Tourisme, santé, pêche, agriculture… Face aux changements climatiques, exposés aux influences du climat océanique et du désert, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie présentent la même vulnérabilité. Marrakech. De notre envoyée spéciale Leurs secteurs agricoles et leurs ressources en eau sont déjà fragilisés par le réchauffement global et ses manifestations futures risquent de constituer une menace pour leur développement durable. Parce que le changement climatique ne s'exprime pas de la même manière en Afrique qu'au Maghreb – et pour l'instant, les modèles climatiques ne sont pas assez fins pour faire une différence – l'université Cadi Ayyad de Marrakech et le Centre du développement du Tensift (au Maroc) ont organisé, mercredi et jeudi derniers, un atelier international sur les spécificités de l'adaptation à ces changements en Afrique du Nord. Plus de soixante-dix participants du Maghreb, mais aussi de Belgique, d'Allemagne ou encore des Etats-Unis se sont retrouvés pour débattre et élaborer des recommandations. Et ces échanges ont soulevé une question : les micro-projets réalisés à l'échelle locale – aménagement de petits barrages pour améliorer l'approvisionnement en eau des populations rurales marocaines, réhabilitation du palmier dattier en Tunisie, système de recyclage naturel des eaux usées dans des villages algériens – et présentés dans le cadre d'une lutte contre les changements climatiques émanent-ils d'une vision globale sur le sujet ? A quelques jours de la conférence climat des Nations unies à Poznan (1er-12 décembre) qui doit enclencher le compte à rebours vers un nouvel accord de lutte contre le réchauffement pour fin 2009 à Copenhague, les pays du Maghreb sont-ils en mesure de formuler une stratégie régionale ? Les spécialistes de l'atelier, interrogés sur la question, reconnaissent tous que non. « Il y a eu une dynamique forte dans les années 2002/2003, explique Abdelaziz Yahyaoui, enseignant en changement climatique à la faculté de Marrakech, mais depuis, cet élan est retombé. Le Maroc en est encore au stade du constat. Les interventions politiques se font ponctuellement, par exemple lorsqu'il faut dégager des fonds après une catastrophe naturelle. Le pays a du mal à retenir une équipe dans une structure, le travail n'est pas valorisé et même les institutions scientifiques ne s'impliquent pas. » Pour une autre enseignante, Algérienne, la situation est la même chez nous. « Tout le Maghreb a les mêmes besoins en techniciens pour mener des études, en financement pour réaliser ces études et en systèmes de veille pour compiler des données. » Abderrahmane Aït Lhaj, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique au Maroc, ajoute : « Si la problématique a une bonne visibilité au niveau mondial, à l'échelle locale, les décideurs n'ont pas forcément le bagage pour traduire tout cela en termes de projets pour les communautés. Mais on tend vers cela, les bailleurs de fonds préfèrent de plus en plus financer des projets très régionalisés : Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, ils ont perçu l'importance du particularisme, alors que les modèles climatiques ne sont encore que globaux sur le continent ». La communauté scientifique fournit pourtant, depuis quelques années, de gros efforts. Les Marocains qui, par exemple, ont étudié les changements climatiques spécifiquement sur le nord-est du pays (chez nous, une étude à l'échelle d'Oran devrait donner des résultats d'ici à la fin de l'année), sont allés à la rencontre de la population pour cerner leur conception du problème ou encore analyser leurs émissions en C02 sur vingt-cinq ans. Mais rien n'est réellement coordonné au niveau régional. L'Observatoire pour le Sahel et le Sahara rencontre des difficultés pour unifier la collecte des données en Afrique du Nord. Du côté des politiques, les seuls à avoir pris des mesures concrètes sont les Tunisiens qui, depuis 2002, ont adopté une stratégie « agriculture et changement climatique » (voir interview). « Ils sont clairement mieux organisés que les Algériens et les Marocains, reconnaît un expert, Ils coordonnent mieux leurs actions et sont très forts pour décrocher des financements. » Mohamed Senouci, expert algérien du Groupement intergouvernemental sur les changements climatiques, nuance : « Nous sommes dans la première phase d'une nouvelle tendance. Les changements climatiques ne sont plus l'affaire des climatologues. On leur a demandé de répondre à la question ‘'est-ce que le climat a changé ?'' et maintenant qu'ils ont dit oui, on leur demande si cela va bouleverser les plantes à un endroit, les invertébrés à un autre… Mais ce n'est pas aussi facile, car ces questions font appel à d'autres sciences, dont les climatologues ne maîtrisent pas les modèles. » Si les chercheurs savent coupler les modèles climatiques à l'hydrologie, ils ne savent pas encore le faire avec la faune ou la flore. Il est encore impossible de prédire l'impact d'un climat régional sur une famille d'espèces. « La chasse aux indicateurs est donc ouverte », poursuit Mohammed Senouci. « Il faut attendre que chacun, dans son mètre carré, fasse son étude pour que les biologistes et les agronomes produisent un schéma conceptuel. Dans quatre ou cinq ans, si la recherche s'organise de manière cohérente, on saura à peu près comment le climat va déstabiliser tel ou tel système. Et à ce moment-là seulement, on pourra faire intervenir les économistes et les politiques… »