1200 m d'altitude, un parc de loisirs, du cèdre, du chêne… Plus bas, le chef-lieu de la commune de Benchicao, entouré à perte de vue de champs d'arbres fruitiers, de vignobles, semble à peine se réveiller de sa léthargie. Après avoir parcouru une centaine de kilomètres vers le sud, sur la route du pétrole, la nationale 1, à 20 km du centre-ville de Médéa, rien de plus agréable que de marquer une halte salutaire au parc de Benchicao. A quelque 300 m de ce lieu de villégiature, un barrage fixe de la Gendarmerie nationale dressé au niveau du paisible village, appelé communément « l'Assistance », ralentit quelque peu la circulation. De là, l'occasion s'offre de balayer d'un seul regard le flanc sud du village, dominé par la couleur rousse de ses sapins qui donnent l'impression de couver solennellement la quiétude de cette belle localité. Nous nous dirigeons au parc de loisirs de Benchicao, devenu célèbre depuis son ouverture au public l'été 2008. Il se constitue d'une cédraie de plus d'une vingtaine d'hectares. Collée à même la nationale 1, la forêt de conifères touffue et dense se distingue du faciès végétal avoisinant, constitué essentiellement de plusieurs variétés de chênes. Le lieu constitue un véritable écosystème d'une station de montagne : l'activité de l'évapo-transpiration du sol et des végétaux, modérée par l'effet de l'altitude, la fréquence de journées de brouillard, la pluviométrie suffisante, les épaisses couches de neige en hiver, crée un véritable décalage de saisons par rapport aux zones en contrebas dans la même région. Cette ambiance montagnarde maintient, par conséquent, une floraison retardée de la végétation, qui se caractérise par ses couleurs vives et verdoyantes toute la région jusqu'à fin juin... Située sur cet important axe routier, en sus des prédispositions de son climat et de son sol fertile, la région de Benchicao n'attise, paradoxalement, pas pour autant l'engouement des investisseurs. L'exemple de ce parc de loisirs, réceptionné en 2007, est on ne peut plus illustratif de cette situation. Prévu pour être équipé en infrastructures de divertissement et autres commodités, cet espace de beauté cherche preneur désespérément. A sa réception, il aura coûté 9, 38 milliards de centimes repartis sur plusieurs tranches. Les élus de l'APC de Benchicao déplorent le fait qu'un tel projet d'envergure régionale, qui devrait en principe être subventionné par un budget spécial, ait consommé une importante somme du budget des PCD 2007 et de 2008. « Sur les 3 milliards alloués à la commune de Benchicao au titre du PCD 2008, deux milliards ont été versés au parc de loisirs », affirme Ires Abdelkader, P/APC de la commune de Benchicao. Comble du paradoxe, parce qu'on apprend que l'endroit est très convoité par les visiteurs. « Le créneau est porteur, le site est stratégique et à rentabilité certaine. Nous sommes conscients de ce que nous avons entre nos mains, mais certains investisseurs veulent obtenir le beurre et l'argent du beurre », débite notre interlocuteur. L'avis d'appel d'offres pour l'exploitation du parc n'a abouti, malheureusement, qu'à une seule réponse, apprend-on du P/APC. Cependant, les négociations autour d'une feuille de route en matière d'exploitation de cet espace spécifique et à haute valeur patrimoniale n'ont, semble-t-il, pas encore atteint les résultats escomptés. L'exploitation du parc a été cédée à hauteur de 700 millions de centimes, qui seront annuellement perçus par la commune de Benchicao. L'exploitant devra installer, selon les clauses du cahier des charges, l'équipement de divertissement. Les travaux d'aménagement du site sont achevés à 100%, le contrat d'exploitation a été signé en juillet 2008 ; mais à l'heure actuelle, l'exploitant n'a installé aucun équipement. Sommé par deux mises en demeure, selon Rmili M., élu APC, ce denier n'a pas encore répondu aux sollicitations de l'APC de Benchicao. Une virée sur site Une fois sur site, le verbe s'efface pour céder place à la magnificence du paysage qui s'offre à nous. Sur le col de Masconi, avoisinant les 1300 m d'altitude, la perspective est à couper le souffle. Sur une centaine de kilomètres à l'horizon, le paysage s'offre d'un seul bloc. Des premiers monts de la Kabylie, Bouzegza, passant par l'imposant relief de Chréa au nord, jusqu'aux montagnes de Zeccar et de l'Ouarsenis (en berbère : rien de plus haut), vers l'ouest et Taguensa au sud, l'horizon panoramique, visité à vol d'oiseau, s'offre majestueux. Les veilleurs passionnés des nuits romanesques verront de nuit, par temps dégagé, les lumières de la capitale et de la Mitidja dessinées par un saisissant effet de halo, l'allure intercalée des contours de toute la façade septentrionale des montagnes de l'Atlas blidéen. Les couleurs du paysage s'alternent ici principalement entre la blancheur des neiges et la verdure dominante de l'herbe fraîche, qui débute comme somnolente à partir de la mi-septembre et persiste jusqu'à fin juin. Le plus grand oued en Algérie, en l'occurrence l'oued Chéliff, prend de ce bassin hydrique dans la région de Benchicao ses premiers affluents, pour se jeter plus loin à quelque 350 km du côté de Mostaganem. Dans la littérature grise, peut-on lire sur cet Epinal de beauté décrit dans une publication d'AEK. Halimi, intitulé L'Atlas blidéen : la région de Benchicao appartient au domaine de l'étage bioclimatique supérieur humide frais. La caractérisation des étages bioclimatiques se basant essentiellement sur les études, entamées de longue date par Siltzer et Humburger, deux chercheurs allemands qui ont beaucoup travaillé sur l'Algérie. « Au plus fort de l'été, les températures sont nettement plus modérées qu'en contrebas des zones voisines et tournent tout juste autour des 220 C à 250 C, quand plus bas le mercure dépasse les 320 C », nous explique un étudiant habitant la région. Dans la cédraie, qui abrite le parc de Benchicao, l'ambiance est plutôt bon enfant ces derniers jours. Des familles, venant du sud ou du nord, profitent de l'air pur devant les murs en pierrailles qui cernent dans l'art du rupestre cet îlot de fraîcheur et cadrent dans le seau de l'originalité montagnarde ce site aux ombres rafraîchissantes. Plus loin, des habitations clairsemées présentent un voisinage dégagé, embrassant des centaines de kilomètres d'encablures et de reliefs intercalés. Pause paysage à l'intérieur du parc. L'empreinte rustique : petits ponts, tables et chaises en bois ou en granito, d'étroits sentiers pavés de pierres, balançoires pour enfants, cascades artificielles, et il est même prévu une salle de théâtre en plein air. Atouts de l'arboriculture et déboires de l'élevage bovin La promotion de l'arboriculture pourrait, de part le potentiel de fertilité du terroir et la disponibilité de l'assiette foncière, subvenir à la demande locale et même régionale. Partout où votre regard erre, les enclos naturels, qui délimitent des secteurs relevant de l'étatique ou du particulier, abritent de vastes parcelles de dahlias, des champs de pommiers, d'abricotiers… la commune dispose de quelque 500 ha de terre d'arbres fruitiers répartis entre collectivités, fermes pilotes et particuliers. La commune de Benchicao est partout ailleurs connue aussi par la qualité supérieure de ses fruits, notamment ses variétés de raisin, hmar bouaâmar, el mokrani… En somme, une région fruitière, dont les activités sont exemptes d'impôt, ce qui suppose clairement que cette commune rurale dispose de faibles ressources financières pour la prise en charge d'une population de 9700 habitants (selon les statistiques du dernier RGPH 2008). Si l'arboriculture progresse, l'élevage bovin régresse. Beaucoup de particuliers, et non des moindres, selon les propos recueillis, se sont reconvertis à d'autres métiers ou ont tout simplement réduit les effectifs de leur cheptel. El Bassour comptabilisait plus de 200 vaches laitières, le même chiffre affirme, non sans dépit, un vieux de la région peut être estimé dans les grandes bourgades appartenant à la circonscription de Benchicao. L'argument invoqué, la cherté de l'aliment du bétail. Si l'arboriculture est florissante, l'étendue du foncier agricole n'est pas à même de satisfaire les besoins en aliment du cheptel bovin, vu, explique-t-on, que la culture céréalière, qui nécessite un ensoleillement prolongé, ne s'adapte pas au climat de la région, souvent engloutie sous d'épaisses couches de brouillard. Les vicissitudes du logement, des équipements et autres commodités Au terme du recensement de 1998, la commune de Benchicao, 59 km2 de surface, comptabilisait 9530 habitants, au recensement de 2008 ; c'est-à-dire qu'après dix ans, l'effectif a atteint les 9700 habitants. A tout considérer, une augmentation de 170 personnes en dix ans, 17 personnes par an, soit un taux d'accroissement démographique de 1,75% en dix ans, ou 0,17% annuellement. Cette évolution démographique signifierait plutôt une décroissance de la population, puisqu'à considérer le taux de croissance retenu au niveau national, qui est estimé à 2,5 à 3,5%, l'effectif au niveau de cette commune se serait élevé d'au moins 2000 âmes. La raison : le manque flagrant des programmes de développement rural qui sont dimensionnés proportionnellement aux besoins enregistrés, à la vocation du site et aux potentialités encore en friche de la région. Aucune opportunité d'embauche sinon vivre en montagne, comme nous le résume ce citoyen, signifie se réveiller de bonne heure et aller se coucher à la tombée de nuit ; entre-temps et à toute heure de la journée, les cafés nous accueillent et grouillent d'importantes masses juvéniles n'ayant rien à faire. 80% de la population ont moins de 35 ans, le taux de chômage a atteint les 30%, selon le P/APC ; plus de 50%, selon des avis recueillis un peu partout. « Hormis la cueillette des fruits, les vendanges et le travail de la terre de début de la saison agricole drainent quelques postes d'emplois saisonniers. Le reste de l'année, entre son chez-soi, le centre-ville de Médéa et un coin de café, on déambule, on se raconte pleins d'« histoires » ; mais surtout, on ne fait rien », débite un trentenaire de la région. Notons que sur le volet habitat, la commune de Benchicao, dans les cinq dernières années, a bénéficié de 30 logements sociaux locatifs, la demande, selon Rmili M., un élu local, frôle les 500 postulants. Dans le cadre de l'habitat rural, trois projets de regroupement de la population au niveau d'El Bassour, Masconi et l'Assistance ont buté sur les écueils du statut du foncier agricole. Selon le P/APC de Benchicaou, la commune ne dispose pas d'une réserve foncière (foncier urbain) lui permettant de recevoir des programmes de logement ou autres équipements. A cet effet, il précise que des négociations avec les services de l'agriculture et les domaines sont en cours pour créer des lotissements devant accueillir des projets de proximité ou autres d'envergure économique, afin de propulser le développement rural dans la région. Par ailleurs, le taux de raccordement au gaz de ville dans cette région, où le mercure descend bien souvent en dessous de zéro en hiver, est très faible. La couverture sanitaire, quant à elle, laisse à désirer. Trois médecins, dont la présence est souvent aléatoire, assurent des opérations préliminaires de premiers soins pour environ une dizaine de milliers d'habitants. Le rythme de croisière en matière de développement rural peut être atteint, espère le P/APC de Benchicao, si les pouvoirs publics se montrent plus au courant de la situation du citoyen et des contraintes du terrain. « Fixer la population ne consiste pas à lui construire des dortoirs où ils vont hiberner. Il faut asseoir de vraies bases productives en boostant l'investissement créateur d'emploi, tout en préservant bien évidemment la spécificité de l'espace villageois », a conclu le premier responsable de la commune de Benchicao.