Salvatore Gullota, la cinquantaine, est un homme sans état d'âme. Lorsqu'il parle des immigrés arrivés de manière illégale sur son île, il use de mots comme « expulsion systématique », « fermeté absolue », « mesures impitoyables ». Cagliari (Sardaigne) : De notre envoyée spéciale Ce Sicilien de Taormina nous répète ne pas comprendre comment « les forces de l'ordre algériennes n'arrivent-elles pas à bloquer ces hors-la-loi, alors que tout le monde sait qu'ils partent de la même plage ? ». Ils nous explique que les habitants de Cagliari, capitale de la Sardaigne, se sentent « agressés et menacés par cet envahissement non désiré ». Il faut dire que contrairement à ses prédécesseurs, l'actuel préfet, en poste depuis un an, a renforcé de manière drastique la lutte contre l'immigration clandestine, constituée principalement de nos harraga annabis. Les patrouilles des forces de l'ordre ont été renforcées, sur terre et au large des eaux territoriales, et les nouveaux débarqués sont interceptés avant même qu'ils ne touchent la terre ferme de la Sardaigne. La plupart du temps, quand les harraga débarquent sur le littoral sud de l'île, à proximité des plages de Capo Teulada ou de Sulcis, ils sont déjà escortés par les militaires. Pour appuyer ses propos, M. Gullotta nous dresse triomphalement son bilan : en un an, parmi les 1400 Algériens en situation irrégulière arrivés sur l'île, seule une vingtaine a réussi à mouiller dans l'eau sarde sans être préalablement bloquée. Mais l'infortune des aventuriers a voulu qu'une dizaine d'entre eux se perde aux alentours d'une base militaire de l'Otan, le polygone de tir de Capo Teulada, un terrain de 7200 hectares où les militaires s'entraînent à cibler leurs tirs à partir de la côte. « Ces inconscients ont risqué de sauter sur les mines disséminées au sol pour protéger le périmètre de la base », précise avec un sourire narquois le préfet. Mais les actes de vandalisme commis par 87 jeunes Algériens, dans la nuit de mercredi, dans le tout neuf centre de rétention ouvert il y a trois mois dans une ancienne structure de l'aéroport militaire d'Elmas font perdre tout sourire à l'homme le plus puissant de Cagliari : « Ils ont tout détruit. Les sanitaires nouvellement installés ont été arrachés et brisés, les portes et les fenêtres défoncées, les caméras de surveillance jetées contre les agents… C'est de la pure ingratitude. Notre centre est parmi les plus accueillants d'Italie. » Le responsable italien ne digère pas cet affront car il considère que « i clandestini algerini » sont traités avec trop d'égards durant leur détention dans le centre et que la moindre des choses serait qu'ils se montrent disciplinés, comme les 150 Somaliens qui partagent leur établissement. Sauf que ces derniers, tous demandeurs d'asile politique, sont plus libres de leurs mouvements et peuvent quitter le centre quand ils le veulent. « Les Algériens fauteurs de troubles » Il était minuit passé de quelques minutes, quand la rébellion violente des 87 harraga a éclaté dans le centre d'Elmas, le seul en Sardaigne, voulu par le ministère de l'Intérieur pour faire face à la nouvelle immigration algérienne indésirable. Les hommes des carabiniers et de la police, en tenue antiémeute, ont mis deux heures à calmer les insurgés. Vu l'importance des dégâts enregistrés, les autorités sardes ont décidé de poursuivre une dizaine des harraga présents au moment des faits pour vandalisme et destruction de biens publics. Selon le préfet, il ne s'agit pas d'un acte isolé, un ras-le-bol spontané irrépressible de jeunes privés de leur liberté et devenus violents par désespoir, mais « d'une stratégie que les Algériens, en attente d'expulsion, observent dans plusieurs centres de rétention à travers la péninsule ». Il assure que ces malheureux s'adonnent à la violence par calcul froid : « Ils font cela pour qu'on les transfère dans les centres de permanence temporaire sur le continent. Eh bien, ils vont être servis. » Le préfet a parfaitement reçu le message et une dizaine d'entre eux a déjà été transférée, hier, dans d'autres centres, par des vols réguliers. Ils seront enfermés dans les centres de Bari (Les Pouilles), de Gorizia (à la frontière avec la Slovénie) ou de Ponte Galeria (Rome). Ces structures, qui hébergent un nombre d'immigrés clandestins africains et asiatiques nettement supérieur à leur réelle capacité d'accueil, sont souvent mis à l'index par les organisations des droits de l'homme. Les conditions de vie de leurs occupants sont jugées « inhumaines et insoutenables ». Nos harraga croient avoir plus de possibilités de s'en échapper et de se mêler aux foules métropolitaines, alors qu'en Sardaigne, ils sont pratiquement pris au piège. Mais le gouvernement de droite de Silvio Berlusconi a rendu les contrôles des documents plus fréquents dans les rues des grandes villes, où il a déployé 3000 militaires pour appuyer l'intervention des forces de l'ordre. De plus, la nouvelle loi sur l'immigration expose à des peines d'emprisonnement celui qui offre l'hospitalité à un immigré sans papiers. Ceux qui les font travailler au noir, exploitent leur sueur et les sous-paient ne sont pas inquiétés. C'est un sociologue italien, militant pour les droits des travailleurs étrangers, qui a eu cette boutade assassine lors d'un débat politique sur les politiques européennes en matière d'immigration : « Si les gouvernements européens pouvaient inventer un moyen de ne faire venir dans leurs pays que les bras vigoureux des immigrés et leur demander de laisser leurs cœurs et leurs âmes chez eux, ils le feraient sans hésiter. ».