Les décisions du gouvernement et les mesures annoncées pour aider les populations sinistrées des communes Ghardaïa, Bounoura, El Atteuf, Daya Bendahrou, Guerara, Berriane, Sebseb et Metlili ont été accueillies avec satisfaction par les citoyens, qui espèrent aujourd'hui que l'Etat respectera ses engagements dans les meilleurs délais. Guerrara (Ghardaïa) De notre envoyée spéciale Une semaine après la catastrophe, à Ghardaïa, le quartier de Baba Saâd ainsi que de nombreux autres étaient toujours inondés non pas par l'eau qui a été évacuée, mais envahis par la boue qui rend les accès impraticables et dangereux. Une grande partie de la vallée du M'zab s'est transformée en sables mouvants du fait de la boue qui la recouvre après que les eaux de pluie se soient asséchées. La palmeraie de Guerrara, située à 110 km de Ghardaïa, sur la route de Ouargla est, elle aussi, infranchissable. Ici, les dégâts sont très importants. Les eaux de l'oued Zegrare qui la traverse ont tout dévasté : quelque 200 h de palmiers, d'arboriculture et de cultures maraîchères, ainsi que plus de 400 vaches, moutons et chèvres dont les cadavres en début de décomposition jonchent encore les lieux. En outre, près d'une centaine de puits ont été ensevelis à cause des violentes crues. « Au moins 500 familles habitant les quartiers de Seguiate El Aïn, Djemaya, Mahmoud et Rbarba ont été touchées par les dégâts causés à leurs maisons, dont la plupart ont été détruites. Le seul hôpital de la ville a également été inondé, alors que des routes ont été complètement défoncées par la violence du déferlement des eaux », a déclaré Slimani Bouasbana, adjoint au maire de la ville. Pour lui, le pire a été évité car l'alerte de quitter la palmeraie donnée à temps par la communauté, dès 12h. Cependant, de nombreux agriculteurs n'ont pas pu se sauver et sont restés isolés pendant quatre jours dans la palmeraie sans eau ni électricité ni nourriture. Ils ont perdu leur cheptel. « Les précipitations étaient tellement abondantes qu'il était impossible de les sauver. Il est important de préciser que le barrage Ahbas a évité le pire à la population. S'il n'avait pas retenu toutes ces quantités d'eau, elles se seraient déversées sur la ville et l'auraient rayée de la carte », a déclaré l'adjoint au maire. Pour lui, la plus grande tragédie de la commune a été la perte de 12 enfants d'une même famille. Les enfants sont morts le jour de l'Aïd. Ils ont été enterrés vendredi dernier. Bilallou Brahim a vu ses trois enfants, une fille de 12 ans et deux garçons de 1 et 16 ans, disparaître sous les eaux. Bien qu'abattu, il a quand même accepté de raconter les circonstances de ce tragique accident. En ce jour de fête, il avait emmené ses trois gosses et un neveu voir l'oued Zegrare qui, pour la première fois, était rempli d'eau après les premières chutes de pluie de la matinée. Une rareté que les habitants de la région ont toujours voulu figer sur des photos. L'eau, pour eux, est sacrée. Et lorsqu'elle arrive, elle est accueillie par des youyous et des fêtes. « Les petits récitaient le Coran en se noyant » Il est 12h. Sur la route, Bilallou Brahim rencontre un membre de la famille au volant d'un fourgon dans lequel plusieurs enfants étaient assis. Eux aussi voulaient admirer l'écoulement exceptionnel des eaux dans l'oued. « Mes enfants ont insisté pour rejoindre leurs cousins à l'intérieur du fourgon. Ils sont montés et le fourgon a fait à peine deux cents mètres. Quand le chauffeur a vu que la route était bloquée à l'intersection, il a fait demi-tour. Dès qu'il est arrivé au milieu de la route une vague de plusieurs mètres les a surpris. Il n'y avait aucune goutte d'eau sur la route quelques secondes plus tôt. C'est arrivé tellement vite que nous n'avons même pas eu le temps de réagir. Elle les a envahis de toutes parts et a poussé le fourgon dans une mare. Le véhicule s'enfonçait et ses occupants ont commencé à sortir par les fenêtres pour rejoindre le toit. De nombreux citoyens nous ont rejoints pour tenter de les sauver. Certains ont pu s'en sortir, mais les enfants sont tous restés au fond. J'étais comme un fou en les voyant s'enfoncer dans l'eau et en les entendant crier. J'étais paralysé. Les pompiers sont arrivés, mais ils ne pouvaient rien faire parce qu'ils n'étaient pas équipés. Ils ont coupé la tôle du toit avec des marteaux et des tournevis. Les plus âgés des enfants avaient la tête seulement qui dépassait de l'eau, les autres étaient toujours au fond. Seul le chauffeur a réussi à s'en sortir. A 18h, un privé s'est porté volontaire en se risquant avec son engin pour soulever le fourgon. Quatre corps flottaient encore. Les bras d'un jeune garçon enlaçaient les pieds d'un adolescent. Celui-ci s'est accroché à ses pieds dans l'espoir de remonter vers le toit du fourgon. C'est à minuit que le dernier corps, celui d'un adolescent, a été récupéré. Il était coincé sous le véhicule. » Le récit de Billalou est détaillé. Mais il nous a surpris à un moment lorsqu'il s'est rappelé de ce que le chauffeur rescapé lui a raconté. « Je ne suis pas triste pour mes enfants, ils ne sont pas les seuls. Mes deux frères ont perdu six de leurs enfants, ma sœur deux et mon cousin trois. Je les considère comme des martyrs. Le chauffeur m'a dit que mes enfants récitaient le Coran à haute voix lorsqu'ils se sont rendu compte qu'ils allaient mourir… Je sais ce que j'ai enfanté », a-t-il lancé avant de laisser libre cours à ses larmes. L'instant était très fort en émotion, mais notre interlocuteur est resté digne. Les douze enfants ont été enterrés vendredi dernier en présence d'une foule nombreuse venue de tous les coins de la ville. « Le jour de l'Aïd, nous n'avions pas pu faire la prière sur la placette qui lui est consacrée. Nous étions obligés de la faire à l'intérieur de la mosquée à cause de la pluie. Et vendredi, à leur enterrement, la prière du mort s'est transformée en celle de l'Aïd, au milieu de la placette. Jamais dans l'histoire de la ville la placette n'a accueilli autre chose que la prière de l'Aïd. Pour moi, c'est un signe fort que ces enfants sont au Paradis », rapporte Billalou. Il était venu avec toute sa famille la veille de la fête pour partager la joie de l'Aïd avec les siens. Mais il repartira à Alger, où il réside, sans ses trois enfants, laissés au cimetière de Guerrara. Une ville qui l'a soutenu dans ces moments difficiles et qui a pleuré avec lui la disparition des douze enfants. Billalou indique qu'une autre famille de 5 personnes a échappé de justesse aux eaux de l'oued Zegrare : « Nous avons vu le véhicule arriver et on lui a fait signe. Heureusement qu'il s'est arrêté à temps. » Les habitants de Guerrara attendent néanmoins l'intervention rapide de l'Etat pour sauver leur commune, l'une des plus pauvres de la wilaya de Ghardaïa. Elle manque de tout. Pour 65 000 habitants, elle ne dispose que de deux ambulances, dont l'une date des années 1970 et d'aucun spécialiste. Le seul hôpital de la ville est aujourd'hui submergé par la boue et attend malgré tout de reprendre vie.