Il est 22h, sur l'immense Grant Park à Chicago, la ville de Barack Obama, quand la nouvelle est annoncée. Le démocrate Barack Obama, 47 ans, vient d'être élu 44e président des Etats-Unis. Une élection pas comme les autres, sinon peu ordinaire, bien qu'il s'agissait de désigner un successeur au Président sortant, le républicain George W. Bush, comme le prouve l'immense intérêt que lui ont accordé aussi bien les Américains que le reste de la planète. Chicago (Etats-Unis) De notre envoyé spécial Et pour cause, le nouveau Président de la première puissance mondiale est un Noir et dans ce pays, croyait-on jusqu'à ce mardi 4 novembre, la couleur de la peau est un élément à prendre en considération. The winner takes all Dans cette vieille Amérique, les préjugés ont la peau dure, tellement dure que les instituts de sondages ont fini par douter de leurs propres chiffres. Eux qui ont inventé toutes les techniques d'information afin d'être plus près de la réalité, ont renoncé, cette fois, au traditionnel « sortie des urnes ». Cette prudence s'est estompée quand commençaient à tomber les premiers chiffres. Ceux du taux de participation d'abord, pour savoir s'il répondait plus ou moins à l'engouement sinon l'enthousiasme suscité par cette élection. Celui-ci a atteint le chiffre record de 66%, du jamais vu depuis 1908. S'installait ensuite un long suspense, car il fallait attendre la fermeture des votes qui ne pouvait se faire à la même heure vu le décalage horaire entre les deux océans. Il a donc fallu attendre les résultats Etat après Etat, c'est la règle, une règle non écrite qui fait de cette élection un scrutin présidentiel que l'on multiplie par le nombre d'Etats que compte la Fédération américaine. Et là, une autre règle, celle du gagnant qui remporte tout – « the winner takes all ». De ce point de vue, Barack Obama a réussi, à la tête des démocrates, une véritable marche vers Washington, symbole du pouvoir, en s'emparant de l'Exécutif et du législatif. Dans le premier, Barack Obama a remporté une victoire en obtenant 349 mandats de grands électeurs contre 163 à son rival, selon des résultats non encore définitifs. Pour être élu, il lui suffisait de 270 électeurs sur 538. Sur ce qu'on appelle le vote populaire, il est crédité de 52% des voix contre 47% pour son adversaire, le républicain John McCain, ce dernier s'empressant d'ailleurs de reconnaître sa défaite et de féliciter le vainqueur. Tout en reconnaissant lui aussi que cette élection est « historique » à l'adresse de ses partisans, il souligne que « cet échec est le mien », avant d'affirmer de manière solennelle que « le peuple américain a parlé et il a parlé clairement ». Juste avant lui, George W. Bush appelait son successeur pour le féliciter de sa victoire lors d'une « superbe électorale » l'appelant déjà « monsieur le Président », un titre qu'il ne quittera pas pendant au moins quatre années, la durée d'un mandat. C'est dire à quel point la victoire de Barack Obama est nette avec un écart de sept points — qui élimine du coup l'hypothèse du scénario catastrophe tel que vécu lors de l'élection de 2000, quand il a fallu multiplier les opérations de comptage pour enfin recourir à un jugement de la Cour suprême prononcé en faveur de George W. Bush. Quant au vainqueur qui se présentait devant ses partisans dans le Grant Park, il souligne : « Il a fallu longtemps. Mais ce soir, grâce à ce que nous avons fait aujourd'hui et pendant cette élection, en ce moment historique, le changement est arrivé en Amérique. » La joie est indescriptible. Les plus anciens, autrement dit ceux qui ont souffert de la ségrégation raciale dans son aspect le plus hideux et le plus brutal, n'arrivaient pas à retenir leurs larmes. Beaucoup de souvenirs, mauvais pour la plupart, remontaient à la surface. Mais aussi des meilleurs avec cette marche sur Washington menée par le pasteur Martin Luther King, et de manière générale, la lutte des Noirs pour leurs droits civiques. C'était il y a quarante ans, c'est-à-dire à peu de chose près l'âge d'Obama et aussi de tous ces Noirs qui ont eu accès à certains droits et non pas des privilèges grâce à la lutte de leurs aînés. « Si jamais quelqu'un doute encore que l'Amérique est un endroit où tout est possible, qui se demande si le rêve de nos pères fondateurs est toujours vivant, qui doute encore du pouvoir de notre démocratie, ce soir est la réponse », a ajouté le nouveau président des Etats-Unis, qui a souvent emprunté au langage de Martin Luther King sa fameuse phrase : « I have a dream » (j'ai fait un rêve), lancée en guise de slogan. Un message, un projet Obama a fait bien plus puisqu'il a conduit son parti à la victoire, les électeurs s'exprimant aussi sur le renouvellement partiel du Sénat et total de la Chambre des représentants, infligeant au Parti républicain que le président sortant a entraîné dans sa chute, une cuisante défaite avec la perte de ce qu'on appelle des bastions traditionnels, dans le Sud et les Etats industrieux, territoires des « cols bleus » qui, disait-on d'eux, craignaient une victoire d'Obama. Car semble-t-il, il allait instaurer le socialisme, rien que cela et comme si cela était encore possible. Parce qu'il envisageait d'introduire de nouvelles taxes pour mieux combattre les inégalités. Ce n'est pas ce qui manque, dans un pays où notamment 47 millions d'Américains ne bénéficient d'aucune couverture sociale. Des millions d'autres Américains ont été touchés par la crise et beaucoup ont dû renoncer au fameux « american way of life », leur attention étant accaparée par l'indice des prix et la crise des subprimes. Il en est d'autres qui tentaient de surmonter ces interrogations en projetant bien en avant leurs inquiétudes. C'est à propos de l'image catastrophique de leur pays alors même qu'ils ont d'autres projets, d'autres rêves. C'est ce qui les amène à la rencontre de Barack Obama, jeune sénateur de l'Illinois porteur d'un message qui se résume en un seul mot, « change », le changement. Parce qu'il a pris toute la mesure de cet engagement, Obama a le succès modeste. Il sait déjà ce qu'il a à faire et, surtout, il a pris note de l'attente de ses millions d'électeurs. La grande presse le lui rend bien. « Obama fait l'histoire », titrait le Washington Post, tandis que le Wall Street Journal se félicitait qu'un Noir ait atteint « le sommet du pouvoir aux Etats-Unis. Une victoire qui intervient alors qu'est relancé le débat sur la discrimination positive ». Dans un certain nombre d'Etats, la question est même soumise à l'appréciation des populations locales. « Faut-il interdire le traitement préférentiel dans l'entrée à l'université ou les emplois publics en fonction de la race et du sexe ? », leur demande-t-on. Ce programme dont Barack Obama a bénéficié, comme lui-même le souligne, avait été lancé en 1961 par l'ancien président John Kennedy. Face à autant d'interrogations, il reste à Obama à donner un sens à son message et à son projet. Ce qui ne sera certainement pas facile. Il n'en a pas fait mystère en déclarant, à Grant Park, que le changement peut prendre du temps et même beaucoup plus qu'un mandat. Parce qu'il croit lui aussi au changement et il le revendique clairement, le cinéaste américain Oliver Stone, qui vient de réaliser un film extrêmement critique sur George W. Bush, exprime lui aussi cette attente. « Un changement, même petit, ce sera beaucoup », disait-il récemment.