La ville de Béjaïa n'a pas eu le privilège de renfermer les fameux jardins de Babylone mais elle n'a pas pour autant à rougir sur ce registre précis. C'est le sultan Moulay En-Nacer, fils d'Alennas, quatrième successeur de Hammad, le fondateur de la dynastie hammadite qui a fondé la ville royaume de Béjaïa en l'an 1067. Son fils et successeur El Mansour s'y installa en 1090 en fuyant définitivement la Qalaa de ses aïeux envahie par les hordes hilaliennes. Doué comme son père d'un esprit créateur et ordonnateur, il se plaisait à fonder des édifices d'utilité publique, à bâtir des palais et à distribuer les eaux dans les parcs et les jardins. Du côté de la ville qui fait face au couchant, il fit édifier une majestueuse tour nommée Chouf er-riad, l'observatoire des jardins. La huitième année de son règne, El Mansour fit élever un grand mur pour enceindre le jardin Er-rafaâ, situé au dessus du palais de l'Etoile afin d'éviter aux femmes de son harem les regards indiscrets. Ce jardin était arrosé par les eaux de vastes citernes amenées par des aqueducs de la montagne de Toudja. Il était couvert d'arbres de toutes sortes : palmiers, grenadiers, jujubiers, orangers et autres. Il comptait aussi des arbustes à fleurs tels que le cassier, le rosier et le jasmin. Décrivant la ville de Béjaïa avant l'invasion espagnole de janvier 1510, le chroniqueur Léon l'Africain parle d'une infinité de jardins autour de la cité et puis d'autres jardins situés du côté de la vallée des Singes, où s'étaient établis les Maures chassés d'Espagne. Pour la période ottomane, il est de notoriété publique que nos amis turcs, retranchés dans leurs bordjs, n'étaient intéressés que par les impôts qu'ils pouvaient soutirer de la population. Les français qui leur ont succédé ont tout de même eu le temps, en 130 ans de présence à Béjaïa, d'aménager quelques jardins publics. Notamment, Square Pasteur, le jardin du boulevard Bouïna et Place Emir Abdelkader. Depuis l'indépendance à ce jour, les rares espaces qui ont échappé aux appétits féroces des promoteurs immobiliers pour finir en jardins se comptent sur les doigts d'une seule main. Au jour d'aujourd'hui, malgré son statut et son importance, la ville de Béjaïa attend toujours un providentiel El Mansour qui lui fera retrouver ses jardins d'antan.