L'ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, affirme que le choc des civilisations n'est pas une vue de l'esprit. Invité par les jeunes entrepreneurs méditerranéens, il dit qu'il ne faut pas attendre de miracle de l'Union pour la Méditerranée. Où en est l'Union pour la Méditerranée ? Les jeunes entrepreneurs et les hommes d'affaires attendent beaucoup de cette structure. Ils entendent investir des deux côtés de la Méditerranée… Il ne faut pas trop attendre de l'Union pour la Méditerranée. La Méditerranée n'existe pas, sinon sur le plan océanographique, ou peut-être agricole. C'est plus un projet en construction. Les institutions ne régleront pas tous les problèmes. Pour être sincère, il y a plus d'homogénéité entre les Maghrébins eux-mêmes qu'entre ces derniers et les Européens. Les peuples ont beaucoup de points communs, comme la langue, la religion… Par contre, les dirigeants politiques n'ont pas réussi à donner vie à l'Union du Maghreb arabe, qui n'existe pas d'ailleurs. Les relations sont plus bilatérales. Les pays européens arrivent à surmonter leurs différences, surtout dans les moments de crise. Quand j'étais ministre des Affaires étrangères, je réunissais souvent de manière officieuse les ministres italien et espagnol au Quai d'Orsay pour discuter du Maghreb. On voulait donner l'exemple. Très vite, les intérêts particuliers prenaient le dessus. L'Italie ne voulait pas lâcher la Libye et essayait de grignoter le marché tunisien. L'Espagne de son côté visait le Maroc et lorgnait vers l'ouest de l'Algérie. L'Europe n'arrivait pas à avoir une position commune à 15, imaginez à 27 ! Les hommes d'affaires doivent compter surtout sur eux-mêmes. Il ne faut pas attendre de miracle de l'UPM. Vous dites que vous êtes convaincu que nous sommes en plein clash de civilisations ! N'est-ce pas trop alarmant, exagéré ? Je ne suis pas de ceux qui passent leur temps à tenir des propos lénifiants dans les colloques. Oui, nous sommes en plein clash des civilisations. Pour mon rapport commandé par Nicolas Sarkozy, j'ai fait des études d'opinion, j'ai voulu savoir comment les Occidentaux et les musulmans se percevaient. Les rapports n'ont jamais été exécrables. Quand j'étais ministre, j'en discutais avec Jacques Chirac, qui était Président. Il me répondait qu'il ne croyait pas au choc des civilisations, qu'il préférait parler du choc des incultures. Pour moi, cela revient au même. Une fois ce diagnostic établi, il convient de le combattre, de construire autre chose. Mais ce clash existe. La guerre en Irak est passée par là… La question est : les Etats-Unis sortiront-ils du manichéisme ? Les élections arrivent. La politique étrangère des Etats-Unis de ces dernières années était la plus idiote de ce qu'ils ont eu depuis leur création. Elle était mauvaise et nuisible. Le manichéisme est une vieille religion qui a connu son apogée aux Etats-Unis. On peut résumer cette politique en deux points : discuter avec ses amis et bombarder ou sanctionner ses ennemis. Ce n'est pas ainsi que je vois la politique. Les espoirs sont donc du côté de Barack Obama… L'élection d'Obama aura un impact très fort dans le monde, non parce qu'il est Noir mais parce qu'il est métis. Il n'est pas seulement américain. L'attente est phénoménale, comme s'il sera le président du monde. En Afrique, il y a deux perceptions. Le président ivoirien, Laurent Gbagbo, me disait qu'Obama a fait plus pour les Noirs que Martin Luther King, le révérend Jessie Jackson et les autres. Cependant, pour le président sénégalais Abdoulaye Wade, Barack Obama est américain, uniquement américain. Revenons à la Méditerranée. La question des flux migratoires pose toujours problème. Le Sud perçoit l'Europe comme une forteresse. Aucune société contemporaine ne peut se fermer complètement, mais aucune société complètement ouverte ne peut survivre. Il faut se diriger vers l'immigration co-choisie. Les partenaires du Sud veulent participer à ce choix, discutons avec eux. Et où en sont les relations entre la France et l'Algérie ? On est loin du traité d'amitié. Le traité d'amitié est une vraie fausse bonne idée. On peut être amis sans traité. Des groupes des deux côtés de la Méditerranée ne veulent pas de ce traité. Je dirai que la relation entre la France et l'Algérie est routinière et attentiste. Comment vous, l'ancien ministre des Affaires étrangères, avez-vous réagi aux sifflets contre la Marseillaise au Stade de France ? La réaction des politiques et des médias est disproportionnée ! Pour les sifflets, je trouve cela nul. Il faut prendre ces sifflets pour ce qu'ils sont : un mélange de frustration des jeunes de banlieues et une excitation de supporters. Cela reste juste un match de football.