Quels rapports entre le fameux philosophe français et Prix Nobel de littérature 1927, auteur notamment de Matière et mémoire et L'Evolution créatrice et le psychanalyste Carl Jung, dis ciple de Freud qui le quitta par la suite et connut une phase trouble durant la période nazie, restant cependant une référence et le fondateur de la psychologie analytique, alternative voulue à l'école de son maître ? On pourrait trouver plusieurs passerelles entre ces deux grandes figures de la pensée du début du XXe siècle ainsi que de nombreuses différences, voire incompatibilités. C'est en tout cas, à Alger, l'enseigne que s'est choisie l'espace Bergson & Jung, qui se veut un pôle de recherche et de promotion pluridisciplinaire en design, communication, aménagement, architecture… Privilégiant la réflexion et l'audace, ce lieu atypique à Alger vient bouleverser un peu le ronron qui affecte les lieux d'art. Se positionnant déjà comme un lieu destiné à « l'exception créative », il attire surtout les jeunes créateurs avec un sens de l'initiative certain et des thématiques nouvelles, du moins en Algérie. L'espace a décidé cette semaine de donner carte blanche à Karim Sergoua dont le parcours coïncide de plusieurs manières avec son esprit. Né en 1960, Karim Sergoua a terminé ses études en communication visuelle en 1989 à l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger où il enseigne maintenant. Chercheur inlassable de pistes créatives, on ne peut lui reprocher l'immobilisme, fermement convaincu qu'il est que l'art contemporain est un exercice d'équilibre sans filets, bien que ses premières amours pour le mouvement Aouchem continuent à hanter ses travaux. Pour ce jeudi, il propose un atelier (ou workshop pour faire plaisir à l'anglicisme retenu) sur le thème de la carte postale. Un choix particulièrement intéressant en cette époque où les correspondances disparaissent et notamment la carte postale dont l'imagerie et le verso qui affiche sans enveloppe le message de l'émetteur, l'adresse du destinataire et le timbre (autre imagerie), qui porte en elle un type de communication et même une forme de poésie, restera attachée à l'histoire du XXe siècle. Dans ce projet, Karim Sergoua a fait appel à plusieurs jeunes créateurs dont les graphistes 3 Third World, , Syphax Baris, Amel et Yasmine Chaouche, Dina Chaouche, Oussama Tabti ; aux designers Walid Aïdoud, Nabila Kalache et Kenza Mebarek ; aux aménagistes Mounia el Mehdaoui, Adila Bouchra Hamina, Naïlou Rahil ; aux graphistes Zino T-Kharbichine Moukharbiche et Mohamed Yacef ; au sculpteur Rafik Khabcha et à une certaine Princesse Zazou, non classée dans une discipline, sinon celle de « très Zazou » ! Le choix par plusieurs de ces participants de pseudonymes de DJ, de tagueurs ou de slameurs est révélateur de leur inscription dans un registre culturel particulier, celui des nouvelles expressions urbaines qui, avec la vague du rap, du hip-hop et de l'univers Internet, ont déferlé sur le monde occidental avant de s'épandre ailleurs. Des artistes de la génération du mobile et des espaces d'échanges virtuels confrontés à un exercice d'expression et de création portant sur un objet en voie de disparition et appartenant à un ancien monde, celui du dernier millénaire. Un enjeu passionnant qui aura lieu aujourd'hui au siège de Bergson & Jung dont la directrice, Hania Zazoua, promet une « cession expérimentale » pour reprendre ses termes, afin de « tester seul ou à plusieurs, différents attitudes pratiques, matières, matériaux, médias, sons, images, donnant lieu à des articulations et constructions provisoires, des enchevêtrements éphémères et des questionnements ». Un festival créatif on live, pour rester dans l'univers du projet.