Un projet qui fut l'élément clé de la « Révolution agraire », est lancé en 1973 dans le but d'améliorer les conditions de vie dans les zones rurales. En effet, le président Houari Boumediène, dans le cadre de sa réforme du secteur de l'agriculture, condamne l'esprit de gourbi régnant dans les campagnes et lève les fonds nécessaires pour concrétiser l'opération historique de 1000 villages socialistes. Par ce projet, Boumediène visait surtout à rompre avec le romantisme révolutionnaire et la confusion idéologique de cette époque-là. La construction de ces villages avait effectivement permis aux paysans pauvres et sans terre de réaliser leurs rêves : celui d'accéder à une vie décente, avec un minimum de ressources. Ce programme a également aidé - toute proportion gardée - à sédentariser les populations rurales et à relancer un tant soi peu la machine agricole. Les campagnes se verraient ainsi dotées d'écoles, de dispensaires, de maison modernes, de salles de cinéma, de bibliothèques, de maisons de jeunes, de terrains de football et de marchés (Souk El Fellah). Elles verraient également la disparition de quelques gourbis sans vie, hérités de l'époque coloniale. Pour nombre d'observateurs, ce projet est inspiré du fameux "Plan de la mise en valeur agricole et industriel", lancé en octobre 1958 par le général Charles de Gaule. Si l'idée ressemble à celle du général de Gaulle, l'objectif est bien différent, d'autant plus que les visées colonialistes n'étaient guère pour permettre aux Algériens d'accéder à une vie meilleure mais plutôt de s'assurer la pérennité du système colonial. L'ambitieux projet de Boumediène a suivi un chemin sinueux. Comme le barrage vert, ce projet colossal fut abandonné à la mort du président Boumediène. Et au fur et à mesure que les années passaient, les villages construits perdirent leur visage et se transformèrent en cités ternes et sans attrait dont les maisons se vendaient aux plus offrants. Les infrastructures collectives furent privatisées et cessèrent de jouer le rôle qui leur était dévolu, à savoir faciliter la vie aux habitants. Ainsi, au fil du temps, ces villages, dont le but était de remplacer les gourbis et de les faire disparaître à jamais, deviennent des hameaux, des bourgs. Aujourd'hui, certains d'entre eux sont des nids de délinquance et des plaques tournantes des trafiquants de drogue. Cela au point qu'un village socialiste au nord de Tizi Ouzou, plus exactement dans la commune de Timizart, a été surnommé par les habitants des localités environnantes : "la Colombie". Fierté de la région à son ouverture dans les années 1970, ce village agricole, qui a été érigé au milieu des plaines, abritait jusqu'à un passé récent des familles de Fellah. Mais au début de la décennie 1990, il connut de terribles transformations humaines et matérielles. Une bonne partie de ses véritables habitants le quittèrent, laissant la place à des arrivistes aux pratiques sociales peu catholiques. Gagnées par l'usure du temps et victimes du manque d'entretien, les infrastructures urbaines se dégradèrent. Le même décor se répète ailleurs, dans d'autres villages agricoles. Pas tous peut-être. Mais la grande partie de ces villages se trouve dans la même situation. Parce que complètement défigurés et déviés de leur vocation initiale, certains villages sont désignés par "ex". C'est le cas du village socialiste de Beni Chougrane, à Mouzaïa. Erigé au milieu d'une terre fertile pleine d'agrumes, cet ex-village agricole, inauguré en 1974, est devenu le "foyer" de tous les vices. Infesté par les voyous et les trafiquants de drogue, il est devenu invivable pour ses habitants au nombre de 2000. Outre le chômage et la promiscuité, il manque de tout. Même constat au village socialiste de Chaâbet El Ameur, à quelque 40 km à l'est de Boumerdès. Eternel chantier, ce village se distingue par ses constructions inachevées depuis trente années pour certaines. Il compte actuellement près de 300 familles. Les infrastructures collectives sont en ruine. Les édifices qui devaient servir de bureau de poste, de siège de l'APC, de Souk El Fellah…n'ont pas vu et ne verront probablement jamais le jour. Ils sont au stade de chantier - abandonné - depuis plus de deux décennies. Pour les habitants, ces cadavres en béton représentent bien la fin de l'épopée socialiste ; illustrent l'échec d'une politique lancée tambour battant et pour laquelle de colossales ressources financières ont été allouées. Une sorte de cimetière où reposent "les idéaux de Boumediène".