Le passé pour rentrer dans l'œuvre ne peut hélas être dévoilé ici, car sinon le charme de la lecture s'en trouverait affecté. Mais peu importe, et au contraire, cela incite à avancer et arriver au bout de cet épais roman dans lequel on ne s'ennuie pas une seconde. Khadra aime écrire finement, ciseler ses phrases, leur donner vie et sens. On le suit avec délectation. Paris : De notre bureau Là où il le peut dans sa campagne de promotion, le romancier algérien dit que son dernier livre est celui qu'il voulait écrire depuis longtemps. On peut lui rendre grâce de l'avoir fait, ici et maintenant, en ces temps où l'ère de la colonisation s'éloigne avec ses témoins qui s'en vont au fil des ans, dans cette Algérie qui se débat avec les chances de sa liberté recouvrée. Yasmina Khadra, alias Mohamed Moulessehoul, est profondément attaché à sa terre. Il l'avait suffisamment prouvé avec ses premiers livres publiés à Alger dans les années 1980 sous son patronyme et amplifié dans les romans de sa magistrale accession à la notoriété, dès la fin des années 1990. Dans Ce que le jour doit à la nuit (Julliard 2008), Khadra révèle simplement que son immense talent, reconnu dans le monde entier (il est traduit en 30 langues) ne doit rien aux épiphénomènes historiques que nous avons vécus ces 20 dernières années. Si avec Les hirondelles de Kaboul et Les sirènes de Baghdad, il s'était un temps éloigné de l'Algérie et de ses pulsions, il y revient dans un profond témoignage historique, en pas moins de 400 pages. Au travers des yeux de Younes, on découvre, brossée admirablement, depuis les années 1930, l'épopée d'un pays dominé par la France et qui se débarrassera du joug au bout d'un combat qui reste légendaire. Younes est devenu Jonas après son adoption par son oncle pharmacien, marié avec Germaine, une Française installée en Algérie depuis plusieurs générations. Son statut, dès lors, devient ambivalent. Arabe mais aussi Français, l'Histoire avec un grand H lui passe un peu au-dessus. Il a quitté la misère d'un père obligé de rejoindre Oran après l'incendie de ses champs, mais rentre dans la bourgeoisie. Ses amis sont tous des pieds-noirs de diverses origines. Dès lors, il ne verra plus le sordide qu'avec ses yeux de nanti, sans jamais cependant oublier qui il est. Malgré tout, lorsque la guerre de libération éclate, en dépit d'un oncle ancien militant nationaliste messaliste, il ne fera qu'observer, ne jouant un rôle que lorsqu'on lui demande de participer aux soins, de par la fonction de pharmacien qu'il a continué après son oncle. On le suivra jusqu'à l'indépendance avec ensuite un grand vide, avant de le retrouver en 2008, moment où sont racontés cette histoire et son épilogue. Alors, bien sûr, il y a cette romance d'amour qui a largement servi de pré-vente au livre depuis au moins un an. Cette histoire d'amour impossible entre une Française d'Algérie et Younes, symbole illusoire d'un amour raté entre la puissance coloniale et l'Algérie colonisée. C'est un fil du livre, mais à trop tirer dessus, on le casse. Khadra est plus fin que cela. Le ratage est subliminal, il n'est pas là où l'on croit... En réalité, ce soubassement romanesque n'est qu'une fiction dans la fiction, histoire de dire que finalement, tout relève de l'histoire malmenée et surtout de la psychanalyse, de quelque bord que l'on soit. Dans le dernier chapitre, qui se passe en 2008, à Aix-En-Provence (où réside Khadra), l'auteur lui-même laisse beaucoup de questions ouvertes et de douleurs purulentes. On atteint la dernière ligne, heureux d'avoir fait avec lui un voyage dans un temps tellement humain, et ce qui demeure surtout, c'est le petit frisson du plaisir littéraire. * Le livre est paru aux éditions Julliard Paris, 2008. Il est à paraître prochainement à Alger aux éditions Sédia.