De nombreux ouvrages ont été consacrés à la critique littéraire, souvent objet de récriminations des auteurs ou des éditeurs, provoquant parfois la perplexité des lecteurs et, en tout cas, toujours interrogée sur ses écrits généralement journalistiques (ou sous forme d'essais) qui prennent dans certains cas l'allure de verdicts plutôt que de diagnostics. Il existe bien sûr peut-être autant de genres de critiques qu'il existe d'auteurs qui s'y consacrent. Mais dans cette grande diversité, des lignes essentielles se dessinent et il est possible de faire apparaître des tendances au gré des périodes, des lieux et des publications. C'est à cet exercice très intéressant que se livre l'ouvrage qui vient de paraître chez Klincksienck. S'attaquant à la critique en général, il porte un titre très évocateur : Que fait la critique ?, suggèrant la fameuse expression « Que fait la police ? » Son auteur, Frédérique Toudaire-Surlapierre, spécialiste en littérature comparée, explique comment s'effectue le processus de la critique, et notamment les facultés intellectuelles qu'elle sollicite. Ainsi, elle dresse un inventaire des différentes composantes sur lesquelles s'appuie la critique. Elle en retient quatre qui sont : la description, le savoir, le jugement et la compréhension. Il en ressort qu'une bonne critique doit permettre de bien lire l'œuvre, de l'expliquer, de la classer et de la délimiter, faute de quoi elle sombre dans un impressionnisme à fleur de peau qui peut laisser la porte ouverte à bien des dépassements et notamment au subjectivisme. Ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans cet ouvrage réside dans la contribution de l'auteur à construire une archéologie de la critique qui permet d'éclairer et d'argumenter ses propos. Contrairement à ce que l'on pense souvent, la critique littéraire ne remonte pas au XIXe siècle mais plonge ses racines dans l'Antiquité. Il est possible ainsi de remonter jusqu'aux Grecs pour retrouver un Aristote qui, à travers sa « poétique » avait à son époque déjà tenté de produire une théorie sur les genres littéraires. L'évolution à travers les siècles aboutit au siècle des Lumières où l'on établit alors la distinction entre l'œuvre et son auteur, étape importante dans l'évolution du genre. Frédérique Toudaire-Surlapierre s'attache ensuite au dix neuvième siècle où apparaît une des plus grandes figures de la critique, à savoir Charles Augustin Sainte-Beuve et ses causeries parues dans la presse de l'époque. Cet ami de Victor Hugo, qui ne partageait pas ses idées politiques, a souvent été lui-même critiqué par la suite pour avoir attaqué avec virulence des écrivains comme Balzac, Baudelaire ou Stendhal. Mais on ne peut cependant nier son influence sur l'évolution de la critique. Sainte-Beuve appuyait ses écrits sur une mise en relation de l'œuvre avec la vie de l'auteur. Pour lui, tout s'expliquait par la biographie de l'écrivain et cette méthode a été remise en cause notamment par Marcel Proust dans son célèbre Contre Sainte-Beuve, ouvrage inachevé mais révolutionnaire dans la mesure où il a recentré la critique sur l'œuvre. L'ouvrage de Frédérique Toudaire-Surlapierre souligne également l'irruption récente dans la recherche d'une nouvelle notion, celle de la géocritique, consacrée par le remarquable essai de Bertrand Westphal (Editions de Minuit, 2007). D'une manière succinte, la géocritique s'apparente à la géopolitique, c'est-à-dire une « géographie des idées ». Elle permet de distinguer plusieurs tendances territoriales de critiques littéraire : l'école américaine, l'école anglo-saxonne, l'école italienne, sans oublier l'école de l'époque soviétique rattachée au réalisme socialiste. Toutes ces écoles privilégient un aspect par rapport à un autre comme si chacune d'elle focalisait sa vision sur un aspect d'une œuvre ou d'une écriture. On constate ainsi que, selon leur appartenance à telle ou telle école, les critiques privilégient soit l'émotion, soit la sympathie, soit l'esthétique, soit l'impression ou encore la didactique. Une question reste posée, celle de l'influence que peut exercer un critique sur le goût du public et ses comportements de lecture, surtout en ces temps où l'usage de techniques de promotion éditoriale, qui ne sont pas très différentes de celles de produits de consommation courante, crée des situations nouvelles. Ce marketing fonctionne en partie seulement car, si l'on prend la rentrée littéraire française de septembre 2008, beaucoup de romans annoncés comme des œuvres incontournables se sont avérés des « bides » monumentaux, le meilleur exemple étant les livres de Patrick Poivre d'Arvor et de Christine Angot. Frédérique Toudaire-Surlapierre, l'auteur de « Que fait la critique ? » a confirmé dans cet essai sa réputation déjà bien établie. Maître de conférences en littérature comparée à l'université de Besançon, elle est connue pour ses recherches et publications sur les littératures scandinaves, les rapports entre imaginaire et imagination, le théâtre et les transferts artistiques la littérature et d'autres disciplines (musique, peinture, philosophie). Elle codirige la revue de théâtre Coulisses. Quant à l'éditeur, Klencksienck, l'un des plus anciens d'Europe (1842), sa collection prestigieuse, 50 questions s'enrichit ici d'une bien utile publication toujours à partir du jeu des questions réponses par des universitaires de qualité qui apportent des clarifications autant aux lecteurs profanes qu'aux spécialistes. Frédérique Toudoire- Surlapierre, Que fait la critique ?, Ed. Klincksienck, Paris, 2008. 184 p.