Il a fallu que les islamistes d'Ennahdha gagnent les dernières élections municipales pour qu'une femme non voilée, Souad Abderrahim, accède, pour la première fois de l'histoire, à la présidence de la mairie de Tunis. La nouvelle maire de Tunis est membre de l'Assemblée nationale constituante, tête de liste d'Ennahdha dans la circonscription de Tunis 2 lors des élections du 23 octobre 2011. Souad Abderrahim est pharmacienne, non voilée ; elle a sympathisé avec les islamistes depuis les années 1990 à l'université, quand elle était membre du bureau exécutif de l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE), le syndicat estudiantin islamiste. Souad Abderrahim se dit toujours indépendante et ne s'était pas présentée pour les élections parlementaires de 2014. Du coup, les islamistes ont eu besoin de son profil (libérale, non voilée) pour concurrencer sérieusement pour le poste de maire de Tunis et elle a réussi à le décrocher, au prix de combines électorales complexes. Les islamistes d'Ennahdha sont parvenus à damer le pion à Nidaa Tounes, en matière d'alliances au sein du Conseil électoral de Tunis. Ils ont su tirer profit du nouveau code tunisien des collectivités locales, qui ne donne ni la présidence de la municipalité ni la majorité du Conseil municipal à la liste qui arrive première lors des élections municipales. Le mode électoral adopté respecte une proportionnelle pure, qui ouvre la voie aux alliances en tous genres. La scène tunisienne a connu, du coup, ces dernières semaines, des alliances multiformes pour installer des présidents de municipalité, de toutes les couleurs politiques au gré d'alliances tribales, voire d'intérêts mutuels. Manœuvres En gros, les maires élus sont le fruit d'alliances conformes aux attentes des observateurs. Sauf une ou deux petites ententes imprévues entre les islamistes d'Ennahdha avec les marxistes du Front populaire, dans de petites localités. Cela a fait que tout le monde a attendu, avec impatience, ce qu'il en sera de la symbolique mairie de Tunis, où les résultats ne donnaient pas de majorité claire. Ennahdha avait 21 conseillers, Nidaa Tounes 17, le Courant démocratique 8, l'Union civile 6, le Front populaire 4 et la liste indépendante Tunis ma ville 4. Personne n'était sûr d'arriver en tête. Chaque parti voulait s'emparer de ce poste symbolique qu'est «cheikh medina» de Tunis. Toutefois, avec le retrait, en dehors de la salle, des huit élus du courant démocratique et la neutralité annoncée des quatre membres du Front populaire, le jeu était favorable au candidat de Nidaa Tounes, Kamel Idir. Les dix conseillers des listes de l'Union civile et de Tounes Madinati étaient normalement acquis à Kamel Idir. A la surprise générale, lors des dépouillements du deuxième tour, Souad Abderrahim a réuni 26 voix, alors que Kamel Idir n'en a obtenu que 22 et quatre feuilles blanches, celles du Front populaire. Comme Souad Abderrahim était à égalité avec Kamel Idir lors du premier tour (21 voix chacun), les quatre conseillers de Tounes Madinati avaient déjà voté Kamel Idir, les regards s'étaient tournés vers les conseillers de l'Union civile. Cette formation est une alliance de candidats issus de plusieurs partis de la famille socio-libérale : Afek Tounes, Tounes Awalan, Al Massar, Al Badil, Al Machrouaa, etc. Les élus de l'Union civile ont toutefois tourné leur veste en faveur de la candidate d'Ennahdha, ce qui n'a pas été pour plaire à certains de ses membres. L'un des leaders de cette «union», Ridha Belhaj, fondateur de Tounes Awalan, a rencontré hier le président Béji Caid Essebsi en vue d'examiner la possibilité d'un «retapage» de Nidaa Tounes pour un «front» contre Ennahdha lors des élections générales de 2019. L'élection de Souad Abderrahim comme maire de Tunis ira-t-elle jusqu'à provoquer une recomposition politique ?