Par les décisions aussi uniques qu'iniques qu'il a adoptées, le dernier conseil de gouvernement aura levé le voile sur la guerre menée par les décideurs au petit peuple. Aux jeunes harraga, le message est aussi limpide que les eaux de la Méditerranée qu'ils tentent de traverser : vous bougez, on vous jette en… taule ! Aux Algériens de la couche moyenne – résiduelle – qui souhaitent acquérir des voitures à crédit, on leur signifie net : vous allez payer plus cher ! Eh oui, ceux qui président aux destinées du pays pensent qu'il n'y a pas grande différence entre un terroriste et un harraga. Les deux sont désormais des criminels ; la loi faisant foi ! Fini donc le discours emphatiquement paternaliste et patriotard aux entournures, qui appelait, suppliait même, ces jeunes tentés par la grande traversée de rester au pays et de faire confiance aux autorités. Il faut croire que le bâton a remplacé la carotte et l'Etat algérien a retrouvé le « métier » qu'il maîtrise par-dessus tout : la répression. Alors que la population carcérale bat déjà tous les records, les autorités inventent, légalement, une autre catégorie de détenus qui iront, dans quelques semaines, grossir les bataillons des rebuts de la société. Le code pénal amendé en septembre devrait être « enrichi » de quelques articles, histoire de « caser » ces harraga apparemment inclassables dans les plans de sauvetage et d'insertion de nos gouvernants. La main lourde de l'Etat va donc s'abattre sans discernement, mais surtout sans pitié ! Que le harrag soit ingénieur, économiste, biologiste, plombier, ou simple oisif sans perspective, force reviendra à la loi… de la force. Mais question : y a-t-il un seul Algérien qui ne soit pas au pouvoir, qui serait d'accord pour qu'on envoie ces jeunes désespérés en prison, alors même qu'ils sont prisonniers d'un système qui les a exclus de son circuit ? Il est sans doute politiquement contre-productif et moralement inacceptable de mettre derrière les barreaux des jeunes pour avoir refusé la fatalité de mourir en silence chez eux. Le propos ici est évidemment moins de justifier ce saut dans l'inconnu de nos enfants que celui d'interpeller l'Etat sur la dangerosité du procédé faussement dissuasif qu'il met en œuvre. La preuve nous est donnée par les 66 nouveaux harraga interceptés à Annaba le jour même de l'annonce de cette loi les criminalisant… Gouverner, c'est prévoir, dit-on, mais nos honorables responsables semblent n'avoir rien vu ou alors ne veulent rien voir qui gênerait leur visibilité politique. Quoi de plus facile, in fine, de jeter en taule un harrag faute de pouvoir le comprendre, et de faire payer fortement à l'Algérien lambda le « luxe » de s'offrir une petite voiture et à crédit ! Le peuple algérien, au nom duquel on fait ces lois, n'est pas consulté. Mais la justice va rendre le verdict en octobre en son nom et contre les harraga.