« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les dieux. » Socrate En ce début du XXIe siècle, la société algérienne est en proie à un malaise profond, sans cause évidente. Les éternelles récriminations contre le régime politique, souvent fondées par ailleurs, restent toutefois largement insuffisantes en soi pour expliquer tous nos déboires. Le climat politique qui s'est instauré depuis le changement constitutionnel et l'affaissement moral qui nous guette nous imposent de réagir, mais en dehors de tout calendrier électoral. L'heure n'est plus à la politique mais au devoir de penser le long terme ! Ne faut-il pas dès lors s'interroger, en tant que nation, sur l'origine de nos erreurs historiques ? Faisons-nous des choix conscients concernant notre avenir ou manifestons-nous seulement symptomatiquement un désordre plus profond, pour l'essentiel inconscient, en guise de réaction d'adaptation au monde ? Qu'est-ce qui mine notre vie publique depuis au moins 1962 et qui nous empêche d'aller vers la démocratie et la liberté ? Est-ce la génération de Novembre, l'armée, l'islamisme ou le peuple lui-même ? Ou est-ce un problème qui se situerait ailleurs, juste là où réside le mystère de la formation de l'esprit des peuples et des nations ? En vérité, pour comprendre ce qui nous arrive, il nous faut établir une archéologie mentale de notre société et saisir la nature de nos pulsions profondes, celles qui nous conduisent systématiquement à l'opposé de là où notre volonté consciente veut nous arrimer. Peut-être alors pourrons-nous enfin les maîtriser et les canaliser vers des objectifs plus propices pour nous dans le monde d'aujourd'hui. L'Algérie a été façonnée dans une culture millénaire par sa géographie, la profondeur de son histoire, ses valeurs anthropologiques et ses croyances religieuses. Cependant la tradition, normative et tatillonne, s'érige désormais en parfaite conservatrice, inflexible et anachronique. Elle empêche tout ajustement interne des valeurs opératoires, causant des décalages et des contradictions entre les désirs actuels de la société et leur impossible satisfaction. Les grandes cultures dans le monde, qui donnent naissance à des civilisations de puissance, sont avant tout des systèmes cohérents, à grand potentiel d'adaptation et toujours lié au sens de leur destin. Notre culture, quant à elle, s'est désadaptée du réel tout en subissant une modernité qui, à défaut d'être le produit endogène de son évolution naturelle, lui impose des distorsions, s'insinue en elle à son corps défendant, la désarticule, la rend de plus en incohérente et l'éloigne de son sens originel. Le terrorisme, la violence, l'agressivité, la harga, le suicide, la dépression, les névroses sont les facettes manifestes et extrêmes d'une maladie sociétale portées par l'individu. L'« indéveloppement » en est le symptôme collectif. Le malaise algérien est, au fond, l'expression de déséquilibres intrinsèques entre les multiples valeurs d'une culture, elle-même déstabilisée dans ses certitudes par une réalité nouvelle et exigeante qui ne lui fait aucune concession. Le malaise algérien empêche l'individu de vivre sereinement son présent et de penser lucidement son avenir. Pour nous frayer de nouveau un chemin de salut, nous ne pouvons ni changer de culture en en adoptant une autre ni en recréer une nouvelle ex nihilo. Notre « aqaba » est de faire l'effort nécessaire de nous comprendre nous-mêmes, de regarder avec courage nos défaillances et nos lacunes et de décider de nous amender pour retrouver les voies de la liberté et de la dignité. Comme en écho à l'oracle de Delphes, le Sceau des prophètes (QSSSL) disait : « Qui connaît le vrai soi connaît Dieu. » Puissions-nous nous connaître nous-mêmes ! Alger, le 25/11/2008