En terminant la lecture du livre Journalistes, des mots et des doutes, sous la direction d'Henri Weill (journaliste indépendant), on a d'abord le sentiment d'avoir tout compris sur la profession. Cette compilation (30 contributeurs) de témoignages intimes d'intervenants donne une idée globale sur les facettes du métier dans le sens de sa pratique et non de la théorie et allant des premières sensations des étudiants ou des débutants jusqu'au grand reporter de guerre, presque au bord de la déprime. Le choix d'Henri Weill, qui a déjà donné une conférence au Centre culturel français d'Oran et assisté, en mars dernier, à l'ouverture du séminaire de formation organisé au profit des journalistes d'El Watan de l'ouest du pays, traduit une volonté d'embrasser autant que possible le champ médiatique dans lequel baignent les intervenants : presse écrite, radios, télévisions, agences de photographies, éditions sur le Net, accès aux photos satellites et la liste est longue. Le souci était sans doute de laisser exprimer par eux-mêmes les rapports qu'entretiennent les acteurs qu'ils soient pigistes, éditorialistes, correspondants, etc., avec le monde qui les entoure, avec les idéologies opérantes, avec leurs propres doutes, leurs erreurs et avec l'Etat ou même avec la raison d'Etat (affaire du Rainbow Warrior, thème traité par l'auteur). Par certains de ses aspects, ce livre laisse effectivement penser à une universalité de la profession. En donnant la parole à d'anciens reporters d'un côté et, de l'autre, en tenant compte de la nouvelle tendance dite du « citoyen journaliste » rendue possible par les nouvelles technologies des équipements multimédias intégrant texte, photo et vidéo et par la prolifération des blogs, le livre donne également un aperçu historique sur l'évolution du métier. Mieux, dans un scénario de « média-fiction », Alain Hertoghe anticipe sur « le rôle de 5e pouvoir de la communauté des bloggers, contrebalançant celui de la presse, elle-même surveillant les trois premiers pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) et qui ne constitue que la première étape de l'émergence des jouebs comme nouveaux médias ». Le « détenteur de carte de presse » (un blog) prévoit que ces journaux du Web ne vont pas tarder à révéler des informations avant ou même à la place des journaux radios et télévisions, car, poursuit-il, « les journalistes indépendants qui les ont créés seront beaucoup moins sensibles aux pressions diverses et variées de l'establishment ou au politiquement correct de la profession. » Retour au présent et pour ce qui est d'un parallèle à faire avec l'évolution de l'expérience algérienne et un intérêt qui commence à se développer autour de l'information de proximité, la nécessité de valoriser les activités dans tous les recoins du pays, ce qui suppose un rôle qualitatif et quantitatif à jouer par les localiers, le témoignage de Michel Richard traduit certaines préoccupations qui peuvent être facilement partagées. Le titre de sa contribution en lui-même est évocateur d'une réalité commune : « Le quotidien du localier : papa, le député et le maire t'ont appelé et sont en colère, le président du club de foot est mécontent de ton article et un arbre est tombé rue de la République… » M. Richard relève, à juste titre, que « le moindre écart de la convention prétendument établie selon laquelle tout va pour le mieux dans la meilleure des villes est souvent perçu comme une volonté de nuire ». Cette conclusion peut expliquer, à elle seule, beaucoup de déboires vécus par des journalistes. Pour avoir dénoncé la malpropreté de la ville « Monsieur le maire me battit un peu froid pendant quelques jours », était-il encore noté dans cette même contribution qui rend hommage au localier, journaliste de tous les terrains « appelé à balayer tous les champs de l'actualité, l'économie, le social, la politique, l'urbanisme, la justice la culture, le sport… voire l'agriculture quand elle subsiste aux marges de l'agglomération ». Au milieu de ce véritable petit artisanat qu'est la locale, M. Richard prévient : « Dans ce domaine sensible de la politique locale, je me suis toujours abstenu de nouer de trop solides amitiés et au moins me suis-je constamment efforcé de bien séparer les choses. » Henri Weill Journalistes des mots et des doutes Editions Privat (collection arguments) 2005, 282p