Après la forte désapprobation de la part de l'opinion algérienne suite à la création par le gouvernement français d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, un espace conçu dans le but de la glorification des harkis de la guerre d'Algérie, voilà que survient la date du 48e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961, où le préfet de Paris, à l'époque en la personne de Maurice Papon, a ordonné une féroce répression des manifestations initiées par la communauté algérienne. Plusieurs milliers d'Algériens marchent silencieusement et sont calmes, à aucun moment ils ne transgressent les directives des organisateurs de la marche : les consignes sont claires, la marche doit se dérouler pacifiquement, aucune arme n'est tolérée, «même pas une épingle», dira Omar Boudaoud, le chef de la Fédération de France du FLN, ni ripostes même si on est provoqué. Car cette marche doit véhiculer un message. Le FLN ne mène pas d'actions aveugles sur le territoire français, il mène une guerre juste contre un colonialisme et un racisme sans pareil. Le 17 octobre 1961, les Algériens, hommes, femmes, enfants, bravent le couvre- feu et déferlent dans les rues de la région parisienne ; ils sortent de leurs ghettos. En face un dispositif policier impressionnant quadrille la ville, certains manifestants sont bloqués et ne peuvent rejoindre les marcheurs. Le service d'ordre s'en donne à cœur joie, la répression s'abat : les coups pleuvent, on tire sur la foule, on les précipite dans la Seine où ils se noient. On compte plus de 200 morts et blessés parmi les manifestants. Les bastonnades se poursuivent très tard dans la nuit. Les manifestants se laissent frapper, appréhender sans esquisser de gestes.
Mais quelle est la raison qui les a poussés à sortir dans la rue sans avoir peur des conséquences ? C'est une suite d'exactions, d'injustices : dans un communiqué transmis à la presse et aux autorités, des policiers témoignent de l'horreur vécue par les émigrés algériens : «Dans le 17e arrondissement, les membres des brigades spéciales du troisième district ont aspergé d'essence et brûlé par morceau des Algériens. Pendant qu'une partie du corps se consumait, ils en arrosaient une autre et l'incendiaient». Et ce n'est qu'une infime partie de toutes les autres histoires. De plus, le 6 octobre, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, publie un communiqué par lequel il instaure un couvre- feu interdisant aux travailleurs algériens de circuler de 20h30 à 5h30. Les cafés, restaurants où se rendent les Algériens sont aussi sommés de fermer dès 19h. Des dispositions qui perturbent au plus haut point les activités clandestines de la Fédération de France du FLN et l'objectif tracé par le CEE, en l'occurrence le maintien d'une pression durable après l'ouverture d'un second front en métropole. Refusant d'obtempérer sans se battre, le comité fédéral de la Wilaya 7 se réunit le 10 octobre à Cologne en Allemagne et sort avec un plan où sont prévues trois actions. L'organisation durant deux soirées consécutive d'une marche pacifique après 20h, donc en plein couvre-feu. Les commerçants algériens fermeront leurs établissements durant 24 heures. Une marche des femmes sera programmée soit au niveau des grandes artères de Paris soit devant les pénitenciers où seraient emprisonnés les manifestants arrêtés lors des premières marches. L'histoire n'oubliera pas cette nuit où dans le pays des droits de l'homme, des milliers d'Algériens marchant pacifiquement ont été bastonnés, emprisonnés, assassinés et humiliés. Jean Paul Sartre décrira dans un écrit la sauvagerie de la police de Papon durant la nuit du 17 octobre 1961 : « (…) née à Alger, la ratonnade s'installe à Paris. Les juifs parqués au Vél d'hiv sous l'occupation étaient traités avec moins de sauvagerie par la police allemande que ne le furent, au palais des Sports, par la police gaulliste, les travailleurs algériens (…)».