Inéluctablement, Mascarades poursuit sa carrière internationale et sa collecte de prix. Après les grands prix à Angoulême et à Namur, après Carthage avec trois distinctions (prix de la première œuvre, du jeune public et du meilleur espoir féminin pour l'actrice Rym Takoucht), Mascarades vient de se voir honoré par le Grand prix du meilleur film arabe au Festival international du Caire, ce qui constitue une grande première pour le cinéma algérien. Cette nouvelle étape dans le palmarès déjà riche du film, est d'autant plus appréciable que la concurrence n'était pas des moindres. On comptait dans la compétition des œuvres de qualité comme Laïla's birthday du Palestinien Rachid Masharawi et Basra de l'Egyptien Ahmed Rashwan, primés pour le meilleur scénario. L'autre grand lauréat de cette édition est l'Espagnol Chus Guttierrez dont Return to Hansala a reçu le Prix du meilleur film et celui décerné par la critique internationale. Cette nouvelle récompense pour Mascarades survient au moment où le premier long-métrage de Lyès Salem, après une honorable mais trop courte carrière en Algérie, s'apprête à sortir en France, la semaine prochaine. Le 10 décembre, en effet, le film sera programmé simultanément sur un circuit d'une soixantaine de salles. Gageons que le bouche-à-oreille devrait le porter à élargir son audience déjà auprès des spectateurs d'origine algérienne ou maghrébine et compte tenu du goût prononcé des publics français pour les comédies. Il suffit de rappeler le succès de Chouchou de Merzak Allouache qui fit quatre millions d'entrées et celui, plus récent, du recordman de spectateurs, Bienvenue chez les cht'is de Dany Boon, avec Kad Merad (plus de vingt millions d'entrées). Après une avant-première, le 21 novembre dernier, au Centre Culturel algérien de Paris, Mascarades sera donc sur les écrans français avec une dizaine de salles pour la seule ville de Paris. Dès son premier essai avec Jean Farès, un désopilant court-métrage de fiction, Lyès Salem avait révélé tout son potentiel et glané plusieurs récompenses en France et à l'étranger venues saluer les promesses contenues dans ce premier opus. Deux ans plus tard, il avait récidivé avec un moyen-métrage de fiction, Cousines, entièrement tourné en Algérie et qui lui avait valu en 2005, le César de sa catégorie. Il y révélait des talents particuliers dans le domaine de la comédie de mœurs et la direction d'acteurs et d'aucuns pensaient déjà qu'il était mûr pour le long-métrage. Ce talent s'est trouvé effectivement enrichi et maîtrisé dans Mascarades qui marque le véritable acte de naissance d'un brillant cinéaste. Ce film, succinctement présenté dans ces colonnes lors de son avant-première, est à la fois l'histoire de Mounir Mekbel (interprété par Lyès Salem), de sa famille, et la chronique d'un bourg, celui de M'Chounèche au cœur des Aurès, un bourg qui bat à son rythme, semblable à une version chaouie de Clochemerle. Autrement dit, une vie mi-rurale, mi-citadine, avec une forte promiscuité où le voisinage débouche sur la curiosité mal placée et l'ingérence systématique des uns à l'égard des autres. Mounir, marié et père d'un enfant de dix ans, héberge également sa jeune sœur Rym (Sarah Reguieg) qui souffre d'une maladie rare : la narcolepsie. Cette sorte de maladie du sommeil peut frapper à n'importe quel moment du jour ceux qui en sont atteints. Lyès Salem a-t-il voulu produire à travers ce personnage une allégorie de la condition féminine en Algérie, celles de « belles au bois dormant » en attente d'un épanouissement ? En tout cas, la trame du film le laisse penser. L'handicap de sa sœur suscite malaise et complexe chez Mounir dont le rêve est bien sûr de la marier à un beau parti, ainsi que le lui commandent ses responsabilités de frère aîné, telles que définies par la tradition ancestrale. Mais les beaux partis ne vont que vers les bons partis. Or, la situation sociale de Mounir n'est pas brillante et la frustration profonde qu'il en ressent se manifeste dans sa façon de présenter son emploi qu'il qualifie d'« ingénieur horticole », alors qu'il n'est en réalité que jardinier chez la « chakhssia » (personnalité ou notable) du patelin, un certain « colonel », à la fois admiré, envié et redouté par toute la communauté villageoise. Les uns et les autres, à l'image d'une époque devenue très matérialiste, ne rêvent que d'argent, de villas ou de ces belles voitures qui composent les cortèges de mariage. Longtemps la risée de ses voisins et « amis », surtout pour quelqu'un dont la sœur est perçue comme une handicapée, Mounir va nourrir une revanche éclatante suite à la rencontre fortuite dans un grand hôtel de la ville voisine, d'un richissime homme d'affaires australien. Dès lors, la rumeur selon laquelle ce milliardaire annoncé épouserait bientôt la jeune Rym va enfler et enflammer tous les habitants dont le regard jusque-là méprisant sur Mounir, va se transformer en une cour effrénée pour gagner les faveurs de ce « nouveau riche », à commencer par son voisin véreux, un certain Redouane Lamouchi, interprété par le fameux Mourad Khan. De son côté, Rym, dont le cœur n'est pas endormi, vit un amour caché avec le meilleur ami de Mounir, le jeune Khelifa, campé par un formidable Mohamed Bouchaïb, au talent prometteur. Dès lors, c'est une sorte de vaudeville aux accents humoristiques et parfois burlesques qui se met en place, tirant « Mascarades » vers le genre de la comédie à l'italienne, genre particulièrement prisé par les Algériens qui avaient fait un triomphe aux films de cette école, lorsqu'ils étaient diffusés entre les années 70 et 80. Nous avons même cru sentir des influences de Comencini et d'Ettore Scola, puisque chaque cinéaste commence à construire son univers à partir de références. La direction d'acteurs et le jeu des comédiens sont un pur régal. Les dialogues au parler algérien donnent crédibilité et véracité aux situations imaginées par Lyès Salem qui, outre ses qualités de comédien et de cinéaste, ajoute le talent d'un scénariste . Pour son premier long-métrage, Lyès Salem démontre un vrai talent de réalisateur qui maitrise réellement le découpage d'une scène, les rythmes d'une dramaturgie ou l'utilisation d'un effet comique. Avec lui, l'Algérie vient de se découvrir un véritable auteur qui a la singularité de savoir marier habilement comédie populaire et satire sociale. On ne peut que saluer les prestations des comédiens et comédiennes méritent d'être relevées comme des atouts importants du film. Le Mounir de Mascarades, campé par Lyès Salem est d'un naturel extraordinaire, performance d'autant plus remarquable qu'il comporte une large palette d'attitudes et de sentiments. Pour sa part, Rym Takoucht joue avec brio Habiba, l'épouse de Mounir. Comme souvent dans les comédies de ce genre, c'est l'épouse ou la compagne qui est porteuse de lucidité et de pertinence, arrivant à « recadrer » les dérives d'un Mounir, obnubilé par le regard des autres et plongé dans une sorte de « choufouni ya ness » (de m'as-tu-vu) qui aveugle son bon sens. La jeune Sarah Reguieg, choisie sur casting pour le rôle de Rym, la jeune sœur atteinte de narcolepsie, apporte toute sa fraîcheur et toute sa jeunesse à un personnage déclencheur de l'intrigue. Quant à Redouane Lamouchi, le voisin véreux et pédant, auquel Mourad Khan prête ses traits, il est plus que convaincant. Mais on se souvient que ses débuts remarqués en 1993 dans le « Bab El Oued City » de Merzak Allouache l'avaient déjà installé parmi les meilleurs, tant sur le registre de la comédie que du drame. Déploreons avec Lyès Salem — qui nous a dit sa fierté pour la reconnaissance d'un cinéma algérien jusque-là moribond — le fait que, dans le Festival du Caire, la sélection arabe soit séparée de l'internationale. Il y a sans doute une volonté de soutenir la filmographie arabe mais cette démarche peut laisser supposer que les les films arabes ne pourront jamais supporter la concurrence... Pour la sortie de son film en France, Lyès Salem se félicite du travail et surtout du courage de son distributeur « Haut et Court » qui n'a pas craint de sortir le film dans près de 70 salles, en version originale, ce qui constitue toujours un risque. Mais Lyès Salem souhaitait cela car par-delà le film, il s'agit aussi pour lui de défendre et d'imposer le parler algérien qui donne à Mascarades toute son authenticité. Et comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, on apprend que Mascarades représentera l'Algérie pour la sélection du meilleur film étranger aux Oscars de 2009. Une épreuve d'une autre envergure au pays du cinéma. Lors des Journées cinématographiques de Carthage, Lyès Salem, recevant les trois distinctions de son film à la tribune d'honneur, s'était écrié : « Algeria is back ! ». Ce cri d'enthousiasme était aussi celui d'une nouvelle génération de cinéastes qui, pour la plupart encore méconnus, piaffent d'impatience d'accompagner ou de prendre la relève de leurs aînés, pour peu que se mette en place une politique hardie de soutien du cinéma algérien. Certains signes encourageants se sont mis en place. Le retrait, pendant de longues années, de tout soutien de l'Etat au cinéma, a été une dramatique mascarade.