Trente années durant, et fidèle à ses valeurs de solidarité et d'ouverture au monde, Nantes aura été un véritable carrefour de la diversité culturelle et des expressions cinématographiques mondiales. Le mérite et la réussite de ce projet reviennent à deux frères passionnés du cinéma qui, quatre sous en poche et seulement trois salles à leur disposition, ont lancé le défi. Passant de 7000 personnes à 30 000 en 1998, le F3C dépasse aujourd'hui les 40 000 spectateurs de tous bords et de tous les horizons, avec 9 écrans et 10 lieux d'animation culturelle et un budget de 1,1 million d'euros. Les frères Jalladeau, Alain et Philippe, très vite rejoints par de nouveaux cinéphiles, véritables découvreurs de talents lointains, ont sillonné les quatre coins de la planète pour mener à bien la mission qu'ils s'étaient assignée : faire connaître et aimer les images d'ailleurs. En l'espace de trois décennies, 1800 films ont été projetés (d'Asie, d'Amérique du Nord, d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Europe et d'Amérique du Nord) au service du dialogue des cultures et de la diversité. L'équipe animatrice (6 permanents, 21 salariés, des dizaines de bénévoles) a su tisser, grâce au concours du Centre national de la cinématographie, du ministère français des Affaires étrangères, de l'université de Nantes et d'un grand nombre de partenaires, des liens solides à travers le monde. Le festival acquiert aujourd'hui une renommée croissante. Véritable communion cinématographique sans frontière, la manifestation incite au voyage, à travers les imaginaires, le rêve, l'aventure et le partage des émotions, faisant découvrir des auteurs talentueux, inconnus ou méconnus, comme des populations lointaines à travers des images rares qui franchissent difficilement les salles de spectacle habituelles. Comme à chaque rendez-vous, c'est un véritable marathon de projections mettant à la portée de tous la diversité et la richesse du monde. Une programmation, certes exigeante, concoctée par Jérôme Baron, véritable esthète en quête d'inédit qui, avec 500 films reçus chaque année, a dû faire un choix drastique en privilégiant la création originale et le cinéma d'auteur des trois continents. Douze films inédits et récents ont finalement été retenus pour la compétition internationale, la fiction n'étant pas dissociée du documentaire. Le jury de cette 30e édition, présidé par Yann Dedet, monteur et réalisateur qui entretient des rapports passionnels avec les cinématographies d'Asie et d'Afrique, n'a certainement pas eu la tâche facile pour départager les postulants à la Montgolfière d'or. Le ciel, la terre et la pluie du Chilien José Luis Torrès Leiva, côtoyait Bingaï, un réquisitoire de la bureaucratie chinoise), Perfect Life et Chronicle of Longwang des Chinois Feng Yan, Emily Tang et Li Yitan, Una Semana solos de l'Argentin Celina Murga, Still Walking du japonais Kore Eda Hirokozu. L'Egypte a proposé L'Aquarium de Yousry Nasrallah (deux êtres en quête d'identité), la Turquie Mik de Semih Kaplanoglu, le Brésil The Rat herb de Julio Bressane. L'Algérie, quant à elle, était représentée par La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl et, en hors compétition, par Mascarade de Liès Salem, absent de Nantes, car retenu au Caire. Autre moment fort, la projection du film iranien de Hana Makhmalbaf Le Cahier, à l'endroit-même où les désormais grands réalisateurs Abbas Kiarostani, Wing Kar Waï et Imkwon-Taek ont projeté leurs premiers films en Europe. A côté des films en compétition, un vaste panorama était proposé au public, brassant les genres et les époques avec de nouveaux modes d'expression et de nouvelles démarches stylistiques et thématiques. Projections donc, riches et passionnantes, allant d'un panorama du jeune cinéma équatorien, aux films de genre en passant par des projections pour le jeune public et pour les collégiens… Bref, un foisonnement de films, une moisson d'idées en ce 30e anniversaire ! Seul film marocain, celui de Leïla Kilani Nos lieux interdits qui décrit avec pertinence les horreurs des années de plomb. L'ovni du festival aura été cette année Crude Oil de Wang Bing qui, durant 14 heures ( ! ), décrit le quotidien d'ouvriers dans des chantiers en plein désert. Faute de films, l'Afrique sub-saharienne était absente du palmarès cette année. La compétition s'est donc jouée donc entre Latinos-Américains et Asiatiques venus en force. Parallèlement aux vingt projections quotidiennes, des expositions, des activités pédagogiques et des fêtes multiculturelles ont été mises sur pied. Véritable mosaïque du festival, les rétrospectives et les hommages, étaient au rendez-vous : le premier a été consacré à l'illustre cinéaste malien Souleymane Cissé, primé en 1979, avec la projection de son mythique Baara, le second au Philippin Brillante Mendoza avec la projection, en clôture, de son film Tirador. L'autre moment fort est celui consacré à Edward Yang, le Godard taïwanais, figure de proue du cinéma asiatique, avec la projection de huit de ses films. Des invités illustres, des hôtes prestigieux, déjà récompensés de la Montgolfière n'ont pas hésité à faire le déplacement au pays de Jules Verne : Hou Hsien (Taiwan), Jia Zhang-Ke (Chine), Abolfazi Jalili (Iran), Amir Naderi (Iran)… Autre rendez-vous d'intérêt, l'organisation par Produire au Sud depuis 2000, d'ateliers de formation et d'encouragement aux jeunes producteurs et réalisateurs issus d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui sont venus défendre leurs projets de films en public. Neuf (sur une centaine) ont été retenus et parmi les futurs acteurs du cinéma algérien de demain, deux venues d'Algérie : Amel Chouikh, productrice du film Fils de Djinns qui sera réalisé par sa sœur Yasmine, (un film qui traite des jeunes filles algérienne face à l'impératif du mariage) et Amina Haddad, scénariste et productrice du film que compte réaliser Moussa Haddad Harraga Blues (sur le thème de la violence, de la drogue et de la manipulation de jeunes candidats à l'exil). Grâce au soutien du public, la métropole nantaise, belle petite ville au passé prestigieux, pense déjà au 31e clap. Face à l'engouement des jeunes et au plébiscite du public, de plus en plus acquis à la cause cinématographique, l'équipe organisatrice actuelle, avec à sa tête Philippe Reilhac se dit prête à continuer à prôner l'ouverture vers les cultures du monde et l'échange. L'association présidée par Georges Cavalié, assure qu'elle continuera à aller de l'avant. Il nous faut signaler la mobilisation des étudiants nantais en cinéma et des radios de proximité. Après s'être ouvert aux « pensionnaires » des hôpitaux et des prisons, le F3C souhaite élargir ses horizons et s'ouvrir à d'autres publics, notamment scolaires. Que restera-t-il de ce flot d'images de l'univers profondément ancrées dans les mémoires ? Des souvenirs impérissables ou de vagues réminiscences ? Seul l'avenir le dira. Le F3C demeure un tremplin à la création, un espace convivial sans faste ni chis chis, un lieu de rêves où tous les appétits de cinéma peuvent être satisfaits, un rendez-vous désormais incontournable, un festival qui à l'instar de Cannes, Venise ou Berlin, a acquis un droit de cité, ne serait-ce que par le nombre impressionnant de participants, la qualité et la quantité des films projetés. Le festival, qui a noué de solides partenariats avec plusieurs festivals étrangers, participera d'ailleurs à Sidi Bel Abbès, au prochain Festival du film amazigh. Cette participation viendra relancer le souvenir d'une magnifique trentième édition, aussi intéressante que conviviale, et qui demeure un lieu de rencontres exception nelles de la diversité culturelle. De ce souvenir, nous retiendrons particulièrement la bonne présence du cinéma algérien qui, encore en proie à mille difficultés, mais disons convalescent, commence à nouveau à poindre son nez dans les palmarès internationaux. Le prix spécial du jury attribué à Malek Bensmaïl et annoncé alors que nous nous félicitions déjà de la nouvelle de la distinction de Mascarade au Festival international du Caire, est venu récompenser un auteur de documentaires qui a confirmé depuis 1996 un réel talent à raconter le réel. De même, la sélection des projets de deux jeunes Algériennes qui devraient bénéficier d'un soutien à la mise en œuvre de leurs projets a constitué un autre signe d'encouragement aux hommes et femmes du cinéma en Algérie dans leur combat pour redorer le septième art.