La Cinémathèque algérienne dispose de 16 salles au niveau national. La salle répertoire d'Alger, elle, a rouvert ses portes en décembre 2010, après une année de travaux de réhabilitation qui ont nécessité près de 60 millions de dinars. Elle a été aménagée et équipée pour garantir les meilleures conditions de projection pour le personnel et offrir aux spectateurs un maximum de confort. Au programme de cet après-midi du lundi, un film datant de 1962 : Seuls sont les indomptables du réalisateur américain David Miller, avec Kirk Douglas. A l'intérieur, la salle sonne creux : seuls 5 spectateurs qui, vu l'état de la copie, se retrouvent parfois contraints de reconstruire mentalement certains passages effacés de l'histoire. Censure ? Non. Usure et détérioration de la bobine. «L'état du patrimoine filmique est préoccupant, constate Ghani Zekri, responsable de la salle répertoire d'Oran. Si certaines copies peuvent aujourd'hui être projetées, d'autres sont, par contre, totalement inexploitables». A la tête d'un espace entièrement réhabilité pour près de 20 millions de dinars, l'homme connaît la chanson : il lui arrive de renvoyer des films pourtant programmés. C'est ce décalage entre une politique consistant à injecter d'énormes sommes d'argent pour rénover des édifices, tout en n'accordant que peu de crédit aux œuvres elles-mêmes, c'est-à-dire les films, ce que dénonce Aziz Boukrouni qui, aujourd'hui en congé de maladie, a régné longtemps sur la programmation au niveau central. «Même si les promesses des responsables quant à la préservation et à la restauration du patrimoine sont suivies d'effet, nous sommes en train de mettre la charrue avant les bœufs», estime cet ancien animateur de la salle répertoire rénovée de Blida. Lui, dit avoir vu de ses propres yeux de la mousse envahir les boîtiers des copies de courts métrages entreposés dans les sous-sols et laissés à l'abandon. «C'est intolérable, s'indigne-t-il, et il y a urgence à sauver ce qui reste de ce patrimoine non seulement national mais aussi mondial.» La Cinémathèque algérienne dispose, actuellement, de 16 salles dont, à titre illustratif, celle de Sidi Bel Abbès entièrement reconstruite pour un budget de 59 millions de dinars. Le ministère ne compte pas s'arrêter là, car il ambitionne d'en doter chacune des 48 wilayas. Intention louable face à l'effondrement du marché du cinéma commercial privatisé et aux difficultés juridiques liées à la propriété des salles, en majorité héritées de l'ère coloniale. L'Etat veut enclencher une nouvelle dynamique pour permettre à la nouvelle production nationale de renaître de ses cendres et de rencontrer un public. En dehors de rares festivals, c'est la Cinémathèque qui, paradoxalement, en assure la promotion. Mais ces nouveaux films devront, à leur tour, être archivés et d'aucuns se demandent quel sort leur sera réservé dans 10 ou 20 ans. Projetée en de rares occasions, une œuvre aussi incontournable que Omar Gatlato de Merzak Allouache (1977) est complètement décolorée. Pour remédier à cette situation, une solution intermédiaire a été trouvée : il s'agit de transférer l'ensemble du fonds cinématographique à la Bibliothèque nationale (BN), où un espace a été aménagé à cet effet. L'opération est toujours en cours. «Après une première opération visant à diagnostiquer leur état, nous avons procédé au transfert de 8000 copies représentant 6000 titres, dont 3000 longs métrages», indique Mohamed Naâmer, actuel responsable de la programmation, qui atteste que 80% des copies, en 16 ou 35 mm, sont de bonne qualité. Reste que nombre d'entre elles sont infectées par le «syndrome du vinaigre», selon le jargon technique, lequel ronge la gélatine qui fixe les images. Les statistiques relatives au patrimoine global sont incertaines : l'inventaire est toujours en cours. On sait cependant que 100 copies fabriquées à base de nitrate, un produit toxique, sont «mises de côté». A la BN, une première base de données informatisées permet pour l'heure un accès rapide aux fiches techniques, en tapant soit un nom de réalisateur, soit le titre d'un film. Mohamed Naâmer avoue que les copies n'ont jamais été conservées correctement. «On les a, dit-il, entassées dans de simple appartements où dans des locaux, comme c'est le cas au Debussy où ni les conditions hygrométriques (taux d'humidité) ni les températures (été/hiver) n'ont été prises en compte.» La chimie a aussi son mot à dire : un film en acétate est doté d'une durée de vie de 100 ans, contre trois siècles pour les nouveaux supports en polyester développés ultérieurement par Kodak. A ces facteurs physiques, s'ajoute, selon le même interlocuteur, la surexploitation de certaines copies programmées des milliers de fois, d'où leur usure. Pour remédier à cette situation, des pourparlers ont été engagés avec 5 laboratoires étrangers et des bobines sont envoyées afin de tester la qualité du travail de restauration effectué avant de conclure des contrats. A terme, il est même prévu la construction de blockhaus censés garantir une conservation optimale, même si ce genre d'édifices exige des qualifications particulières. En parallèle, un recensement du patrimoine iconographique a été entrepris et près de 2000 affiches ont été numérisées, ce qui permet, au besoin, d'effectuer des tirages. Tel fut le cas pour l'affiche du film La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo. La numérisation des films fait aussi partie des projets envisagés pour la Cinémathèque, mais cette opération exigera une expertise supplémentaire qui n'est pas disponible localement. «Il faut savoir aussi que, malheureusement, tous les films algériens ne sont pas conservés», déplore le même responsable. Et d'évoquer la loi portant sur le dépôt légal obligeant tous les producteurs étatiques (Oncic, CAIC, la Télévision algérienne) ou indépendants à déposer une copie aux archives de la Cinémathèque algérienne jamais mise en œuvre dans toute sa rigueur. La même loi s'applique aux films à caractère commercial distribués en Algérie et dont les copies devraient aussi être remises aux archives, lorsque les droits d'exploitation cédés pour 5 ans arrivent à expiration. Malgré ces dysfonctionnements, les protagonistes s'accordent à dire qu'on peut s'enorgueillir de disposer des plus grandes œuvres du cinéma mondial. «Nous avons découvert le cinéma coréen bien avant les Occidentaux», ironise Hadj Méliani, universitaire et ancien animateur du Ciné Pop, un des ciné-clubs les plus actifs des années 1960/1970. Les anciens pays de l'Est, via leurs ambassades, ont largement contribué à enrichir le fonds filmique fictionnel ou documentaire. Boudjemaâ Karèche, un monument de la Cinémathèque algérienne pour l'avoir dirigée entre 1978 et 2005, date de sa mise à la retraite forcée (selon lui), ne veut plus s'exprimer dans les médias mais nous renvoie à ses ouvrages publiés à compte d'auteur ou à d'anciennes interviews accordées précédemment. «1500 personnes venaient à la Cinémathèque au milieu des années 1970 ; aujourd'hui, lorsque nous arrivons à 500 personnes, j'offre un coup à boire à mes collaborateurs», déclara un jour cet éternel révolté. Lui a fait œuvre de résistance durant les années de plomb, propices au démembrement d'un secteur cinématographique jusqu'alors subventionné par l'Etat. Evoquant cette période, il rappellera que «les 13 salles alors fonctionnelles de la Cinémathèque algérienne n'ont jamais fermé leurs portes.» «Souvent, ajoute-t-il, on me téléphonait pour me dire qu'il n'y avait qu'un seul spectateur. Je répondais de maintenir la projection.» Les temps changent et, comme dans le film de David Miller, les bouleversements d'époques laissent toujours sur le bas côté les héros désenchantés de l'ancien monde.