Il y eut d'abord cette espèce de certitude jetée au centre des controverses sous forme d'interrogation : « La crise n'est-elle pas, en quelque sorte, l'arbre qui cache la forêt des crises multiformes qui secouent, depuis plusieurs décennies, ce nouveau capitalisme patrimonial (ou rentier) qui domine la planète suite à l'émergence de la mondialisation au cours des années 1970 ? » Pour Smaïl Goumeziane, économiste et ancien ministre du Commerce, invité jeudi dernier au forum les Débats d'El Watan, la crise financière internationale ne peut cacher ses liaisons dangereuses avec ce qu'il qualifie de capitalisme patrimonial ou rentier. Flash-back sur une situation qui n'est aucunement issue d'un néant inconnu : pour certains analystes, explique M. Goumeziane, la crise qui ébranle actuellement les Etats les plus solides « ne serait qu'une variante spécifique et plus agressive d'une succession de bulles spéculatives qui éclatent périodiquement et ébranlent plus ou moins fortement, au moment du flux et à celui du reflux, des économies désormais mondialisées ». Il cite, à titre indicatif, la crise de la dette du tiers-monde des années 1980, les crises financières en Amérique du sud (Mexique, Argentine, Brésil), en Asie (1994), en Russie (1997), puis la crise des valeurs de la « nouvelle économie » en 2001. La seconde approche défendue à cor et à cri par d'autres spécialistes développe l'idée d'une dépression issue de la « crise des subprimes » (crédits hypothécaires). « Elle est la plus brutale et la plus dangereuse manifestation de la crise structurelle et globale du capitalisme patrimonial (rentier) sous sa forme néolibérale », explique l'orateur en faisant référence aux partisans de cette deuxième approche. Pour décortiquer la genèse de la crise, l'invité d'El Watan ne se garde pas de se poser cette question : pourquoi le processus se déclenche-t-il aux USA ? Deux approches s'opposent : l'une défend l'hypothèse d'une crise en relation étroite avec l'avidité et l'irresponsabilité des spéculateurs américains sur fond de dérégulation et d'absence de transparence dans les opérations financières liées à l'octroi des crédits immobiliers (les subprimes) ; la seconde approche développe, quant à elle, l'idée selon laquelle la crise a débuté aux Etats-Unis, car ce pays est le cœur du capitalisme patrimonial et Wall Street son poumon. « C'est là que la toute-puissance des marchés financiers est organisée et centralisée. C'est là que l'Etat et les ménages y sont les plus endettés. C'est là que le complexe militaro-industriel est le plus imposant », explique Smaïl Goumeziane devant un parterre totalement acquis à ses thèses. Et de préciser que c'est aux USA que « sur fond de désindustrialisation/délocalisation (hors secteurs de défense et de haute technologie) et faute d'une véritable amélioration de la productivité (moins de 1% par an), la spirale spéculative s'est formée puis déplacée d'une activité à l'autre (valeurs technologiques, matières premières, immobilier, énergie, alimentaire, armement…) ». « C'est aux Etats-Unis aussi que le phénomène de titrisation est le plus sophistiqué et le plus développé et que les banques ont le mieux joué le jeu des rentiers de la finance sous l'œil bienveillant (complice, diraient certains) de la Federal Reserv Bank (et du couple Greenspan/Ben Bernanke) », ajoute l'économiste. La multiplication du nombre d'opérateurs (des milliers de hedge funds) ainsi que celui des produits financiers (les produits dérivés) viennent bousculer les donnes, faisant courir à la planète des dangers de taille. En termes de chiffres, le conférencier a fait savoir qu'entre 2002 et 2007, les montants notionnels (engagements) sur ces produits dérivés sont passés de 100 000 milliards de dollars à 516 000 milliards de dollars, soit 35 fois le PIB américain. C'est pourquoi certains parlent des produits dérivés comme d'une « véritable arme financière de destruction massive », a indiqué M. Goumeziane.