Ce sursaut de résistance dans ce village de Kabylie a servi de catalyseur à l'organisation de la résistance à travers le territoire national. Le Patriote. Un mot qui, du temps du terrorisme, a pris sa forme la plus concrète en Kabylie où sont nés les premiers groupes d'autodéfense. C'est dans le village Igoujdal, dans la commune d'Aït Chafaâ, à une trentaine de kilomètres de la ville côtière d'Azzefoun et à 95 km à l'est de Tizi Ouzou, qu'est né le tout premier groupe de Patriotes avant de faire tache d'huile en Kabylie, puis dans tout le pays. C'était un certain 31 juillet 1994 que ce premier groupe a vu le jour suite à une attaque perpétrée par un groupe terroriste qui voulait délester les villageois de leurs biens. La riposte de ces derniers était musclée. Elle a duré près de 2 heures racontent les habitants du hameau qui, 14 ans après, gardent encore en mémoire ce terrible événement comme s'il s'était produit la veille. À l'époque, tous les médias, nationaux et étrangers, en ont parlé. Igoujdal est devenu, depuis, la référence, le meilleur exemple même de la résistance populaire et l'implication de la société civile dans la lutte contre l'hydre terroriste. Ce sursaut de résistance a drainé dans son sillage des milliers de personnes durant les années de braise. Mais combien sont-ils encore aujourd'hui à poursuivre cette lutte ? Comment et dans quelles conditions vivent-ils ? Comment apprécient-ils l'évolution politique du pays à l'aune de la réconciliation nationale ? Et, surtout, qu'espèrent-ils obtenir de l'Etat ? À Igoujdal, ce fief de la résistance, perché sur une colline dressée au milieu du néant, tout le monde peut parler des Patriotes car c'est tout le monde qui l'était. Rachid aborde à cœur ouvert le sujet, même s'il avoue être dépassé sur certaines questions. Il sollicite la présence de aâmmi Ahmed, le doyen des Patriotes du village. “Même si le terrorisme est toujours là, dans notre village, le calme est revenu. Nous n'avons plus peur mais nous continuons à être vigilants”, dira Rachid, ce jeune Patriote qui a pris les armes contre le terrorisme à l'âge de 20 ans. “À l'époque, nous, les jeunes, nous ne comprenions même pas ce qui se passait. C'était les plus âgés qui nous faisaient comprendre et c'étaient les anciens maquisards qui nous apprenaient à opérer sur le terrain”, rapporte-t-il. Aujourd'hui, il a 34 ans et il demeure Patriote. “J'ai passé toute ma jeunesse dans la lutte antiterroriste et, aujourd'hui, c'est tout ce que je sais faire”, dira-t-il. Quatorze ans de lutte antiterroriste et toujours le même salaire de 11 000 DA. C'est juste une prime, disent certains. “Y a-t-il un salaire plus dérisoire par rapport au risque encouru ?” s'interroge le compagnon de Rachid. “La seule différence est qu'avant, nos salaires n'étaient pas versés mensuellement”, expliquera notre interlocuteur. En évoquant l'idée que tous ces jeunes Patriotes soient intégrés dans la police communale, Rachid laisse échapper un sourire ironique suivi d'un profond soupir. Il ne semble plus y croire. À propos de la subsistance du terrorisme, Saïd dira que “le phénomène prend une ampleur mondiale sauf que dans notre pays, on ne cesse de supplier presque ceux qu'ils qualifient d'égarés à revenir sur le droit chemin alors que la réalité est là : des bombes explosent encore chaque jour”. Plus dramatique encore, estiment d'autres Patriotes, “ce sont ceux qui ont résisté contre le terrorisme qui font les frais de cette politique de réconciliation”. Loin d'Igoujdal, un peu partout en Kabylie, plus d'un millier de Patriotes continuent de traquer le terrorisme dans le silence. “On est isolé depuis les années 2001 à 2002. On nous fait à chaque fois sentir qu'on n'a plus besoin de nous. On se sent abandonnés”, nous expliquera Idir, un Patriote de 38 ans. “La prime de 11 000 DA a été supprimée pour de nombreux Patriotes. Certains ont été contraints d'échanger leur arme de guerre contre des fusils à pompe et on passe sur les munitions qu'on ne nous donne plus.” Son compagnon de combat, Kamel, âgé de 42 ans, est père de 4 enfants. Il vit de cette prime de 11 000 DA, mais il préfère plutôt parler du rôle des Patriotes que de leurs conditions socioéconomiques, qu'il résume d'ailleurs en un mot : désastreuses. “On était le pilier des renseignements, on faisait des briefings au moins chaque semaine et on était en contact permanent avec la population. On servait d'intermédiaires entre celle-ci et les services de sécurité et c'était d'une importance capitale dans la lutte antiterroriste. À l'époque, chaque opération portait ses fruits”, nous expliquera-t-il, précisant qu'“aujourd'hui, chacun est dans son coin à veiller sur sa personne et sa famille. La ferveur du patriotisme qui nous a poussés à prendre les armes en 1995 coule toujours dans nos veines mais les multiples dysfonctionnements qui sont apparus nous démobilisent (…) Même si on dispose de renseignements fiables et d'une grande importance, on ne trouve plus à qui les fournir. Ils préfèrent travailler avec les repentis qu'avec nous, croyant qu'ils sont plus efficaces”, ajoutera-t-il. S. L.