L'enjeu lié au changement à la tête de l'Etat sud-africain n'a pas échappé aux critiques, considérant que c'est une bataille au sommet, et même un règlement de comptes. Le dernier acte en date est la proposition de l'ANC, devant le Parlement, pour que le président démissionnaire, Thabo Mbeki, quitte ses fonctions jeudi. C'est-à- dire que M. Mbeki n'a même pas le droit de faire ses cartons et de choisir la date de son départ. Une motion en ce sens du chef du groupe parlementaire de l' ANC a même été déposée devant le Parlement. Elle devait l'être dès lundi, mais un petit parti d'opposition a refusé d'accepter une motion d'urgence. Le sujet a donc été placé à l'ordre du jour normal du lendemain. Quant aux conséquences, l'ANC, ultramajoritaire en Afrique du Sud depuis les premières élections multiraciales de 1994, offre désormais le flanc aux critiques, mais joue paradoxalement son unité. « Une scission a peut-être été évitée parce que Mbeki ne sera pas renvoyé par un vote du Parlement » qui aurait entériné les profondes divisions au sein du parti issu de la lutte contre l'apartheid, estime Steven Friedman, directeur du Centre d'études pour la démocratie. Sa nouvelle direction, menée par les partisans de Jacob Zuma, le rival de M. Mbeki plébiscité en décembre dernier à la présidence de l'ANC lors d'un congrès aux allures de coup d'Etat interne, multiplie d'ailleurs les messages conciliateurs. Il a, en ce sens, choisi Kgalema Motlanthe, un modéré respecté par les deux camps, pour assumer les fonctions de chef de l'Etat en attendant les élections générales du 2e trimestre 2009. Mais la nouvelle majorité dans le parti au pouvoir va devoir tenir compte des inquiétudes d'une minorité significative — 40% des délégués au congrès de décembre ont voté pour M. Mbeki — et répondre aux attentes de la base, relève M. Friedman. En outre, les motivations réelles du comité directeur de l'ANC, lorsqu'il a retiré samedi sa confiance au chef de l'Etat, tiennent davantage d'une « République bananière » que d'une démocratie, s'emportait lundi le prix Nobel de la paix, Desmond Tutu. Ce dernier, ancien archevêque anglican du Cap, qui incarne la voix morale de l'Afrique du Sud, a exprimé dans ces circonstances sa « profonde inquiétude devant le fait que la nation (...) soit soumise à la volonté d'un parti politique, aussi majoritaire soit-il ». L'on attend avec intérêt cette période de transition, et surtout ce que l'ANC compte faire pour demeurer, sinon redevenir le parti d'avant-garde, car, en dépit d'un bilan économique élogieux, les Sud-Africains, dans leur grande majorité, n'ont pas bénéficié des bienfaits de la démocratie, ce concept étant entendu dans son sens le plus large. En attendant, la vice-présidente sud-africaine, Phumzile Mlambo-Ngcuka, a démissionné, hier, dans le sillage de Thabo Mbeki. « Elle a remis sa démission de ses fonctions de vice-présidente au président démissionnaire et a également démissionné en tant que députée » de l'ANC, a indiqué le porte-parole, Denzil Taylor. Mme Mlambo-Ngcuka estime que le successeur de M. Mbeki doit pouvoir choisir son propre vice-président, a-t-elle ajouté, citant également des « raisons personnelles ». Cette fidèle du président Mbeki avait été nommée au deuxième poste de l'Etat en 2005, en remplacement de Jacob Zuma, renvoyé pour sa mise en cause dans une affaire de pots-de-vin. C'est dans ce même dossier, dont les faits remontent à 1999, que M. Zuma a été inculpé fin décembre 2007, dix jours après avoir ravi à M. Mbeki la présidence de l'ANC, lors d'un congrès houleux. Le dossier d'accusation a été invalidé le 12 septembre pour vice de forme. Une nouvelle ère s'ouvre pour ce pays. Des interrogations accompagnent cette perspective, mais aucune réponse n'est possible.