Elle n'a pas obtenu le prix Nobel de littérature. Il en est de même pour le poète sud-coréen Ko Un. Peut-être la saison prochaine ? Le Français Jean Marie Gustave Le Clézio, 68 ans, a eu plus de chance. LAcadémie suédoise l'a consacré cette année avec le Nobel (un prix doté de 1 million d'euros) le qualifiant d' « écrivain de la rupture ». C'est le quatorzième écrivain français à être primé depuis Sully Prudhomme en 1901. Le dernier en date fut le Franco-Chinois Gao Xingjian, en 2000. « L'écrivain nomade », comme on le surnomme, a été, à plusieurs reprises, cité parmi les lauréats du Nobel. Cette fois-ci, c'était la bonne. Son pays l'a déjà élu plus grand écrivain vivant de la langue française en 1994. Dès l'annonce de la nouvelle, J.M.G Le Clézio (la signature qu'il préfère) a eu cette déclaration : « Il faut continuer à lire des romans. » Les romans et les essais ? C'est « la chose » qu'il connaît le mieux. L'écriture de ce grand voyageur est marquée par un profond humanisme. Il y dénonce l'hypocrisie évolutive de l'Occident dominant et l'agressivité de l'urbanité supposée moderne. Il met en valeur les beautés simples de la nature, loue les vertus du dialogue entre les cultures et les races et se ressource dans le monde ancien, les Amérindiens, les tribus du Grand Sahara, les peuples d'Inde et dénonce, à grands traits, « le vacarme absurde de la civilisation urbaine »... C'est probablement pour fuir « le bruit » que le romancier a choisi de vivre au Mexique et aux Iles Maurice, aux côtés de Jémia, son épouse, née au Sahara-Occidental. Les îles Maurice sont son endroit préféré. « Parce que c'est la terre de mes ancêtres. C'est ma petite patrie... », a-t-il déclaré à la radio suédoise. Dès le départ, J.M.G Le Clézio s'est distingué de la mêlée en arrachant le prix Renaudot à 23 ans avec Le Procès-Verbal (publié en 1963). Ce roman d'adolescent, écrit dans un café, rappelle, même si le contexte et la charge sont différents, celui de Françoise Sagan avec son célèbre Bonjour tristesse, écrit à 17 ans. « Je leur laisse ces ordures en guise de testament ; sans orgueil, j'espère qu'on me condamnera à quelque chose, afin que je paye de tout mon corps la faute de vivre... », raconte Adam Pollo, principal personnage du Procès-Verbal, comme pour annoncer la couleur. J.M.G Le Clézio, qui a adopté l'errance comme un mode de vie à la fois poétique et mélancolique, établira, à sa manière, des P-V à tout ce qui ne va pas dans ce monde de brutes où les hégémonies s'affrontent et où le plus fort croit avoir le dernier mot. « La guerre a commencé, personne ne sait où ni comment », écrit-il dans La Guerre (paru en 1970) en s'élevant avec art contre cette tendance qu'ont les humains à vouloir s'entretuer. Suivant l'itinéraire de Bogo le muet, principal personnage du roman Les Géants, il ridiculise la société de consommation. « Les cailloux n'ont peur de rien. Ils n'ont pas peur de l'orage, de la mort, du soleil, de la mer. Les dents des cachalots déchirent tout, les hommes, les baleines, les navires, mais elles se brisent sur les cailloux », raconte-t-il en décrivant le sommeil de Bogo sur les galets. Dans Désert (qui a reçu le grand prix Paul Morand décerné par l'Académie française), l'écrivain erre dans le monde magique des « hommes bleus », inspiré, sans doute, par son épouse Jémia, mais l'histoire est puisée dans le souvenir de la jeune Lalla, devenue cover-girl dans une cité froide du Nord, et dans son profond désir de revenir au pays de ses ancêtres. « Chez Le Clézio, si on ne peut pas parler d'absence d'identité, force est de constater que les identités se présentent de manière lacunaire, imprécise ou encore contradictoire. Les personnages échappent souvent au clivage du nom propre, ce qui est le cas pour Laïla, l'héroïne de ''Poisson d'or” », analyse Elisabeth Poulet, professeur de littérature. Dans « Ritournelle de la faim », son dernier roman paru au début de ce mois d'octobre, J.M.G Le Clézio replonge dans l'univers famillial et refait vivre sa mère, à travers Ethel, une jeune fille vivant dans le Paris tourmenté des année 1930 et résiste, à sa façon, à la résurgence de la haine et du fascisme. « J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans », a expliqué l'auteur. Ourania, Gens de nuage, Le Chercheur d'or, Raga, approche du continent invisible, des titres de romans dans lesquels J.M.G Le Clézio voyage, passe d'un continent à l'autre, d'une senteur à une autre, toujours en quête de quelque chose qui fuit, toujours à la découverte de nouveau, d'inconnu, et toujours avec un incroyable sens de tolérance et de vouloir comprendre... « La réalité est un secret, et c'est en rêvant qu'on est près du monde », aime-t-il à dire. La France est le pays qui a le plus arraché de prix Nobel de littérature, suivie des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de l'Italie, de la Suède, de la Russie, de l'Espagne, de la Pologne, de l'Irlande, de la Norvège, du Japon et du Danemark. A eux seuls, ces pays, le Japon mis à part, ont obtenu 76 prix Nobel de littérature sur la centaine attribuée depuis la création de la distinction en 1901. Autrement dit, le monde occidental, le monde du Nord, continue de dominer le Nobel de littérature. L'Afrique n'a eu son premier Nobel qu'en 1991 avec la Sud-Africaine, Nadine Gordimer, et le Monde arabe en 1988 avec l'Egyptien Naguib Mahfoud.On comprend pourquoi Assia Djebbar devra encore attendre. Attendre peut-être que l'Académie suédoise sorte de sa tour d'ivoire et ouvre les fenêtres pour regarder le Sud où vivent des gens qui savent écrire...