Démissionner est la sortie la plus honorable » et permet d'éviter « l'humiliation » d'un vote de défiance ou d'une procédure de destitution au Parlement, note un analyste. Fin de la bataille au sommet en Afrique du Sud et la victime, sinon le perdant, en est le président Thabo Mbeki, accusé d'avoir manipulé l'appareil judiciaire pour écarter de la succession à la tête de l'Etat sud-africain Jacob Zuma, c'est-à-dire celui qui fut pendant trois années son vice-président. Depuis des mois, les partisans de Jacob Zuma réclamaient le départ de Thabo Mbeki, accusé d'avoir orchestré une machination pour barrer à son adversaire la route de la présidence. Ce dernier a été inculpé pour corruption dix jours seulement après avoir ravi au chef de l'Etat la direction de l'ANC (African National Congress). Le non-lieu pour vice de forme prononcé le 12 septembre dans le dossier Zuma par un juge de Pietermaritzburg (sud-est), qui a évoqué « des interférences politiques », a créé « l'élan » nécessaire pour le faire tomber, selon Dirk Kotze, de l'Université d'Afrique du Sud (Unisa). Et en fin de compte, ce dernier a pris sa revanche en s'emparant de l'ANC, et aussi en obtenant un non-lieu de la justice de son pays qui le poursuivait pour corruption. Thabo Mbeki a donc perdu sur tous les tableaux et la presse de son pays a révélé hier les traits d'un homme au bilan au moins décevant comme l'a démontré le triste épisode de la flambée xénophobe. L'Afrique du Sud post-apartheid continue à produire des inégalités et des laissés-pour-compte malgré le boom économique. De nouveaux fléaux sont apparus, tous liés à l'enrichissement illicite et plus généralement la corruption dont a été accusé M. Jacob Zuma. Ce n'est pas la fin d'une ère, puisque l'ANC est sûre de conserver le pouvoir, mais celle d'un parcours visiblement plus long que prévu avec cette demande sans cesse pressante des Sud-Africains pour une réelle démocratie. En ce sens, la presse sud-africaine ne regrette pas le départ du président Thabo Mbeki, « un prince impitoyable », mais déplorait le calendrier retenu par l'ANC, pour le pousser vers la porte. Mais cette bataille soulève un problème institutionnel que relève le quotidien City Press en déplorant que l'ANC, qui dispose de près de deux tiers des sièges à l'assemblée, décide de son propre chef qui sera « le premier citoyen du pays ». La question n'a pas été soulevée ni par les uns ni par l'autre qui a accepté la discipline du parti, et il sait que le populisme dont fait preuve son ancien vice-président ne suffira pas pour gouverner un pays qui fait face à de graves difficultés. « L'Afrique du Sud post-apartheid est à un tournant qui doit être négocié avec beaucoup de précaution », estime Judith February, de l'Institut pour la démocratie en Afrique du Sud (Idasa). « La façon dont l'ANC gèrera cette crise sera cruciale ». Samedi, l'appel à la démission du chef de l'Etat par son propre parti, l'ANC, a fait l'effet d'une bombe. Tout comme l'annonce que Thabo Mbeki allait se plier à cette décision. « C'est surprenant qu'ils aient décidé d'écarter Mbeki si près des prochaines élections » générales, prévues pour le second trimestre 2009, souligne l'analyste. « Maintenant, à eux de prouver qu'ils ont pris cette décision dans l'intérêt du pays. » Et une fois que l'ANC lui eut retiré sa confiance, le président Mbeki n'avait plus vraiment le choix. En l'absence de scrutin présidentiel direct, le chef de l'Etat tient sa légitimité du mandat de son parti. « Démissionner est la sortie la plus honorable » et permet d'éviter « l'humiliation » d'un vote de défiance ou d'une procédure de destitution au Parlement, selon M. Kotze. Pour autant, beaucoup de questions restent ouvertes, note Adam Habib du Conseil de recherche en sciences humaines (HSRC). Cette crise « écorne notre image à court terme, mais pas forcément à long terme », pense-t-il. « Tout dépend de ce que Mbeki va faire exactement, de la manière dont l'ANC va choisir son successeur et de la tenue ou non d'élections anticipées. » Le Parlement, où l'ANC dispose de près de deux tiers des sièges, devrait se pencher demain sur la question. Il peut désigner un président par intérim, ce qui implique la convocation d'élections anticipées, ou d'un président en exercice qui dirigera le pays jusqu'au terme initial du mandat de Thabo Mbeki. Les analystes sont plus réservés sur l'ampleur de la vague de départs ministériels dans le sillage du président Mbeki. Le plus gros point d'interrogation repose sur les épaules de Trevor Manuel, ministre des Finances depuis 12 ans et chouchou des investisseurs qui lui attribuent la croissance soutenue (plus de 5% sur les cinq dernières années) de la première puissance économique du continent. Est-ce vraiment le cas si l'on considère que croissance ne signifie pas forcément développement ? C'est là toute l'appréhension des dirigeants sud-africains qui énuméraient dès 1994, les défis qui attendaient la nouvelle majorité qui a accédé au pouvoir après la chute de l'apartheid.