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Marie-Josée Croze (Actrice canadienne) : « Je déteste les idées arrêtées sur les gens »
Publié dans El Watan le 30 - 07 - 2008

Elle est l'actrice qui a irradié le film Les Invasions barbares de Denys Arcand, Oscar du meilleur film étranger en 2004, en incarnant une junkie émouvante et charismatique, celle qui a joué dans Taking Lives aux côtés d'Angelina Jolie et Ethan Hawke et Munich de Steven Spielberg. Elle est canadienne du Québec. Un fille terrible de Longueil, quartier de Montréal. Elle est la récipiendaire du prix d'interprétation féminine à Cannes en 2003. Elle s'appelle Marie-Josée Croze. 38 ans et tous ses dons ! Et elle a du talent à revendre et de la générosité gratis crevant l'écran et total. Rencontre avec une Marie-Josée entière et sans fard.
Propos recueillis à Paris
On ne peut pas parler du film Les Invasions barbares sans évoquer Marie-Josée Croze...
Je trouve que Denys Arcand est un réalisateur immense qui a été professeur d'histoire au départ. C'est un documentariste. C'est un peu le Ken Loach québécois. Un anthropologue ! Il raconte l'histoire du Québec, la société...
Pour progresser comme actrice, on prend des risques...
Ben, je pense qu'on progresse parcequ'on accepte nos erreurs, se connaître et de prendre des risques. En même temps, je suis assez “trouillarde”(rires). J'ai toujours pris des risques. Le plus grand risque, c'est peut être de faire des enfants.
Vous êtes une actrice exigeante. Vous êtes sélective dans le choix des rôles qu'on vous propose...
Oui, très ! Je ne prends jamais de risques. Ce sont des risques calculés. Quand je sens que je n'apporterais rien au rôle, au film, je refuse. Récemment, j'ai refusé de tourner dans un film où je devais interpréter le rôle d'une violoniste. Il fallait que j'apprenne à jouer du violon et me préparer pendant quatre mois. Je ne peux pas apprendre Tchaïkovsky et le concerto n°1 en quatre mois. Cela est un risque que je ne prendrais pas. C'est trop dangereux. Je pense qu'il faut choisir des rôles qui vous « improve » (améliore en anglais)
Vous améliorant...
Oui, des rôles qui incite la réflexion, de vous améliorer, aller de l'avant... D'autres rôles, différents des précédents, d'autres univers, travailler avec des gens qui nous font un peu peur... C'est peut être cela prendre des risques.
Comment avez-vous été choisie pour jouer dans le film Le Scaphandre et le papillon ?
C'est Julien Shnabell qui est venu rencontrer les actrices à Paris. Car il avait déjà choisi Mathieu Almaric. Je crois qu'il m'avait vue dans Les Invasions barbares et dans le film de Steven Spielberg, Munich. Et puis, on a eu un bon feeling, on a rigolé tout de suite.
Et avec Steven Spielberg pour le film Munich ?
Cela était génial ! Avec Spielberg, pour l'histoire, à l'époque, je tournais un film à Grenoble. C'était très intense et difficile, un tournage en pleine neige, avec un enfant, une histoire très dure. Et puis mon agent américain m'a dit : « Steven Spielberg wants to meet you ! (Steven Spielberg voudrait vous rencontrer.). Je me suis dit que c'était une blague et je ne l'ai pas cru. J'ai dit : « je ne peux pas rencontrer Steven Spielberg, parce que je tourne à Grenoble. Donc, je prends un somnifère pour dormir, je suis insomniaque mais j'oublie de fermer le téléphone.(rires) Il est 23h. ça sonne ! Qui m'appelle ? A l'époque, j'avais un amoureux. Mais c'est un numéro inconnu ! Alors, je réponds et j'entends : ‘‘Hi ! Marie-Josée ! It's Steven Spielberg casting. Your agent told me that sunday, you not working. Are you able to come to Paris to meet Steven (Spielberg)'' ( Salut, Marie-Josée ! C'est le casting de Steven Spielberg. Votre agent m'a dit que vous étiez disponible dimanche. Car vous ne travaillez pas. Etes-vous prête a le rencontrer à Paris). Et j'ai dit : oui, oui...Je raccroche. Le somnifère commence à avoir de l'effet sur moi. J'appelle mon agent canadien, Nathalie et je lui dit : j'ai rendez-vous avec Steven Spielberg au Ritz, dimanche. Elle me dit : tu es sûre ? Je réponds : ben oui, pourquoi ? Elle me dit : Non, c'est drôle que tu dises c'est au Ritz, parce que le casting s'appelle Fritz.(fou rire). » Je prends le train, c'est dimanche, et j'arrive au rendez-vous, au Ritz. J'attends à l'entrée pendant une demie-heure. » Alors, je commence à m'inquiéter. Peut-être que je me suis trompée. Et puis une fille m'accueille et m'accompagne vers Steven Spielberg assis à une grande table avec plein de gens autour. Le rendez-vous a duré une heure avec Steven Spielberg dans une autre table à côté. Puis, il me dit : « Etes-vous disponible en août ? C'était conclu, quoi ! Je n'ai pas fait de casting. Mais le tournage du film a été reporté à maintes reprises pendant un an. J'ai tourné durant deux jours, en Hongrie. C'était difficile et compliqué avec les Américains. Des répétitions, des réglages, j'avais des prothèses...Mais le tournage, c'était génial !
Steven Spielberg vous a confié un rôle contre-emploi : une espionne, une tueuse...
Je savais ce que je jouais, mais j'ignorais l'importance du rôle. Parce que Steven Spielberg ne fait pas lire les scénarios. C'est très secret. C'était un personnage pivot dans l'histoire du film (Munich). Interpréter une femme fatale, c'est la preuve que l'imaginaire existe (rires). Il a pu m'imaginer dans ce rôle-là. C'est vrai, je n'avais jamais incarné un tel rôle, femme fatale, dans mes autres films.
Le comble d'une fille du Québec, c'est de perdre son accent...
Au Québec, on ne voulait pas me voir interpréter certains rôles. Sous prétexte que j'avais un accent « outre-monde », pédant, bourgeois. Alors que mon père est camionneur et ma mère dans l'éducation. C'est parler correctement. (Marie-Josée Croze, lance une phrase en québécois et avec l'accent inintelligible). Eh oui ! J'estime que si l'on aime le français, il faut bien le parler, le prononcer...L'accent québécois, je l'ai eu très peu. Et je l'ai beaucoup moins. Mais dès que j'entends cet accent, ça revient.
Vous n'aimez pas les clichés...
Je trouve cela niais ! D'avoir, comme cela des idées très arrêtées sur le choses et les gens. Quand on dit les Polonais sont comme ça, les Algériens sont comme ceci...On devient raciste en spécifiant les ethnies...Quand il y a eu, en l'espace de deux ans, la sortie des Invasions barbares et Creasy, tout le monde a pavoisé en disant : « ça y est, c'est le renouveau du cinéma québécois ! C'est comme les Américains, vous (les journalistes) et les gens qui aiment lancer des tendances, des modes...Il faut porter le pantalon slim, cette année. Pour revenir au stéréotypes, dans Le Scaphandre et le papillon, on montre qu'une personne malade ou âgée peut avoir de l'humour, de l'ironie, être drôle et de surcroît dans le drame. Un film porteur d'espoir et un hymne à la vie.
Avez-vous reçu des propositions de films de réalisateurs du Sud, du Maghreb, Moyen-Orient....
Non, je n'ai jamais eu cela. (silence). Tell your friends ! (Demandez à vos amis (rires). Oui, je serais ravie ! Pour vous dire, j'ai eu beaucoup de propositions d'Italie. C'est compliqué. Parce qu'il faut prendre l'avion pour aller en Italie, en Algérie... Même à l'époque de Munich, j'avais des possibilités américaines mais je venais de m'installer en France. Quand j'avais cinq minutes de libres, je n'avais pas envie de prendre l'avion et aller faire un casting au Etats-Unis. Peut être que dans cent ans, on sera téléporté, comme ça.(rires). Sinon, quand je vois le film La Graine et le mulet d'Abellatif Kechiche, c'est juste une bombe, ce film, je suis désolée. C'est le plus grand film depuis Sous le soleil de satan.
Vous vivez en France...
Quand je vais au Québec, je perds mes repères. Parce que je n'ai plus d'appartement. Je vais chez mes amis. C'est plutôt ma famille et mes amis qui viennent me voir, ici, en France. Certes, je vais au Québec mais pas pour longtemps. En plus, je découvre, entre temps, qu'il y a tellement de nouveaux artistes, de chanteurs et acteurs et dont j'ignore les noms. Quand j'ai fait Le Scaphandre et le papillon, je me rendais à New York, puis un passage bref à Montréal et retour vers l'Europe. J'apprécie le côté exubérant des Américains et celui, pondéré, des Français, lors du tournage sous la direction de Julien Schnabel. Je me sens moitié-moitié. Je suis en adéquation avec la mentalité européenne et nord-américaine. Vraiment, pour moi, c'est un partage et une passion !
Un adjuvant ?
Pour vous dire, pour les Français j'ai un jeu nord-américain dans la façon de bouger, me mouvoir, d'être à l'image...Et pour les Américains, je suis plutôt, une Française, une Européenne ! Je me sens aussi Canadienne dans ma façon d'être. Cependant, encore une fois, je déteste cataloguer les gens, coller les étiquettes. Le jeu français, européen, américain...Par ailleurs, je trouve la femme française très gracieuse, posée, à travers sa façon de s'habiller, elle est élégante...
Vous aussi, vous êtes gracieuse, Marie-Josée...
(Rires).Vous trouvez ? C'est gentil ! Ce n'est pas quelque chose qu'on me dit toujours ! (rires).
Cependant, êtes-vous orgueilleuse comme dans le rôle d'Henriette Durand dans Le Scaphandre et le papillon ?
L'orgueil d'Henriette, je l'ai. J'ai cet orgueil-là. Je vais vous dire ! Moi, j'ai deux péchés : orgueil et colère ! 50% des rôles que j'ai interprétés sont puisés de ma personnalité.
Des péchés...mignons...
Je trouve que l'orgueil et la colère sont l'un et l'autre liés. Je pratique ces deux péchés. Je ne pratique pas la luxure, la paresse, l'envie, la gourmandise, quoique...(rires), l'avarice et l'adultère.
Vous êtes une gentille fille...
(Rires). La luxure, j'en suis incapable. J'ai deux péchés sur sept, ça va, hein ! (rires). L'orgueil et la colère ! C'est plutôt clean ! C'est rare ! Moi, j'ai des origines modestes ! .
Vous-vous intéressez à la politique...
Ben, non ! Je n'ai jamais voté de ma vie.Je ne jouerais jamais dans un film véhiculant des idées auxquelles je suis opposée.
Qu'est-ce qui vous horripile et vous révulse dans le monde actuel ?
Ben, oui, c'est une bonne question.(hésitation de Marie-Josée).(rires)
En tant qu'actrice, humaine...
Par exemple, quand on dit que Paris Hilton est une c..., oui d'accord. Mais pourquoi lui accorder autant de crédit médiatique ? Je trouve que c'est un monde un peu triste où l'on vit. Parce que les valeurs sont celles de l'argent. On a voulu faire croire que ce sont des guerres de religion. Ce n'est jamais cela. Le vrai nerf de la guerre, c'est l'argent, le capitalisme. C'est un peu hypocrite de faire croire le contraire. Bon, j'ai dit que je ne parlerai pas de politique. (rires)
A quoi rêvez-vous, Marie-Josée ?
J'ai un inconscient qui travaille très fort. Où les tournages, je fais des rêves qui me plongent dans le rôle je suis en train de jouer. La nuit, je rêve de choses qui m'aident. Des choses bizarres m'assistant à comprendre mon rôle. C'est un métier étrange ! Par exemple pour Les Invasions barbares, j'avais côtoyé une héroïnomane. J'ai assisté à son « shoot » dans les sanitaires. Comment cela avait de l'effet sur elle. C'est un truc d'extrapolation. J'avais l'impression qu'elle était la personne la plus heureuse du monde après s'être fait son shoot. Et j'ai imaginé pour avoir ce regard, cette expression, qu'il fallait écouter une symphonie ou un concert. Donc, pendant que je jouais, tout le temps, j'entendais de la musique dans ma tête. C'est cela être acteur. C'est juste des superpositions de choses....


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