Une caricature du comportement de l'homme blanc occidental en Afrique noire ». Cependant, les choses deviennent plus complexes lorsque la même œuvre sert également de reflet à une certaine image qu'ont les Africains d'eux-mêmes et qui n'est pas toujours agréable à voir. Cette pièce a été déjà présentée à deux reprises à Ouagadougou (Burkina Faso) et, un peu comme le titre le suggère, elle est remontée à Oran (jeudi au théâtre Abdelkader Alloula), puis sera à Alger aujourd'hui et demain au CCF et, enfin et pour un mois, au théâtre Tarmac de La Villette de Paris qu'il l'a produite. Elle raconte les péripéties d'une touriste française (Isabelle, rôle interprété par Chantal Trichet) – avec tout ce que cela suppose comme clichés liés à une image qu'on se fait d'une Afrique peuplée de sauvages aux masques effrayants, de nudisme, d'animaux exotiques et de guerriers archaïques, etc. – accompagnée d'un fils (Désiré/Jacques Allaire) dont la seule ambition est de lui soutirer de l'argent pour financer ses investissements douteux qui vont jusqu'au trafic d'armes. Par opposition à ce personnage sans scrupules, représentant l'abjection par excellence, on oppose un personnage supposé être positif, un guide touristique (Moussa/Criss Niangouna) qui va déjouer les plans monstrueux du démoniaque homme d'affaires mais pas seulement et c'est là tout l'intérêt à aller jusqu'au bout de « la remontée » pour assister à un dénouement autant inattendu qu'intelligent. La metteuse en scène, qui dit avoir été très marquée par l'enseignement de la mise en scène prodigué par son compatriote (elle est Slovaque) Lubos Pastorius et qui consiste à « coller le plus possible à la matière textuelle et d'être le plus possible fidèle à la pensée profonde de l'auteur », a dû pourtant faire exception à la règle et oser changer la fin de l'histoire. « A l'origine, Désiré devait rentrer de son séjour africain totalement guéri du mal qui l'habitait comme s'il avait eu à effectuer un voyage initiatique, mais moi j'ai pensé que pour ce qu'il a fait, il ne méritait pas une telle indulgence », explique-t-elle en renvoyant à Arezki Mellal la question de savoir si depuis tout ce temps, la vision occidentale par rapport à l'Afrique n'a pas changé malgré les mutations, les mouvements d'émancipation, etc. Ségrégation ordinaire « Je crois qu'il y a un racisme primaire qui n'a pas encore totalement disparu, quelque chose qui n'a pas la même brutalité et la grossièreté d'avant, mais qui subsiste dans les préjugés et dans le fait de considérer l'autre comme moins que soi », estime Maria Zachenska pour qui également le fait de se montrer aimable et de parler à l'autre avec cette manière professorale sous-entend l'idée d'amoindrir l'autre, l'inconnu. « Je suis très sensible à ce type de racisme insidieux », dit-elle en attribuant ces situations à la peur de la différence. Pour elle, l'erreur provient de la propension à vouloir que l'autre me ressemble et inversement. Mais comment cette femme, enracinée au cœur de l'Europe centrale qui est donc plus Européenne que quiconque du continent comme elle aime à le préciser, est-elle venue à mettre en théâtre un texte français écrit par un Maghrébin qui parle d'Afrique noire ? « J'ai abordé le texte sans la culpabilité française qui traîne un passé colonial et c'est en tenant compte de mon regard qui ne pouvait être non pas neutre, car je suis engagée mais extérieure à cette charge historique que Valérie, la directrice du théâtre de la Villette, me l'a proposé », répond-elle ; et pour mieux étayer son point de vue, elle évoque le passé communiste de l'ancienne Tchécoslovaquie. « Je suis issue d'un pays qui non seulement n'a pas de passé colonial et ne traîne donc pas de mauvaise conscience qui pourrait distordre ses jugements mais en plus le régime communiste a fait de l'égalité un dogme inébranlable. » Hormis l'application de ces préceptes pour les ethnies et les religions, c'est avec passion qu'elle parle de l'égalité absolue entre les hommes et les femmes. « La situation de la femme m'a choquée », indique-t-elle sur un ton de regret en laissant clairement entendre qu'elle était contente d'avoir baigné dans de telles idées. « On ne se rendait pas compte de ce qu'on avait et on ne l'a découvert qu'une fois qu'on l'a perdu », déplore-t-elle aujourd'hui en gardant à l'esprit qu'à une époque, on ne voyait même pas de policiers dans les rues avec la paix sociale qui y régnait. Ce qu'elle reprochait au régime communiste de son pays, c'est par contre le fait qu'« il prenait les gens pour des cons » en mentant sur la situation économique, par exemple. La fille qui venait du froid D'où son extrême sensibilité par rapport à ce problème. « Le racisme blesse au plus profond et cette idée m'est insupportable », indique-t-elle avant d'expliquer ses choix esthétiques de mise en scène et un travail sur le corps inhabituel dans les pratiques théâtrales locales qui privilégient les paraboles. « Nous sommes dans le théâtre de la farce et les situations sont grotesques et c'est ce qui conduit à l'obligation d'être cru autant dans le langage que dans l'interprétation, car quand on opte pour la démesure, on ne peut pas être prévenant. » Et c'est tellement horrible et grotesque que, pour mettre une barrière entre le comédien (comme pour le protéger) et le personnage, un maquillage de couleur blanche qui amplifie l'effet grotesque masque les visages des personnages touristes. Maria Zachenska dit ne pas avoir fait de lien entre le maquillage et l'idée de masque répandu en Afrique et évoqué dans la pièce. « Je voulais qu'ils soient plus blancs que blancs », confie-t-elle en épargnant le noir d'être plus noir que noir. Dans ce jeu de couleurs, il est juste admis dans la pièce que « c'est la magie noire des Blancs qui est plus monstrueuse que la magie blanche des Noirs. » Une manière de dire que les Africains eux aussi ne sont pas les victimes innocentes exemptes de tout reproche. Lors de l'entretien, Maria Zachenska avait entre les mains un roman qu'elle venait d'entamer de John le Carré. L'auteur de Un espion qui venait du froid est rendu célèbre pour avoir mis sur la même balance du cynisme et de la corruption l'Est et l'Ouest des temps de la guerre froide. Aujourd'hui, « la metteuse en scène qui vient du froid » nous donne à voir, même si les nouveaux ne sont pas les mêmes, un monde incluant un axe Nord-Sud où personne n'est tout à fait innocent.