Des centaines d´Algériens avaient été tués et près de 12.000 arrêtés à l´occasion d´une manifestation pour l´indépendance de leur pays organisée un certain 17 Octobre 1961 à Paris. En avril 1998, Maurice Papon, âgé de 88 ans, est condamné à la réclusion criminelle par un tribunal français pour avoir organisé, en tant que secrétaire général de la préfecture de la Gironde durant le régime de Vichy, la déportation de 1690 juifs. Papon qui, jusqu´en 1981, avait occupé de hautes fonctions politiques, voire jusque ministre des Finances, avait également commis des crimes similaires dans la France d´après-guerre. C´est ce que révéla l´historien, Jean-Luc Einaudi, témoin de la partie civile, lors de sa déposition sur la personnalité de l´accusé Papon.(1). Einaudi est l´auteur du livre La bataille de Paris, 17 octobre 1961 (Editions du Seuil, 1991). A la barre du tribunal de Bordeaux, il évoqua, en octobre 1997, ce qui s´était passé à Paris, 36 ans auparavant alors que Maurice Papon était préfet de police sous de Gaulle. A cette époque, au moment où la guerre d´Algérie était à son paroxysme, des centaines d´Algériens avaient été tués et près de 12.000 arrêtés dans la capitale française, à l´occasion d´une manifestation pour l´indépendance de leur pays et qui avait fait descendre dans la rue, 30.000 d´entre eux. Durant les années 1930, Papon sera un haut fonctionnaire dans différents gouvernements, dont le Front populaire, pour se mettre finalement au service du régime de Vichy. C´est pour les crimes commis à cette époque qu´il est à présent condamné. En juin 1944, alors que les Alliés débarquent en France, il se procure, en temps utile, un alibi de «résistant» en faisant parvenir quelques informations à la Résistance. Et c´est ainsi qu´il s´assure la poursuite de sa carrière dans la France d´après-guerre. En 1956, Guy Mollet, alors Premier ministre socialiste, lui confie le poste d´inspecteur général de l´administration à Constantine, en Algérie. Deux ans plus tard, le ministre de l´Intérieur radical-socialiste, Bourgès-Maunory le nomme préfet de police à Paris. Chasse au faciès Son activité à Constantine, le maintien de l´ordre durant la guerre d´Algérie, montre ce dont le fonctionnaire de Vichy est capable. La torture la plus exécrable est à l´ordre du jour lors des interrogatoires. D´ici 1957, des milliers d´Algériens seront tués, 114.000 personnes seront internées dans des camps, dans lesquels -selon un rapport de Michel Rocard publié dans Le Monde- entre 50 et 60 personnes meurent quotidiennement. Il existe des zones interdites dans lesquelles la chasse à l´homme contre la population indigène est autorisée. Papon se distingue en les encourageant sans état d´âme. C´est de cette époque que date sa promotion d´officier de la Légion d´honneur, sa première décoration remontant à 1948.(1). Papon sera préfet de police de Paris en mars 1958. De Gaulle le confirmera à son poste avec pour mot d´ordre de tenir Paris pendant qu´il essaie, à long terme, de trouver une solution négociée avec les Algériens. Papon n´est pas un inconnu pour de Gaulle. En août 1944, il avait déjà été au service d´un homme de confiance de de Gaulle, car, selon la déposition d´un témoin gaulliste au procès de Papon: «A la Libération, de Gaulle avait puisé dans la fonction publique de Vichy pour reconstruire le pays.» Le 5 octobre 1958, Papon décrète un couvre-feu aux Algériens leur interdisant de sortir entre 20 heures 30 et 5 heures 30 -ce couvre-feu est anticonstitutionnel car il instaure une ségrégation à l´égard d´une population qu´on reconnaît à son faciès. C´est littéralement le début d´une chasse au faciès dans les rues de Paris. Au Bois de Vincennes, un camp d´internement est construit, semblable en tout point à celui de Mérignac du temps du régime de Vichy. Les rafles sont nombreuses et les travailleurs algériens se plaignent du traitement que leur inflige la police française, qui leur fait subir des tabassages. En octobre 1961, au cours d´une cérémonie à la mémoire d´un policier assassiné par le FLN, Maurice Papon déclare: «Pour un coup reçu, nous en porterons dix»; il dit aussi aux policiers que, s´ils se sentent menacés, ils doivent tirer les premiers: «Vous serez couverts». Les méthodes de Papon ne sont pas acceptées de tous. Un ancien déporté à Dachau, Edmond Michelet qui est ministre de la Justice depuis 1959, proteste publiquement contre la torture. En octobre 1961, la situation s´aggrave et l´atmosphère est chauffée parmi les policiers. Les paroles de Papon, prononcées le 2 octobre 1961, sont reproduites comme suit: «Pour un coup reçu, nous en rendrons dix.» Il encourage les policiers à tirer les premiers: «...on vous couvrira, vous serez en état de légitime défense.» Pour protester contre le couvre-feu incessant, le FLN ordonne à ses militants de manifester pacifiquement le soir dans les rues de Paris. Il appelle à une manifestation de masse le 17 octobre à partir de 20 heures 30 en demandant aux Algériens de se rendre avec leurs familles sur les lieux les plus connus de Paris. 30.000 Algériens prennent part à cette manifestation, parmi eux se trouvent des femmes et des enfants. Dans le but de gagner la sympathie de la population parisienne pour leur manifestation pour la paix et l´indépendance, le FLN leur avait donné pour stricte consigne que toute arme «même une épingle» était prohibée. Ils tomberont dans un guet-apens ignoble. Dès l´après-midi du 17 octobre, Papon rassemble les forces de police bien équipées et les rafles au faciès commencent systématiquement avec l´arrivée des Algériens dans le centre de Paris. Près des bouches de métro, les Algériens sont arrêtés par les policiers et embarqués dans les cars de police et les bus de la Ratp pour les conduire au Palais des Sports à la Porte de Versailles, au stade de Coubertin, voire au tristement célèbre Vél d´Hiv où, en 1942, des milliers de juifs avaient été rassemblés avant leur déportation. Des comités d´accueil de la police se livrent à des brutalités meurtrières sur les Algériens. Dans la cour de la préfecture de la police, sur l´Ile de la Cité, de plus en plus d´Algériens sont amenés et tabassés en présence de Papon, certains même étranglés. Dans le courant de cette nuit, d´après les chiffres actuels, 11.730 Algériens seront interpellés et transportés à différents endroits, dont le camp d´internement du Bois de Vincennes. Des semaines durant, des cadavres seront repêchés dans la Seine. Le bilan officiel fait état de trois morts - il s´agirait de règlements de compte entre factions rivales d´Algériens. L´action de la police s´était réduite à faire monter des Nord-Africains dans des autobus pour leur propre sécurité. De Gaulle couvre Papon et fait taire tous ceux qui réclament la tête du préfet de police: «La manifestation était interdite. Le préfet de police a reçu mission et avait le devoir de s´y opposer. Il a fait ce qu´il devait faire.» C´est ainsi que, de 1958 à 1967, Papon aura été préfet de police sous trois Premiers ministres gaullistes: Michel Debré, Georges Pompidou et Couve de Murville. Mais sa carrière est loin d´être terminée. Raymond Barre, Premier ministre dans le gouvernement de Giscard d´Estaing, lui confiera, en 1978, le ministère des Finances. Jean-Louis Debré, le fils de Michel Debré, devient alors son chef de cabinet. En avril 1998, Maurice Papon est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l´humanité. Il ne sera, toutefois, nullement tenu compte de son rôle dans l´après-guerre. Les documents pouvant faire la lumière sur les événements ayant trait à la guerre d´Algérie sont tout particulièrement touchés par cette mesure. En février 1999, remarque Libération: «Dès la fin de la guerre, l´amnistie, décidée avec une rapidité et une générosité sans équivalents dans notre histoire (aucun des coupables de ce massacre et des morts de Charonne n´a été inquiété), se double, en effet, d´amnésie de l´Etat.» Après le témoignage d´Einaudi, lors du procès de 1997, les archives furent tout juste entrouvertes puis fermées. Au lieu d´ouvrir les archives, le ministre de l´Intérieur Jean-Pierre Chevènement, charge son collaborateur, le conseiller d´Etat, Dieudonné Mandelkern, d´examiner les archives de la préfecture de police de Paris et du ministère de l´Intérieur. Le 8 janvier 1998, Mandelkern remet son rapport à Chevènement. Il y corrige de façon extrêmement circonspecte, la version officielle, à savoir qu´il n´y avait eu que trois morts le 17 Octobre 1961. On apprendra, cependant, qu´une deuxième note adressée le 2 novembre 1961 directement à Debré, souligne que les assassinats résultent, dans une large mesure, d´actions policières. Le rapport Geronimi révèle indubitablement que les autorités gouvernementales étaient parfaitement informées de ces faits. Einaudi réitère ses accusations dans une lettre adressée au journal Le Monde.(2). «De même, les ouvrages de Paulette Péju, révèlent une topologie parisienne de la terreur d´Etat avec ces quartiers ´´cibles´´ que furent le XIIIeme arrondissement, Belleville et la Goutte-d´Or, notamment. Là, la Ve République et l´état d´exception, qu´elle imposait aux «Français musulmans d´Algérie» comme on disait alors, laissaient libre cours à leur toute puissance meurtrière en étendant au territoire de la métropole, les méthodes en vigueur depuis plusieurs années déjà en Algérie...Grâce à elle, un récit circonstancié de ce passé criminel de l´Etat français prend corps, une chronologie et une topologie de la torture dans la capitale se mettent en place contre l´histoire officielle. Elles disent une chose essentielle: ce qui a été perpétré n´appartient pas au registre de «bavures» marginales dont seraient responsables quelques individus agissant sous l´empire des passions et des circonstances. Ce qui a été perpétré ressortit, au contraire, à un plan concerté, organisé et mis en oeuvre par les plus hautes autorités politiques et policières de l´époque qui ont décidé d´appliquer aux «Français musulmans d´Algérie» vivant en France, un état d´exception permanent où les tortures, les séquestrations arbitraires, les enlèvements pour des motifs raciaux et politiques, ne sont pas des accidents liés à des dysfonctionnements, mais la norme de cet état d´exception. «Les livres de Paulette Péju ruinent ce schéma convenu et rassurant qui permet de nourrir un récit enchanté de l´histoire en opposant une métropole toujours démocratique et exempte de crimes, à un ailleurs tyrannique et tortionnaire. A leur lecture, on découvre que cette frontière, qui sépare l´Etat de droit de l´état d´exception, ne coïncide pas au tracé, réputé harmonieux, de l´Hexagone. Elle repose sur des discriminations dont les fondements sont politiques, raciaux et religieux parfois, puisque celles et ceux qu´elle inclut, soit dans un ordre de type démocratique, soit dans un ordre d´exception, le sont sur la base de leur identification comme Français ou comme Arabes, réputés terroristes et forcément musulmans. «Enlèvements suivis de torture ou d´actes inhumains, inspirés par des motifs politiques (...) raciaux ou religieux et organisés en exécution d´un plan concerté», ce sont là les termes de l´article 212-1 du nouveau Code Pénal qui définit le crime contre l´humanité. C´est cette réalité que révèle Paulette Péju, ce sont ces crimes qui doivent être aujourd´hui reconnus par les dirigeants de ce pays.(3) Où en est-on aujourd´hui? La droite raciste et chauvine n´accepte toujours pas d´avoir livré à la justice Papon. Elle persiste et signe comme le montre la provocation qui consiste à «enterrer Papon avec sa légion d´honneur» remise par de Gaulle. Ce qui est sûr, c´est que le 17 Octobre 1961, alors qu´ils manifestaient pacifiquement, des «Français musulmans d´Algérie» ont été sauvagement et cruellement réprimés par des forces de police particulièrement remontées et couvertes par le préfet Maurice Papon. La seule action qui nous paraît intéressante, indépendamment de la stèle et d´une bouche de métro baptisée 17-Octobre 1961, citons l´appel du 19 octobre 1999, paru dans le journal Libération lancé par Sidi Mohammed Barkat, Olivier Le Cour Grandmaison et Olivier Revault d´Allonnes pour la reconnaissance du crime contre l´humanité commis par l´Etat en octobre 1961 et pour la création d´un lieu du souvenir à la mémoire de ceux qui furent assassinés. Loi sélective L´Algérie doit prendre date avec l´histoire s´en tenant, à juste titre, à des positions de principe. Il est incompréhensible que le pouvoir en France soit schizophrène au point de condamner tout le monde à l´extérieur. Il n´est que de voir comment la gauche a surfé sur la douleur réelle des Arméniens en essayant d´«avoir» un électorat arménien à peu de frais, s´agissant de diaboliser, à tout prix, la Turquie. Il en est de même de l´interdiction faite à tout le monde de revenir sur un dogme, la shoah au point que même l´abbé Pierre a dû mettre un genou à terre pour avoir affirmé que dans le récit de Josué, l´extermination était déjà dans les têtes. Jack Lang, à Alger, parle de repentance et de responsabilité de l´Etat français, il engage de ce fait, le parti socialiste et Madame Royal. Nous verrons. Avec Sarkozy, les dés sont jetés. L´Algérie sait à qui elle a affaire. Sarkozy courtise conjoncturellement les harkis à qui il dit que c´est à eux que la France doit faire des excuses. Mais si la France se doit de faire acte de repentance auprès des harkis, elle doit le faire surtout auprès du peuple algérien. Plus de 130 ans d´occupation militaire, d´exécutions sommaires, d´humiliations, d´injustices, d´enfumades, de tortures, de viols, de bombardements, d´utilisation de napalm. Bref, de déstructuration sociale. Tout a été dit, tout se sait et la France devrait assumer. La France, du temps des «événements» (appellation pudique de la guerre d´Algérie), désignait les combattants et résistants algériens de terroristes, de fellaghas, d´assassins, d´égorgeurs, de hors-la-loi. Elle, c´était la candeur, la paix, le respect de l´autre, la prêcheuse de morale et de vertu. Ne serait-ce que pour la vingtaine d´essais nucléaires qu´elle a réalisés en Algérie, la France devrait présenter ses excuses car elle a pratiqué le terrorisme de masse. Le 1er essai nucléaire du 13 février 1960 à Reggane a vu la mise en oeuvre de l´équivalent de 70 kilotonnes de TNT. La bombe du Sud algérien était 3 fois plus puissante que celle d´Hiroshima, au Japon. Les nombreux essais nucléaires français ont affecté la population, la faune et la flore. Des prisonniers, des femmes, des enfants ont servi de cobayes, plusieurs d´entre eux ayant été attachés à des poteaux comme prisonniers. Tamanrasset et Adrar ont subi des dégâts collatéraux. Papon est mort, les morts de la Seine sont morts, anonymes et sans sépulture. Même l´innocence de l´écolière de 15 ans dont on a retrouvé le cartable, n´échappa pas à la haine officielle. Papon mort, les morts crient justice. Il est à espérer que la patrie des droits soit celle de tous les droits de tous les hommes et qu´elle regarde, enfin, en face son histoire d´Algérie. Il y va de son avenir et de la stabilité de la région que nous appelons de nos voeux. 1.Françoise Thull et Marianne Arens: A qui profite le silence? Maurice Papon et le massacre d´octobre 1961 à Paris, publié le 24 décembre 1999 2.Jean Luc Enaudi: 17 octobre 1961, Un crime d´Etat à Paris, Editions La Dispute, 3.Olivier Le Cour Grandmaison. De Tocqueville aux massacres d´Algériens en octobre 1961 http://www.wsws.org/francais/News/2000/janvier00/5jan00_papon.s html