Le réalisateur et journaliste Salim Aggar a su s'imposer sur la scène cinématographique algérienne par son sérieux et son professionnalisme. Dans cet entretien, l'artiste revient sur la suite de son documentaire ça tourne à Alger, sur sa vision du cinéma algérien et sur ses nombreux projets. Après Ça tourne à Alger, un film documentaire sur les difficultés du cinéma algérien durant la décennie noire, vous vous apprêtez à monter la suite du documentaire Ça tourne à Alger 2. Une production consacrée à quatre réalisateurs algériens issus de l'immigration. Pourquoi ce choix ? C'est une suite logique du documentaire, puisque j'avais filmé, entre 2001 et 2005, les tournages de certains réalisateurs franco-algériens à Alger, c'est le cas notamment pour Yamina Benguigui, Nadir Moknache, Djamel Bensaleh et Lyes Merzak Allouache. Donc il était tout à fait normal que ce documentaire se fasse aujourd'hui. A travers ce documentaire, vous mettez en avant-plan le combat de ces réalisateurs ? Pas spécialement, l'objectif est de montrer que malgré la distance, les réalisateurs franco-algériens sont attachés à leur pays et Alger est souvent leur source d'inspiration. Certains réalisateurs savent bien le rendre, d'autres essayent de tirer profit. Alger est une ville belle qui envoûte les réalisateurs et chacun la filme à sa façon. Je pense que Djamel Bensalah et Nadir Moknache sont plus visuels, alors que Merzak Allouache et Yamina Benguigui sont plus axés sur les psychologies des personnages et de leur entourage. Vous avez choisi de pimenter votre documentaire d'anecdotes et d'images inédites ? Effectivement, il y a beaucoup d'anecdotes, et d'images inédites. Certaines personnes dans le film sont même aujourd'hui mortes, comme Jean Claude Brialy ou encore Toskan du plantier. Mais l'essentiel est qu'on va garder le principe du Making-Of, et contrairement au premier volet, il y aura moins d'interviews, mais plus d'images brutes qui présentent la situation sur les lieux de tournage. Il y aura également une présentation de la situation cinématographique entre l'Algérie et la France, avec notamment des images des frères Lumière, (les inventeurs du cinémascope) qui avaient filmé Alger au début du siècle. Il faut noter que malgré la colonisation, il y a eu très peu de films français tournés en Algérie à cette époque. Après l'indépendance, plusieurs réalisateurs français et algéro-français ont fait des films en Algérie, et plus principalement sur Alger. Vous détenez des images inédites sur le passage à Alger, en 2004, du regretté réalisateur égyptien Youcef Chahine. Serait-il le thème de votre prochain documentaire ? Tout à fait, j'ai suivi la venue de Youcef Chahine durant 3 jours et j'ai même fait une interview avec lui, mais je ne savais pas que c'était la dernière fois que je le voyais. Sa disparition va laisser un grand vide dans le cinéma arabe et africain. Je compte d'ailleurs lui rendre hommage à travers ce documentaire. Mais cette matière ne suffit pas pour faire un documentaire à l'image du grand réalisateur qu'était Youcef Chahine, il faudra donc des compléments de tournages en Egypte. Une équipe sera envoyée à cet effet en novembre, une fois la production fidélisée. Vos documentaires sont focalisés sur le cinéma, comptez-vous vous attaquer à d'autres sujets ou faire éventuellement de la fiction ? Oui, mais il me reste encore deux volets sur le cinéma algérien à compléter, l'un sur Mohamed Lakhdar Hamina et l'autre sur la guerre d'Algérie au cinéma. J'ai mis 6 ans pour produire ça tourne à Alger. Je mettrai beaucoup moins de temps pour faire les autres documentaires, parce que la machine est lancée ; mais l'essentiel pour moi, c'est de garder le rythme de la qualité. La guerre d'Algérie et le Monde arabe sont, entre autres, des sujets de documentaires à mettre en boîte. Pour la fiction, je ne suis pas pressé. Je ferai un court-métrage pour la forme peut-être, ensuite on verra. Vous vous attelez depuis quelques années à l'écriture d'un livre sur le cinéma algérien. Où en est votre projet ? Il est toujours en cours. Ecrire un livre n'est pas une chose aisée, surtout quand il s'agit d'un livre d'histoire, puisque mon ouvrage est un dictionnaire des films et des cinéastes algériens. Il faut savoir que ma qualité de fonctionnaire ne me permet pas de me consacrer totalement à l'ouvrage. Et ma priorité va vers mon travail de fonctionnaire. Donc je consacre mes week-ends à faire des recherches et à l'écriture. Quel regard portez-vous sur la situation dans laquelle se démène le cinéma algérien ? Ceux qui me connaissent vous diront que Salim Aggar a un regard pessimiste et dur sur le cinéma algérien. Je vais être un peu moins sévère cette fois et dire qu'il faut ouvrir des salles pour que le cinéma algérien reprenne de sa splendeur. D'ailleurs, je profite de cette occasion pour saluer l'action de la ministre, Khalida Toumi, qui a décidé de fermer les cabarets de l'OREF. C'est un premier pas pour aboutir à une meilleure promotion de la culture, en général, et du cinéma, en particulier. J'ai été surpris que mon ami Lyes Salem ait trouvé 11 salles de cinéma pour projeter ses films. Mais quand j'ai vu le programme, j'ai constaté que le film était finalement projeté dans des cinémathèques et des maisons de culture. Ce qui est bien en somme, mais ce n'était pas la fonction de ces espaces. Il faut donc ouvrir les salles commerciales pour financer le cinéma et rendre sa place au 7e art algérien.