Depuis quelque temps, la presse est soumise à une nouvelle forme de (re) pression inexistante auparavant : les amendes qui sont devenues non plus l'exception, mais la règle dans les procès des délits de presse. Parce qu'il n'est plus politiquement correct de continuer à envoyer les journalistes en prison pour des affaires de diffamation et autres délits de presse prévus par la loi dont la presse et la justice ont chacune leur propre interprétation et lecture, le législateur, sur les conseils avisés du pouvoir, a introduit une nouvelle disposition qui accroît de manière inconsidérée le niveau des sanctions pécuniaires. Les amendes infligées à certains journaux lesquelles cumulées se chiffrent à coups de milliards de centimes prennent la forme d'un racket institutionnalisé qui ne dit pas son nom. L'objectif non avoué, tout le monde l'aura aujourd'hui bien compris avec ces verdicts dont la sévérité se mesure non plus à l'aune des peines de privation de liberté prononcées, mais au montant de l'amende, c'est de fragiliser financièrement les journaux en opérant des ponctions drastiques dans leurs finances déjà bien mal en point pour de nombreux titres dont la survie ne tient plus qu'à un fil tenu avec les factures à payer qui pleuvent de toutes parts. Il est vrai que cette pratique de la sanction par l'argent n'est pas propre à l'Algérie. Mais tout est dans la mesure ou la démesure des dîmes réclamées aux journaux épinglés par la justice. Le summum a été atteint hier lors du procès opposant les journaux El Watan et El Khabar à la Dgsn où la boulimie a été poussée à un seuil jamais égalé jusqu'ici non seulement en Algérie, mais très certainement dans le monde entier. La bagatelle de 30 milliards de centimes, bien lire 30 milliards, a été réclamée au titre de dommages et intérêts par la partie civile. Du jamais-vu dans les annales des délits de presse nulle part ailleurs. On peut toujours se consoler et dédramatiser la situation en se disant qu'après tout, la partie civile est libre de demander ce qui lui plaît, ce qui importe c'est le verdict de la justice qui lui est exécutoire. Mais tel que le débat est engagé avec les montants carrément prohibitifs réclamés par la partie civile aux deux journaux, on nage en plein dans le surréalisme. C'est sans doute une manière pour la partie civile de tenter de peser sur la décision de la justice. Plus le montant demandé au titre des dommages et intérêts est élevé plus on veut donner l'impression que l'on est fort de son bon droit. Avec l'inflation que l'on a connue à travers ce dossier, on est en tout cas bien loin du dinar symbolique réclamé dans d'autres affaires autrement plus sensibles encore. Le droit ou le rétablissement du droit pour qui se considère l'objet de diffamation ne se conjugue pas forcément en milliards de centimes. La sanction morale a plus d'impact sur la crédibilité d'un journal peu scrupuleux des règles de l'éthique et de la déontologie. A s'y prendre à ce jeu-là, le risque est de voir la presse transformée en un tiroir-caisse qui ferait le bonheur et la richesse de tous ceux qui voudraient se remplir les poches à moindre frais. Il suffit d'intenter un procès à un journal et l'on devient du jour au lendemain milliardaire, même si la réalité financière de la plupart des journaux met ces titres dans l'impossibilité de passer à la caisse. L'expérience des dernières affaires liées aux délits de presse où le mot d'ordre semble être celui de saigner à blanc les trésoreries des journaux devrait inviter les pouvoirs publics et la corporation à engager une réflexion profonde sur les relations entre la presse, le pouvoir et la justice pour préserver et l'intérêt du justiciable et celui du droit à l'information du citoyen qui passe par le respect de la liberté de la presse lui-même conditionné par l'accès aux sources de l'information. Le délit de presse, qui a toujours existé et qui existera toujours, y compris dans des sociétés qui ont de longues traditions démocratiques, ne doit pas être un prétexte pour remettre en cause un des acquis fondamentaux de la démocratie naissante en Algérie : la liberté d'expression et de la presse.