Plus de 1200 débitants de boissons alcoolisées à consommer sur place (bars, buvettes, brasseries, restaurants, etc.) et à emporter (boutiques, caves, commerces divers) ont, pour diverses raisons, été contraints de baisser rideau durant ces deux dernières années, apprend-on d'une source proche de l'association nationale des producteurs de boissons. A cette hécatombe, il faut ajouter celle de nombreux grossistes contraints à abandonner leur activité suite à une instruction du ministre du Commerce (88 /MC/DOM/06 du 30 janvier 2006) considérant désormais l'activité de gros en boissons alcoolisées comme une activité réglementée soumise à autorisation préalable du wali. Cette instruction, édictée dans la précipitation et en contradiction avec les textes promulgués par le ministère de l'Intérieur, mais aussi avec le code des impôts indirects, portera un grave préjudice à la profession avec, à la clé, l'abandon définitif de plus d'une centaine de grands distributeurs. C'est une décision pour le moins intempestive basée sur une interprétation erronée du décret 75-59 du 29 avril 1975, qui ne mentionne nulle part le caractère réglementé des activités de gros, ce que du reste confirment les services du registre de commerce qui n'ont commencé à exiger une licence de débit de boissons alcoolisées, délivrée par la wilaya, comme préalable à leur enregistrement, qu'à partir du mois de février 2006, date à laquelle l'instruction du ministre du Commerce leur a été notifiée. L'obligation ainsi faite aux grossistes et aux détaillants de se conformer à ces nouvelles dispositions pour être inscrits au registre de commerce ou au risque d'en être rayés pour ceux qui y figuraient déjà, offrira l'occasion aux walis chargés du contrôle de ces activités, désormais réglementées, de fermer à tour de bras les débits de boissons alcoolisées pour peu qu'ils ne remplissent pas tout ou une partie du dispositif réglementaire en vigueur. Un dispositif réglementaire composé d'un maquis de textes aussi nombreux que contradictoires, qui font la part belle aux interprétations contradictoires et aux appréciations souvent subjectives des autorités publiques, dont les sensibilités politiques et religieuses personnelles ont souvent pris le pas sur la rigueur de la loi. Et, à ce titre, il est bon de rappeler que les boissons alcoolisées n'ont pas toujours fait bon ménage avec les gouvernants, l'exemple le plus édifiant étant fourni par la promulgation par Ahmed Ben Bella, quelques mois à peine après l'indépendance du pays, du décret 62-147 du 23-12-1962 interdisant la consommation d'alcool et de boissons alcoolisées aux Algériens de confession musulmane. Un décret qui n'a du reste jamais été abrogé mais que d'autres textes de loi ont largement contredit, à l'exemple de celui (65-252) qui réserve l'octroi des licences de débits de boissons alcoolisées aux seuls anciens moudjahidine ainsi qu'aux veuves et ascendants directs de chouhada. On citera également l'arrachage à grande échelle de nos vignobles, décidé en 1970 par Houari Boumediène, en réaction à un différend politique avec la France et plus récemment encore l'interdiction d'importation de boissons alcoolisées que certains députés de la mouvance islamique ont réussi à introduire dans la loi de finances pour l'année 2004 avant d'être abrogée, durant la même année, par une loi complémentaire. En examinant le détail de l'arsenal juridique composé de plus d'une centaine de textes de lois (ordonnances, décrets, circulaires), on se rend par ailleurs compte que la préoccupation majeure des législateurs a de tout temps consisté à fragiliser la profession en conditionnant son existence à l'accomplissement de nombreuses formalités et obligations pour certaines très difficiles à remplir. Dans le maquis de textes qui régit la filière des boissons alcoolisées, on ne trouvera aucune loi, aucun décret, ni même une circulaire promulguée dans le but de développer cette filière qui procure pourtant plus d'une vingtaine de milliards de dinars de revenus fiscaux à l'Etat chaque année. Ce sont ces recettes qui, dit-on, financent les emplois des jeunes créés à la faveur des dispositifs mis en œuvre par l'Ansej. On évoquera également la centaine de milliers d'emplois directs et indirects offerts par les unités de production et de distribution de bières et vins, ainsi que les activités annexes (production de bouteilles, de bouchons, de services etc.) qui ont pu se développer à leur faveur. Beaucoup d'autres investissements auraient pu être promus dans la filière, si la législation existante protégeait un peu mieux ses acteurs des humeurs changeantes des princes, qui donnent périodiquement des coups de boutoir en se basant sur des dispositions réglementaires sans doute expressément insérées pour rendre la profession peu incitative et vulnérable. On peut citer, à titre d'exemple, l'interdiction faite aux femmes d'exploiter un débit de boissons, la non-transmission des commerces de boissons alcoolisées par héritage, leur fermeture quasi automatique au cas où une mosquée viendrait à être édifiée à proximité. L'ouverture d'un débit de boissons alcoolisées est ainsi devenue, au fil des années, une activité à risques dont vont tout naturellement se détourner les investisseurs potentiels. Pire encore, les quelques professionnels installés, pour certains depuis de longues années. Les débitants de boissons alcoolisés activant dans la légalité se font, de fait, de plus en plus rares et, à lire les journaux relatant pratiquement chaque jour des découvertes de bistrots clandestins, la filière aurait tendance à glisser dangereusement dans l'informel. Et au regard des canettes et bouteilles de bière vides qui jonchent les accotements des rues et polluent les forêts, les lieux de prédilection des amateurs de boissons alcoolisées ne semblent plus être les bars et les restaurants, en grande partie fermés, mais les voitures et les sous-bois. Comme au temps de la sinistre prohibition de l'alcool aux Etats-Unis.