Jeune couple et sans enfants, Algérois et sans voiture, Saber et Kawter sont à Tigzirt, pour un départ clandestin hypothétique. Ils ont mis tout ce qu'ils avaient dans ce voyage, soit 200 000 DA et toutes leurs illusions déçues, soigneusement emballées. Le matin, levés de bonne heure, ils ont pris un café et un croissant kabyle, objet alimentaire qui a la forme du croissant mais la consistance du manioc, la texture du kapok et le poids d'un bloc de ciment séché. Puis sont allés voir le contact, recommandé par Karim PDP, alias Karim Pas de problème. Ils l'ont trouvé sur la grande plage en train de repeindre des crevettes tout en leur expliquant qu'il faut aller se vendre à Alger, et à pied. Farid ? Le jeune homme n'a même pas levé les yeux : C'est vous le couple ? Oui. Karim t'a appelé ? Le jeune pêcheur s'est levé : Annaba c'est grillé, comme les crevettes. Maintenant il vaut mieux partir du Centre. Justement. Le pêcheur poursuit : Vous êtes au courant ? Maintenant s'ils vous attrapent c'est la prison. Avec les terroristes et les kamikazes. Saber n'a pas osé lui expliquer qu'un kamikaze ne peut qu'aller en prison Les kamikazes repentis, bien sûr. Dix minutes plus tard, le couple apprend que le départ est bien prévu mais de plus loin, de Tighremt, charmant village sur la côte ouest de Béjaïa. Tighremt ? Nagez, mangez, buvez de l'air, passez du bon temps, je vous contacte. J'ai votre numéro. Le couple se retire, un peu déçu. Ils ont traîné au bord de la mer, puis sont allés manger dans un petit restaurant aux nappes de papier. Non, non, pas de crevettes. Ça ne pouvait pas marcher aussi facilement, conclut Saber. Appelle Karim, demande Kawter. Ce soir… Un serveur arrive lentement en glissant, flottant sur un océan d'indifférence : Je vous conseille un frites-omelette, les pommes de terre ont baissé. … A suivre