Maurice Papon, couvert par les hautes autorités de l'Etat français instaure le couvre-feu à l'encontre des Algériens résidant en région parisienne, leur interdisant de circuler entre 20 h et 5h30. Une grande manifestation pacifique est alors organisée le 17 octobre 1961 pour dénoncer ce couvre-feu arbitraire et raciste imposé aux Algériens. Bravant cette décision, des dizaines de milliers d'Algériens se rassemblent à Paris pour dénoncer cette mesure discriminatoire et exigent des négociations avec le Front de libération nationale pour mettre fin à la guerre. "A bas le couvre-feu", "Négociez avec le GPRA", "Vive le FLN", "Indépendance de l'Algérie", étaient les slogans scandés pacifiquement en ce jour fatidique, racontent des témoins. Très vite cependant, cette manifestation non violente tournera au drame. Aux portes de Paris, à la sortie des stations de métro Etoile, Opéra, dans les couloirs de la station Concorde, sur les Grands Boulevards, les manifestants seront sauvagement matraqués, à coups de crosse, de gourdin, de bâton, souvent jusqu'à ce qu'ils s'effondrent, raconte à l'APS Benhaddou M'Hamed, 75 ans, ancien membre de la fédération de France du FLN. Les forces de police auxiliaire de Papon composées de harkis frappent au visage, au ventre, les manifestants qui ne font montre à aucun moment de violence. Sur le boulevard Bonne-Nouvelle, au pont de Neuilly, au Pont-Neuf d'Argenteuil et en d'autres lieux de Paris, les policiers tirent sur les manifestants. Sur le pont Saint-Michel, des hommes sont précipités dans la Seine. Une véritable chasse au faciès de déroule pendant plusieurs heures sous les yeux médusés de touristes, poursuit Benhaddou qui se rappelle que ce jour là, un touriste américain a été violemment tabassé par la police, son seul tort, a-t-il dit, est qu'avec sa moustache et son teint basané, "il ressemblait trop à un Algérien". Le bilan est lourd. Très lourd même. Des centaines de morts, de blessés et de disparus dans les rangs des Algériens qui manifestaient ce jour là, alors que ceux qui sont arrêtés et parqués pendant de nombreuses semaines au palais des sports de Versailles, au stade Pierre de Coubertin et au centre de tri de Vincennes, au vélodrome d'hiver, au Parc des Expositions se comptent par milliers. Ils sont soumis aux pires humiliations et à des sévices d'une rare violence. Faute de soins, plusieurs d'entre eux meurent et sont jetés dans les flots en furie de la Seine. Souvent les corps portaient des marques de strangulations, affirment les témoignages de ces scènes de massacres. Arbaoui Essid, 75 ans, relate, pour sa part, que les forces de police de Papon, soutenues par les harkis, ayant eu vent de la manifestation pacifique, attendaient les groupes à la sortie des stations de métro pour les passer à tabac. "Il y avait du sang partout", a-t-il dit, en passant la main sur son front, visiblement pris par une tourmente abyssale, au souvenir de ces scènes de violence. "Je voyais des compagnons défigurés par les coups qu'ils recevaient, les vêtements déchirés et maculés de boue et de sang, d'autres gisaient par terre, et des policiers s'acharnaient sur eux et les traînaient par terre, alors que leur tête percutait le sol avec grand bruit". "C'était horrible toutes ces scènes de brutalité et de sauvagerie non contenues", a-t-il dit, rejoignant le témoignage de Mohamed Djoughbal qui se rappelle qu'un policier fou de rage, "voyant que nous étions solidaires devant la mort, a porté un coup de matraque si terrible que le cerveau de mon pauvre compagnon m'a éclaboussé la figure. Je n'ai entendu qu'un râle d'agonie, le frère martyrisé est mort dans mes bras. Voyant cela, le policier m'a asséné un dernier coup sur la nuque. Avant de tomber dans l'inconscient, j'ai entendu le policier dire: ils sont morts balance-les". Aidli Abderrahim, se rappelle quant à lui que les manifestants ramassés étaient parqués comme du bétail dans le stade où nous avions été acheminés". Me Ali Haroun, en sa qualité d'encadreur de cette manifestation, a confirmé à l'APS qu'instruction a été donnée aux Algériens pour que la manifestation "se déroule de manière pacifique et qu'aucun port d'arme ne serait autorisé, fusse un petit canif". "Nous ne pouvions pas donner des instructions contraires à celles-ci, sachant qu'il y avait également dans la manifestation des femmes et des enfants", a soutenu M. Haroun. Sur le nombre de personnes qui ont péri suite aux massacres perpétrés, il signale que la fédération de France du FLN "l'estime à 200 morts constatés mais que compte tenu du nombre de disparus, dont on ignorait le sort, le nombre de décès dans ces manifestations pourrait être revu à la hausse et atteindre les 400". Le gouvernement empêchera la création d'une commission d'enquête. Aucune plainte déposée n'aboutira. Hervé Bourges, alors journaliste à Témoignage chrétien, écrivait à l'époque: "oui c'est une rude leçon que viennent de nous donner les Algériens de Paris. Jamais ils ne seraient descendus dans la rue, si nous, journalistes, avions su mieux informer une opinion chloroformée des réalités d'une guerre qui s'est établie sur notre sol". Aujourd'hui, 49 ans après cette sanglante répression, la vérité et la justice sont occultées sur les crimes commis, en dépit des nombreuses preuves tangibles apportées par les historiens tant Algériens que Français et les séquelles demeurent encore vivaces. La France n'a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce que beaucoup qualifient de "crime contre l'humanité" et dont a été victime un peuple qui réclamait le recouvrement de sa souveraineté. La raison la plus invoquée dans l'oubli qui a frappé la journée du 17 octobre 1961 serait la censure organisée par le pouvoir ce jour-là. Plusieurs publications auraient été saisies, d'autres ont été interdites. Le gouvernement de la France coloniale avait imposé le silence sur cette féroce répression. Les journalistes ont été interdits d'accès, les quelques images qui ont été prises sont le fait de télévisions étrangères. Les lieux d'internement restèrent interdits aux journalistes pendant toute la durée de la détention. Les seuls témoignages qui les décrivent sont dus aux manifestants eux-mêmes, des médecins ou des appelés. Les événements du 17 octobre 1961 en sont venus toutefois aujourd'hui à forcer l'espace public et à retrouver leur place dans la mémoire collective. Des historiens, des associations et des organisations se mobilisent pour raviver la mémoire et appeler à la vérité.