«Je suis un polygame littéraire et je vous assure, qu'entouré de livres, je me sens comme dans un harem.» Slimane Aït Sidhoum revient dans son troisième roman, Les révoltes feutrées (Editions Chihab), sur la guerre d'Algérie telle que vécue par son père dans la région de Kabylie. Après un premier roman autobiographique où il narre un passage douloureux de sa vie et un autre roman plus imaginaire, Slimane Aït Sidhoum a choisi de revenir sur une page importante de notre histoire, mais pas en tant qu'historien. Il choisit l'art du roman pour dire la guerre. L'Expression: Votre troisième roman, tout comme les deux autres, est inspiré d'événements réels. Est-ce à dire que vous êtes un auteur qui accorde une importance plus aux choses vécues qu'à l'imaginaire? Slimane Aït Sidhoum: Je crois que l'on ne peut pas séparer les deux. Le réel c'est ce que l'on vit au quotidien et c'est ce qui actionne l'imaginaire. Donc, dans mon travail d'écrivain, les événements réels sont le point de départ de toutes les intrigues que j'essaie de mettre en branle dans mes romans. Autre chose que je n'ai pas inventée, mais qui est là depuis l'époque classique qui précède le romantisme, c'est le phénomène de la vraisemblance auquel aspire chaque auteur, c'est-à-dire essayer de coller à la réalité. Le réel est le déclencheur et l'imaginaire nous permet de construire des univers nouveaux et des possibilités de réel qu'on n'a pas l'habitude de connaître; en un mot, avoir cette capacité de toujours surprendre les lecteurs. Dans l'un de ses textes, Yasmina Khadra a écrit que vous êtes l'un des écrivains les plus prometteurs de la nouvelle génération. Pourquoi, d'après vous, cet écrivain célèbre apprécie tant vos romans? Tout d'abord, c'est très encourageant pour moi qu'un grand écrivain comme Yasmina Khadra apprécie mes romans, cela prouve que quelque part on est sur le bon chemin et qu'il faille persévérer. Ensuite, je pense que tous les écrivains algériens ont à peu près la même sensibilité et la même appréhension des problèmes. A partir de là, il y a une prédilection pour nous de regarder d'abord ce qui s'écrit en Algérie avant de passer à la littérature universelle. Il ne faut pas oublier aussi de tout relativiser et de garder à l'esprit, que pour chaque écrivain qui débute, on dit de lui qu'il est prometteur et c'est l'avenir qui dira si on arrive à tenir la route ou pas. Depuis trois ans, vous êtes en France pour des études. Etre loin de son pays, peut-il constituer une source d'inspiration ou, au contraire, représenter un blocage pour la création littéraire? Il est difficile de répondre à cette question et cela dépend toujours de chaque écrivain, comment il appréhende sa cuisine interne. Je suis convaincu qu'un imaginaire fertile peut s'implanter partout et n'a pas de frontière ou de terreau spécifique. Pour moi, pour l'instant, je me consacre à mon travail de recherches doctorales et il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Après la publication de mon troisième roman Les révoltes feutrées, je pense écrire un quatrième et l'idée fait bien son chemin. Le lieu n'est pas déterminant, pour moi, il s'agit seulement de trouver le temps et le moment opportun. Depuis que vous êtes en France, votre vision de la littérature a-t-elle changé? Je peux dire que ma vision de la littérature a plutôt évolué parce que l'on fait de nouvelles lectures, des rencontres intéressantes et surtout qu'il ne faut pas idéaliser les écrivains et la fonction littéraire. J'appréhende les choses d'une autre façon. J'essaie aussi de rechercher comme tous les hédonistes du plaisir en lisant et ne pas accorder trop d'importance aux théories littéraires dans lesquelles je baigne. La curiosité reste le moteur principal qui me fait aimer de plus en plus la littérature. Vous êtes un grand lecteur de romans. De tout ceux que vous avez lus, lequel souhaiteriez-vous emmener avec vous sur une île pour le relire à satiété? Je vais répondre sincèrement à cette question en vous disant que je ne suis pas désespéré du genre humain pour aller m'exiler dans une île déserte et qu'au contraire, moi je recherche la foule et les rencontres. Ensuite, est-ce que vous imaginez une vie où l'on n'a qu'un seul roman à portée de main? Cela doit être triste à mourir et affligeant. Moi, je suis un polygame littéraire et je vous assure, qu'entouré de livres, je me sens comme dans un harem. Donc, en littérature, je milite pour l'infidélité à outrance et cela doit être une vertu cardinale pour tout lecteur sain d'esprit. Vous avez constaté sans doute la faiblesse du lectorat en Algérie. Quel est le sort des écrivains algériens qui ne parviennent pas à se faire publier en France? Je ne sais pas ce que vous appelez par faiblesse du lectorat en Algérie. Peut-être que vous voulez dire le potentiel des lecteurs est faible et si c'est de cela qu'il s'agit, il ne faut pas perdre de vue que le livre en Algérie coûte un peu cher par rapport au niveau de vie du citoyen et à partir de là, investir dans la lecture devient problématique quand il y a tellement de choses urgentes auxquelles il faut faire face au quotidien. Maintenant, c'est à l'Etat de jouer son rôle, puisqu'il y a embellie financière, en soutenant activement le livre et les éditeurs qui font un métier difficile. Concernant la deuxième partie de votre question, je crois que le plus important c'est de trouver un éditeur qui vous fasse confiance et qui vous accompagne. Pour moi, publier en France n'est pas une obsession de tous les jours. Surtout quand on voit ce qui se publie et le nombre impressionnant de romans qui sortent chaque année. Pour la rentrée de septembre, on annonce plus de 800 nouveaux titres et la question que l'on se pose: est-ce qu'un auteur jeune et inconnu peut trouver sa place parmi cette inflation livresque? Autre chose, cela fait trois ans que je suis en France et à part des auteurs comme Yasmina Khadra et Boualem Sansal, je n'ai vraiment pas été emballé par les best-sellers médiatisés. Il y a une exception à cela et je citerai pour les lecteurs, Muriel Barbery qui a sorti, en 2006, L'élégance du hérisson. Je pense que c'est un des romans les plus forts et les plus parfaits que j'ai lus et cela depuis longtemps. Voilà maintenant, je crois que l'on ne doit pas suspendre son sort à une hypothétique publication en France et de se mettre toujours en tête qu'un bon manuscrit se défend seul. Quels sont les écrivains qui vous inspirent et dont on peut retrouver les traces dans vos romans? Là aussi, c'est toujours difficile de le dire et je laisse ça aux spécialistes de la littérature le soin de faire les correspondances avec les influences que j'ai eues. Cela reste du domaine de l'inconscient, et toutes les choses lues sont retravaillées par notre imaginaire pour ressortir dans nos écrits. Mais je peux toujours vous dire que j'aime les écrits des pères fondateurs de la littérature algérienne et de cette nouvelle génération qui fait des bonnes choses sans oublier Kundera, Amado, Cossery et tant d'autres que je ne peux citer faute de place.