Le nouvel ouvrage «Place de la Régence», de Abderrezak Hellal paru aux éditions Alpha est un véritable brûlot qui bouscule les convenances littéraires donnant ainsi du punch à ce texte. Cette satire sociale fictive raconte les responsables d'un pouvoir avec leur despotisme et leur autocratie. Abderrezak Hellal transcende la réalité, flirtant avec la fiction. Ce pamphlet relate l'histoire intemporelle d'une contrée appelée «La Régence» où le maître de céans s'arroge tous les droits pour gouverner à sa guise selon ses appétences. Cupidité, corruption, et passe-droits sont les maîtres mots de sa gouvernance. Bernant ses subalternes, ses concitoyens, et ses gouvernés M. Flène, c'est son nom, soigne son image à travers les médias, et grâce à un nègre qui lui écrit sa biographie. Sachant manœuvrer avec subtilité, il se fait respecter avec vélocité par la servitude ambiante. Abderrezak Hellal, raconte avec un humour caustique et un verbe acerbe les péripéties de ce personnage emblématique et la passivité et l'indifférence du peuple. Pour l'auteur, ce vizir utilise le langage qui permet de commander et de se faire obéir ; il est comme une balle de canon ; il fait dire à un de ses héros : « parler est un acte politique, depuis l'aube des siècles, l'homme a utilisé le langage pour trucider son semblable; les mots ne sont pas de simples lettres, de simples sons. Ce sont des obus, tantôt des canons. Parler est une forme de gouvernement. D'écrasement ; la parole est capable de brûler des terres comme le ferait une brigade, une légion. Chaque mot, chaque phrase est l'équivalent d'un javelot, d'une flèche ; c'est pourquoi j'utilise ce verbiage pour électriser le peuple, mieux l'électrocuter. Je dis nous pour me noyer dans la populace, et ainsi je me ramasse le peuple. J'ai dit que c'est le règne du halo, du verbiage et de la confusion »... de cette contrée la Régence d'illettrés, d'imbus, de narcissiques, et de rapaces. A travers cet ouvrage qui est le troisième de l'auteur («1830, entre l'olivier et la rocaille», «Images d'une révolution»), Hellal nous entraîne avec finesse dans les dédales de ce monde fictif. L'écriture reste fluide, recherchée, allègre. Kh. A. «J'ai rassemblé tous les maux d'une société» Pourquoi une histoire fictive qui s'inspire de faits réels ? C'est à partir de constations, d'observations et de comportements réels que j'ai rassemblé tous les maux d'une société que l'on peut retrouver dans les continents africain et sud américain. Ce sont des sociétés où la démocratie était et est absente. C'est une réédition de la première parution chez l'Harmattan il y a dix ans. Dans votre saga est-ce le talent du cinéaste qui a primé sur celui de l'écrivain ? Le talent de l'écrivain est à part, car il y a une création spécifiquement littéraire. Pour le cinéaste c'est un autre talent. L'écrivain a plus de liberté et de latitude et plus d'imagination à exprimer que le cinéaste. Le réalisateur a besoin de beaucoup d'argent pour faire un film. Comment s'est effectué le passage du 7e art à celui de l'écriture ? J'ai mené de front les deux activités, vu que j'ai commencé à écrire et à faire de la réalisation il y a vingt ans. Mes premiers textes littéraires coïncident avec mes travaux de réalisateur. Je privilégie les deux car ils sont nécessaires pour moi. Après le montage de mon film «Mériem», je sortirais dès la rentrée prochaine un roman sur la décennie noire. Pourquoi tous les auteurs algériens prennent comme source d'inspiration le vécu et leur société ? Les écrivains étrangers ont d'autres canaux pour s'exprimer, il y a une liberté de communication pour décrire les maux sociaux. Chez nous, on rencontre trop de tabous que l'on ne peut dénoncer. Propos recueillis par Kheira A. Source : http://www.horizons-dz.com/rubriques/culture.htm ********************************************************* ********************************************************** Le recueil “Al Bab al-Akhar" de Khaled Bouali D'insignifiants murmures Sara Kharfi// // Les personnages de Khaled Bouali certes se remettent en question, mais ils sont toujours punis par la vie et souvent condamnés par la société dans laquelle ils évoluent, en l'absence d'un discours social cohérent et unificateur. Lorsqu'on achève la lecture du recueil de nouvelles Al Bab al-Akhar, plusieurs idées traversent notre esprit. Soudain, la conscience se réveille et il nous semblerait l'entendre dire : “La vie est absurde et les humains le sont encore plus !" Paru aux éditions Chihab, Al Bab al-Akhar, de Khaled Bouali, est un recueil de 159 pages, articulé autour de dix nouvelles poignantes et très noires, appartenant au genre de l'absurde. L'homme y est peint avec une grande sensibilité, un brin de déraison et un concentré d'absurdité. Cet homme, qui se décompose en plusieurs personnages, évolue dans un absurdistan à ciel ouvert : l'Algérie, où les valeurs n'existent plus. La première nouvelle, qui ouvre le recueil et installe sans la moindre transition le lecteur dans le propos de l'auteur, s'intitule El-Saqta (la chute). En fait, el-Saqta, c'est l'histoire d'Aboud, un écrivain public, qui vit dans une vétuste demeure avec sa mère, Zorfa, et son épouse, Ghenoudja. Ne pouvant supporter davantage la mésentente et les disputes entre sa mère et sa femme, et ne trouvant nulle part sa place dans le monde qui l'entoure, Aboud décide de dormir. Il passe donc tout son temps loin de la réalité, s'abandonnant ainsi aux plaisirs du sommeil. Parfois son sommeil est agité, mais Aboud arrive à la conclusion que “le cauchemar est beaucoup mieux que la réalité". Parvenir à un tel constat est terriblement violent, mais qu'est-ce qu'Aboud a reçu de la vie ? Une mère qui se complaît dans le souvenir, une épouse ingrate et inculte et un travail pas très lucratif et encore moins prestigieux. Alors dormir… pour ne plus jamais se réveiller ! Alors qu'Aboud choisit le sommeil pour échapper à la vie, le héros de la nouvelle El-Talaq (le divorce), Hamou, opte pour le rêve. Hamou est un citoyen du Sud, qui n'aime pas le Nord. Il s'est marié trois fois et à chaque fois, ces unions se sont soldées par des échecs. Il trouve le moyen d'échapper au monde qui l'entoure et aux problèmes qui le consument par le biais du rêve. Il passera le reste de son existence à rêver de partir un jour. Il expliquera également que son choix du rêve est dû au fait que “nos idées sont horizontales". Certes, les gens ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez. Hamou cède au rêve et s'abandonne à la folie. Une démarche tout à fait justifiée puisque Hamou n'a connu de la société que ses travers, de l'amour que ses trois échecs, et de la vie que ses injustices. De manière très minimaliste, Khaled Bouali développe également la problématique Nord-Sud. Ce Nord qui semble si lointain et peu accueillant, et le Sud si compliqué et que des milliers, voire des millions, de jeunes cherchent à fuir. Comme Hamou déteste le Nord, il opte pour le Soleil. Ainsi, l'absurde est poussé à l'extrême par cette envie de soleil, connu pour être brûlant et invivable. Le drame de l'homme du Sud est qu'il cherche à troquer son Sud, même pour un lieu insupportable. Une certaine tendance autodestructrice transparaît également dans cette nouvelle. On retrouve également dans ce recueil, la nouvelle El-Tahadjor (la stagnation), qui relate l'histoire d'un jeune qui n'attend plus rien de la vie, tout en passant des journées entières à contempler les gens vivre et à adorer le néant. Pour lui, son existence n'a plus aucune valeur et donc, il attend, mais que peut-il bien attendre ? Un geste, un signe ou une absolution ? Lui-même l'ignore, mais il s'installe dans l'attente, à l'image de tous les jeunes Algériens qui attendent quelque chose, mais qui ont oublié quoi ! Il y a aussi la nouvelle Ichrouna aâman am Ichrouna yaouman (vingt ans ou vingt jours), dans laquelle le protagoniste ne sait plus si ce sont vingt années qui se sont écoulées, sans qu'il s'en aperçoive, ou alors seulement vingt jours. Tout est chamboulé pour le personnage qui n'a pas vu le temps passé. Lui, par contre, il n'a pas changé, il est toujours le même ; il n'a pas évolué et en même temps, il n'a donné aucun sens à son existence. En somme, les nouvelles se suivent, ne se ressemblent pas, mais convergent toutes vers le même point, qui est également le propos de l'auteur : l'insignifiance et la petitesse de l'homme dans l'univers. Sa vie et ses drames ne sont en fait que d'insignifiants murmures. Al Bab al-Akhar nous invite à nous regarder en face et à cesser de raisonner en tant qu'individu, car l'homme n'est qu'un pantin dans le grand schéma de l'univers. Al Bab al-Akhar, de Khaled Bouali, 159 pages, éditions Chihab, Alger, avril 2009, 400 DA)