Le dernier tour de France cyclisme nous a révélé de nouveaux cas de dopage, en dépit d'un contrôle de plus en plus rigoureux et d'une campagne de sensibilisation intense. La persistance du recours aux produits dopants en milieu sportif, malgré les dangers sur la santé et les sanctions qui guettent leurs auteurs, devrait nous interpeller afin d'en maîtriser les véritables causes et d'apporter les solutions appropriées, particulièrement en Algérie où ce phénomène, sans être inquiétant, appelle à la vigilance. La pratique sportive de compétition accorde aujourd'hui une place déterminante à la condition physique, transformant l'athlète en véritable gladiateur. L'entraînement contemporain est parfois pluriquotidien, sollicitant l'organisme de façon quasi inhumaine. L'homme a ses limites en termes de potentialités physiques, aussi bien au niveau de la fonction cardiovasculaire que celle de l'appareil locomoteur. Malgré les possibilités d'explorations dont disposent les spécialistes aujourd'hui, des accidents assez souvent graves surviennent encore sur le terrain, mettant parfois en péril la vie du pratiquant. La question à poser et celle de savoir si les cas de mort subite encore enregistrés chez des sportifs largement suivis au plan médical sont dus à une éventuelle limitation des moyens d'investigation ou tout simplement à une agression physique dépassant les limites physiologiques de l'organisme. La charge physique imposée aux athlètes atteint des niveaux que le « rationnel » arrive difficilement à admettre ; le sportif de haut niveau est devenu une véritable machine destinée à réaliser des résultats quel que soit le prix à y consentir. Cette hystérie du résultat est justifiée par l'impact du sport de compétition au plan socioéconomique et même politique. N'a-t-on pas assisté à des conflits armés déclenchés à partir d'une rencontre sportive (Salvador - Honduras) ou des reprises d'échanges diplomatiques suite à des confrontations sportives (Etats-Unis - Chine) ? N'a-t-on pas vu des joueurs emprisonnés par leurs dirigeants politiques suite à une défaite ou même assassinés par des supporteurs chauvins ? Au plan matériel, de véritables empires économiques se construisent autour du sport, ce qui justifie à la fois les salaires faramineux et primes de sponsors accordées à certains pratiquants devenus symboles, donc porteurs de valeurs publicitaires importantes. Le champion aujourd'hui, particulièrement dans certaines disciplines (football, athlétisme, tennis), peut générer de véritables fortunes pour toute l'entreprise qui l'emploie (club, dirigeants, staff technique) et celle dont il véhicule la marque. L'évolution de la pratique sportive de compétition fait que des deux motivations précédemment citées (politique et matériel), c'est cette dernière qui prend largement le dessus, écrasant toute notion de sacrifice pour les couleurs, de respect de l'éthique et de protection de la santé. L'argent devient ainsi le véritable produit dopant à l'origine de toutes les autres drogues stimulantes. Malheureusement, ce produit ne figure pas sur la liste des produits prohibés par les instances sportives mondiales et ne fait pas l'objet d'une stratégie ou politique de contrôle susceptible de prévenir les recours dangereux aux moyens toxiques et illicites. L'Algérie commence à être touchée par ce phénomène de dopage monétaire qui entraînera inévitablement les sportifs à rechercher les drogues susceptibles de briser artificiellement les limites physiologique de l'organisme. Le football, sport le plus médiatisé dans le pays, est aujourd'hui, par endroits, otage de mercenaires et trabendistes qui manipulent des milliards, non pas pour développer la discipline et faire émerger de jeunes talents algériens, mais à la recherche effrénée de résultats immédiats destinés à « étoffer » le bilan à court terme et à entretenir l'image des sponsors, dont la contribution financière profite souvent plus aux dirigeants qu'à la discipline. Cette mentalité, étrangère à nos valeurs morales il y a encore quelques années, va inévitablement conduire nos athlètes à recourir à tout moyen susceptible de faire engranger des fortunes. Les dirigeants, le staff technique et parfois, hélas, même le staff médical, chargé de protéger la santé des pratiquants, sont directement impliqués ou complices de dopage, en raison des répercussions matérielles plus que confortables d'une victoire en compétition. Organiser des séminaires sur le dopage sportif, prévoir des moyens de contrôle par des analyses en laboratoire resteront insuffisants, voire illusoires tant que la volonté politique ne s'oriente pas vers la maîtrise du premier produit dopant que constitue l'argent, dont la manipulation incontrôlée par certains dirigeants véreux risque de compromettre gravement la santé de nos athlètes et de stériliser les possibilités de développement sportif dans notre pays. Le Pr Yahia Guidoum, ex-ministre de la Jeunesse et des Sports, avait bien compris ce danger et entrepris de le prendre en charge (avec un peu trop de passion tout de même) ; c'est peut-être là une des raisons de son départ du secteur. Une première bataille contre le dopage est perdue, la guerre contre ce fléau risque d'être longue et désastreuse. L'auteur est Professeur en médecine du sport