Les habitants de Tizi Maghlaz, le plus haut perché des quatorze villages ancestraux de la commune d'Ouzellaguen, ont organisé vendredi dernier à l'occasion de Yennayer la traditionnelle et séculaire fête de Timechret, appelée communément aussi lawzéâ. La neige aura fini de fondre et le soleil se faisait rayonnant sur cette inébranlable forteresse se dressant altière pour défier le temps qui passe. Malgré la difficulté d'emprunter la seule piste cahoteuse, défoncée et abrupte qui mène à cette colline oubliée, ils étaient nombreux à répondre présents à cet événement annoncé par voie d'affichage une semaine auparavant. Au moment où les jeunes bénévoles s'affairaient dans une ambiance bon enfant aux travaux manuels consistant particulièrement à répartir les quotes-parts de viande, les sages du comité de village, anciens maquisards pour la plupart, répondaient aux différentes sollicitations de tous ceux qui voulaient immortaliser l'évènement ou avoir réponse à tout ce qui se rapporte à ce rite ancestral de Kabylie. Pour ne pas rester en marge, nous nous sommes donc rapprochés d'eux pour en savoir plus sur une tradition qui se fait de plus en plus rare par les temps qui courent. Pour Dda Bachir Idri, président du comité de village, « Lawzéâ est avant tout un moment de solidarité et de gaieté dont l'objectif premier est de permettre aux démunis de la localité de fêter l'évènement au même titre que les autres en bénéficiant de leur dotation de viande, notamment ». Pour réussir cette fête dédiée au nouvel an berbère, une collecte d'argent à raison de 1500 DA par ménage a permis l'acquisition de deux bœufs sacrifiés en cette occasion, avons-nous appris auprès de Dda Mohand Tahar Zemmoura, membre du comité de village. « 135 quotes-parts (tikhamine) en sont issues et destinées à ceux qui ont cotisé et à ceux qui n'ont pas pu le faire. Ces derniers hériteront, comme le veut la tradition, d'une quote-part pour deux ménages », précisera-t-il. Tous les participants sont originaires de Tizi Maghlaz mais n'y habitent plus depuis belle lurette, en fait. « Seules cinq familles y résident encore », nous fera remarquer Hadj Meziane Boukhelifa. L'exode rural ne date pas d'aujourd'hui, selon notre interlocuteur : « L'armée coloniale a obligé les villageois à se réfugier à Ighzer Amokrane après avoir rasé le hameau. La piste impraticable, l'habitat précaire et le manque d'éclairage public ne sont pas pour inciter les gens à revenir s'y implanter. » « L'absence de centre de soins et d'école aussi », renchérit Dda Mohand Tahar. L'évocation de l'armée coloniale fit replonger les anciens moudjahidine dans leurs souvenirs d'une époque où ils durent subsister des fruits de la terre et d'élevage. Un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître, évidemment. « La situation géographique de Tizi Maghlaz nous permettait pendant la révolution armée de signaler aux habitants des autres villages situés en aval la présence de l'ennemi dans les parages. La position debout d'un piquet visible de loin leur permettait de vaquer tranquillement à leurs occupations », se rappelle Hadj Meziane. Les maquisards de la région, Boukhelifa Lamara et Idri Akli étant les plus illustres martyrs du village, avaient l'habitude de s'y réunir, avons-nous appris. L'épisode des sept combattants abattus par le peloton d'exécution de l'armée coloniale sur la place publique puis balancés par dessus la falaise aura été un des moments forts des récits évoqués par les sages du village à l'assistance juvénile que cette fête traditionnelle a réussi à rapprocher.