Avant les joueurs de football et les écrivains, il y avait les chanteurs. Ils étaient les témoins d'un déracinement qui allait bouleverser leur vie et celle de leurs descendants, des décennies plus tard. L'association Génériques leur rend hommage dans un coffret original. L'histoire de l'immigration n'est pas encore écrite et, surtout pas entièrement enregistrée. Gravée, serait plus exact. Témoigner de la créativité, de la diversité et de la vitalité de la chanson maghrébine en France, à l'époque coloniale et post-coloniale, est l'ambition de Hna Lghorba (Nous sommes l'exil / EMI), un coffret de trois disques couvrant une période allant de 1937 à 1970. « On a vraiment sélectionné les grands chanteurs maghrébins du XXe siècle qui avaient travaillé en France et qui véhiculaient un message en lien avec toute la question de l'exil », explique Naïma Yahi, chargée de recherches à l'association Génériques, dont le but est de valoriser et préserver les sources d'archives portant sur les étrangers en France. Dans un vaste répertoire de plus de 3000 enregistrements, Naïma Yahi et Driss El Yazami, délégué général de Génériques, ont retenu 38 chansons, dont beaucoup inédites en CD. Avec tristesse ou humour, sur un ton dramatique ou plus léger, ces chanteurs de la communauté maghrébine, pour la plupart originaires d'Algérie, mais aussi du Maroc et de Tunisie, arabes et juifs, évoquent l'exil, la nostalgie du pays, l'amour, les problèmes sociaux, l'ambiance du café. S'ouvrant avec Chômage (1937), interprété par Rachid Ksentini, le « Bourvil algérien », cette anthologie se termine avec Paris dans mon sac (1966) où Noura chante en français les pièges de la société de consommation. Hna Lghorba aborde les divers styles qu'a revêtus cette chanson maghrébine : la tradition poétique kabyle avec le « rossignol kabyle », Zerrouki Allaoua, la variété avec le chanteur de charme Mohamed Lamari, le style sahraoui plus rustique d'El Bar Amar ou de Cheikh Zaïmi, celui plus symphonique, influencé par les productions égyptiennes, des chanteuses Hassiba Rochdy ou Saloua, le chaâbi avec Dahmane El Harrachi, une chanson orientale aux accents mambo. Ce coffret évoque des albums récents de Mouss et Hakim (ex-Zebda) et Rachid Taha (ex-Carte de Séjour). Dans Origines contrôlées (fin 2007), Mouss et Hakim interprétaient des chansons composées par des Algériens immigrés en France entre les années 40 et 80. Rachid Taha sublimait dans Diwan 2 (fin 2006) Ecoute-moi camarade, une chanson oubliée de Mohammed Mazouni. Après Hna Lghorba, l'association Génériques présentera, en 2009, l'exposition « Un siècle d'histoire culturelle des Maghrébins en France », aux Archives municipales de Lyon, de mai à septembre, puis à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, à Paris, d'octobre à mai 2010. A.F.P., Rémi Yacine