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La normalisation en marche
Publié dans Liberté le 22 - 02 - 2004

À une objection sur la menace, le ministre des Affaires religieuses a répondu par une menace. Avec ses déclarations au journaliste de Liberté, les choses ont le mérite d’être claires. La fetwa confirmée et assumée, il reste à vérifier si la société civile a encore des ressorts d’autodéfense, et à ceux qui ont pour vocation de l’exécuter de passer à l’acte, s’ils en ont les moyens.
Et comme pour ne pas s’en tenir au seul concours, hypothétique, des islamistes, il nous est prédit d’autres types de châtiments. Les formes para-légales d’assujettissement de la presse épuisées, on passe donc aux méthodes qui ne s’embarrassent point de formes, tout en continuant à disposer des institutions comme d’autant d’armes de répression.
Il y a au-delà du sans-gêne avec lequel on brime et malmène la presse, la proclamation franche de l’assujettissement sans concession de la société. Les institutions sont soumises, et leur mission de service public et de défense du citoyen a été progressivement annihilée au profit de nouvelles charges : assurer le pouvoir total et incontesté du clan.
On peut se demander si, dans ces conditions, les fonctions sociales habituellement reconnues en démocratie, comme la classe politique et la presse peuvent prétendre à une effective existence.
Affronter des institutions de la République totalement transformées en bouclier contre la contestation de l’ordre en place, est devenu une condition de l’expression dissonante. Le pays n’a plus d’arbitres ; et il n’y a que des contre et des pour. Qu’on soit juge, percepteur, diplomate ou même imam, on est sommé de choisir son camp, d’offrir les gages de son allégeance ou de reconnaître sa coupable infidélité.
Ce n’est plus un État de non-droit, c’est l’état de non-État. Tout le monde est acteur ; personne n’est neutre. Le bon sens populaire résume parfaitement ce fait par l’expression “tag aâla men tag� (le plus fort contraint le plus faible).
C’est dans ces conditions que quelques Don Quichotte de valeurs égarées tentent de faire survivre des idées rescapées d’un rêve démocratique vite transformé en cauchemar. Presque par habitude, tant l’isolement, hormis les discrets soutiens qui valent ce que vaut ce qui existe sans être connu, est flagrant.
Dans l’affaire de la répression de la presse, aujourd’hui physiquement visée, tout se passe comme s’il s’agit d’une menace qui ne concerne qu’une corporation professionnelle. Cette culture séparatiste où les égoïsmes de chapelle nous privent de causes communes est à l’origine de la déchéance politique qui s’observe depuis quelques années. On regarde partir les butins de guerre de nos martyrs, s’évanouir l’un après l’autre et chacun se rassure de savoir que, justement, parce qu’il ne s’est pas impliqué, il n’a pas à craindre les foudres de la colère du souverain. Un peu comme on se consolait de sa neutralité envers l’islamisme avant que des terroristes n’égorgeassent des bergers et des nourrissons. Le détachement de pans entiers de la société de ce qui arrive aux acquis les plus élémentaires de la nation se paiera de régression politique. Les particularismes profitent au totalitarisme.
Et nous condamnent tous à le servir un jour ou à l’éprouver.
M. H.
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