L'effondrement de deux banques américaines a presque provoqué un remake du jeudi noir de Wall Street, annonciateur de la crise de 1929. Deux inquiétudes. Savoir qu'avec la mondialisation, plus que jamais, tout se tient d'un bout à l'autre de la Terre, depuis l'indice boursier du Dow Jones jusqu'à la laiterie d'Oncle Slimane dans la banlieue sud de Bouchegouf. La promiscuité, c'est connu, rend les épidémies fulgurantes. Savoir aussi que les supertankers de l'économie mondiale, multinationales et tutti quanti, symboles extraordinaires de puissance, peuvent s'avérer des châteaux de cartes. Vroum et patatras ! Et des cadres brillants qui, la veille encore, négociaient des milliards sur la planète, se retrouvent filmés, tels de vulgaires cambrioleurs, s'enfuyant, désemparés, avec leurs petits cartons : objets personnels, inévitable photo encadrée de leur famille. Image de fourmis s'échappant de leur fourmilière écrasée ! Idée que nous sommes tous des fourmis à l'échelle de la géopolitique. Mais que vient faire tout ça dans une chronique culturelle ? Oui, et bien, simultanément, on enregistre des records inégalés sur le marché de l'art. Presqu'au même moment où Wall Street vacillait, l'artiste so british and so marketing, Damien Hirst, réalisait à Londres une vente de 54 de ses œuvres pour 89 millions d'euros, explosant, de son vivant, le record précédent d'enchères de tableaux de Picasso en 1993 pour un montant de 22,5 millions d'euros. Hirst a intitulé la vente « Beautiful inside my head forever ». La beauté dans ma tête pour toujours. Et du fric plein les poches pour longtemps. Et 167 œuvres restent à vendre. Un crâne humain en platine recouvert de 8601 diamants est-il une œuvre d'art ? Ou un vrai veau avec un disque d'or sur la tête et un requin-tigre dans des aquariums de formol ? Faut-il y voir la naissance d'un talent exceptionnel venu bouleverser l'expression artistique depuis les peintures rupestres de l'homme préhistorique ? On peut en discuter. Mais on peut aussi souligner que jamais dans l'histoire, autant d'argent, né de spéculations, et non de création de richesses réelles ne s'est retrouvé concentré entre les mains de si peu de personnes. Au même moment d'ailleurs, 17 syndicats dans le monde du groupe Alcatel-Lucent demandaient à leurs patrons, l'Américaine Russo et le Français Tchuruk, renvoyés après six trimestres consécutifs de pertes, de renoncer à leurs primes de départ respectives de 6 et 5,6 millions d'euros ! Si les dirigeants qui coulent leur entreprise sont ainsi récompensés, on comprend que le marché de l'art aille aussi bien et l'économie mondiale aussi mal. Que des Hirst et autres génies en tirent gloire et profit, grand bien leur fasse. Mais quelle pitié pour la grande multitude terrienne et quel dommage pour l'art !