Ni peur ni confiance…Vous êtes d'El Watan ? Alors vous êtes des ‘'wataniyine'' (Patriotes) comme nous », lance dès l'accueil El Hadj Ahmed d'un ton taquin. A 75 ans, notre hôte est le doyen des Patriotes du village d'Igoujdal, dans la commune d'Aït Chaffaâ, près d'Azzeffoune, premier groupe de résistance populaire à avoir pris les armes contre le terrorisme en Kabylie. Il nous a aimablement reçus dans sa maison, en compagnie de son fils, Meziane. « Ournougad, ournoumine, lanatshadar. » « Ni nous n'avons peur, ni nous faisons confiance. Nous sommes vigilants. » Telle est la réplique de Si Ahmed qu'il profère comme une devise en réponse à notre question sur le risque terroriste en Kabylie. L'homme tient dans la main une revue avec des images de massacres perpétrés par l'armée coloniale. Il se remémore son passé d'ancien moudjahid ayant même servi sous les ordres du colonel Amirouche. « C'est la flamme de 1954 qui nous a poussés à reprendre les armes pour défendre notre honneur », dit-il. « Quand le terrorisme a commencé, il y avait un groupe armé qui rôdait dans le coin. Nous leur avons envoyé un émissaire en leur disant que cette région avait beaucoup donné durant la Guerre de Libération nationale, qu'elle comptait beaucoup de veuves de chahid et d'orphelins et qu'ils devaient se tenir loin du village. Ils n'ont pas voulu obtempérer, alors nous nous sommes organisés pour nous défendre », raconte âmmi Ahmed. Il nous explique que les villageois ont compté au départ sur leurs propres armes, de simples fusils de chasse. « Nous sommes des paysans, et, chez nous, chacun possède son propre fusil. Quand nous avons décidé de créer le premier groupe de résistance, tout le village s'est levé comme un seul homme », insiste-t-il. Meziane disparaît à un moment donné avant de revenir avec un long fusil à deux coups. « Ce fusil date d'avant la naissance de mon fils », confie âmmi Ahmed. Tout en se disant pour la « moussalaha », Si Ahmed regrette que la charte pour la paix et la réconciliation nationale n'ait pas prévu un texte garantissant un statut spécifique pour les Patriotes. « Je ne vais pas vous demander : pourquoi un repenti est-il mieux considéré qu'un Patriote. Je ne veux pas verser dans cette polémique. Nous, nous souhaitons vivement que ces gens déposent les armes et reviennent à la raison. Un seul terroriste qui renonce à l'action armée, c'est combien de vies humaines épargnées. Il faut éradiquer l'hérédité de la haine. En 1962, il y avait les harkis et on leur a pardonné. Au reste, nul ne sait ce qui se passe dans les maquis quand les militaires capturent des terroristes. Il n'est pas dit qu'ils ne sont pas exécutés à l'abri des regards. Mais l'Etat doit, en tout état de cause, trouver une solution à tous ces hommes qui se sont sacrifiés pour le pays, qui ont délaissé leur travail, leur famille, pour se mettre au service de la patrie. » Le doyen des Patriotes d'Igoujdal affirme que ses hommes n'ont guère été désarmés, soulignant que le fusil ne sera pas posé avant que cette douloureuse épreuve ne connaisse son épilogue.