Un sit-in a été observé en septembre dernier à Jijel contre l'enseignement obligatoire de tamazight. Des collégiens et des lycéens répondent en boycottant, depuis plusieurs jours, les cours de langues arabe en Kabylie. Aujourd'hui, nous sommes face à un mouvement de boycott des deux langues nationales, dans différentes régions du pays. Une atteinte à un élément de l'unité nationale. Analyse. «Pas d'arabe sans tamazight», «Vous ne voulez pas de notre langue, on ne veut pas de la vôtre», «Sans tamazight, il n'aura rien d'autre»… Tels sont les slogans brandis depuis quelques jours par les lycéens et collégiens de plusieurs établissements de Kabylie, boycottant les cours de langue arabe. Tout a commencé il y a quelques semaines à Jijel. Des parents d'élèves ont protesté contre l'enseignement de la langue amazighe, les élèves ont refusé d'assister aux cours. Quelques jours après, à Alger, une enseignante de tamazight s'est retrouvée dans une classe quasi vide. En réponse, le 14 octobre dernier, les lycéens de la région de Beni Zmenzer, en Kabylie, ont lancé le boycott de la langue arabe. Plus encore, à Bouzeguène, des lycéens ont envahi la rue pour exprimer leur colère quand au boycott de tamazight. En quelques jours seulement, le mouvement s'est propagé. Les photos de lycéens de différentes localités des wilayas de Tizi Ouzou, Béjaïa et Bouira refusant d'assister aux cours de langue arabe envahissent les réseaux sociaux. Azazga, Les Ouadhias, Larbaa Nath Irathen, Fréha, Akbil, Tigzirt, Maatkas… Hier encore, les lycéens de Chemini ont répondu à l'appel de boycott, ceux de Timezrit aussi. Face au silence des autorités concernées, les avis des spécialistes sont partagés. Certains parlent de «manipulations politiques», d'autres de «colère et vengeance» et ailleurs de «complot pour déstabiliser le niveau de la wilaya». Abdellah Arkoub, inspecteur de langue amazighe, a personnellement visité de six écoles et collèges dans l'Oranie pour évaluer l'enseignement de la langue. Pour lui, aucune dérive ni refus n'ont été constatés dans la région. Pour ce dernier, le mouvement de protestation des lycéens n'a pas lieu d'être et les autorités doivent intervenir pour régler le problème. «La balle est dans le camps des autorités face à ce qui se passe en Kabylie. Le ministère de l'Education nationale doit agir au plus vite pour arriver à la généralisation de la langue amazighe à toutes les wilayas du pays et asseoir une stratégie dans ce sens. Cela va permettre aux Algériens de vivre pleinement leur diversité culturelle et linguistique dans une Algérie plurielle», explique-t-il. Manipulation Invité par la radio régionale de Tizi Ouzou cette semaine, le directeur de l'éducation de la wilaya, M. Lalaoui, a déclaré quant à lui qu'une réunion a été organisée avec des directeurs, des proviseurs et des parents d'élèves «pour leur donner des orientations visant à sensibiliser les élèves contre toute manipulation via les réseaux sociaux. D'ailleurs, ceux qui tentent de déstabiliser le secteur de l'éducation dans la wilaya veulent utiliser un élément sensible, à savoir tamazight, alors que l'enseignement de cette langue est généralisé dans notre wilaya». Selon Boualem Messouci, ancien professeur de mathématiques, poète et écrivain en tamazight, ce qui se passe en Kabylie est une «simple manipulation politique». Pour lui, «si on en est arrivé là, c'est parce que dès le début, les deux langues nationales et officielles ont été traitées différemment. L'une, l'arabe a été imposée à tous les Algériens, l'autre, tamazight, n'est pas encore généralisée à toutes les wilayas du pays. D'où cette impression d'injustice qui évolue chez les jeunes». Cependant, pour l'ancien enseignant, la solution à ce problème ne réside nullement dans le boycott : «Les pouvoirs publics doivent réparer cette impression d'injustice. Que l'officialisation de tamazight soit effective dans tous les domaines, enseignement, communication, médias, législation…» De son côté, le mouvement Rassemblement pour la Kabylie (RPK), a évoqué, dans un communiqué rendu public mercredi, la «vigilance». Pour ce mouvement, l'action des jeunes protestataires est compréhensible et légitime : «La colère qu'exprime cette mobilisation est non seulement compréhensible, elle est de surcroît légitime. Dire haut et fort basta aux provocations, aux insultes et à l'infériorisation d'une identité est un acte salutaire. Mais, il demeure nécessaire et impérieux de ne pas se laisser entraîner et enfermer dans une guerre des langues.» Identité nationale Le RPK ajoute qu'«en tant que Kabyles, même si nous aspirons à ce que tous les Algériens se réapproprient sereinement et de manière effective le fond commun amazigh, nous devons nous garder de vouloir imposer notre langue aux autres. Il importe, donc, de faire un travail essentiel sur nous-mêmes, surtout s'agissant des grandes questions qui engagent l'avenir, pour nous départir de la prégnante culture de l'exclusion, de ne pas nous laisser enfermer dans les postures dominantes de la culture du système en place». Et de souligner que la question nécessite un débat et une confrontation des idées pour déjouer «les manipulations et les provocations». Le RPK assure : «La riposte énergique et forte de nos jeunes lycéens gagnerait à se donner de véritables perspectives, d'abord en s'organisant de manière démocratique, ensuite en s'ouvrant sur le champ des idées et de la conquête des libertés, loin de toute forme de caporalisation ou d'instrumentalisation. D'autant que le contexte dans lequel est organisée la protestation appelle à une vigilance accrue. La lutte des clans, plus visible que jamais, est là pour nous alerter que les mains invisibles de la police politique ne resteront pas immobiles pour ne dénaturer ce mouvement et l'instrumentaliser.» D'un point de vue plus pédagogique, le linguiste Abderezzak Dourari explique l'arrière-plan du mouvement qu'ont connu Jijel et la Kabylie par «la mauvaise gestion de l'identité nationale et sa diversité culturelle et linguistique par la politique de l'Etat, depuis l'indépendance et jusqu'à ce jour». Il explique : «Parce qu'en dépit de l'avancée de la reconnaissance de l'historicité du pays, de l'identité amazighe et des cultures qui vont avec, il n'en demeure pas moins qu'il y a encore une espèce de volonté de faire des bénéfices politiques et idéologiques afin d'entraver, beaucoup ou peu, l'évolution qu'a connu la revendication amazighe, puisque la langue est devenue nationale et officielle. Aussi, la loi organique de l'académie a été signée en septembre et maintenant on s'achemine vers la mise en place de l'académie elle-même». Confusion Au stade de contestation où nous en sommes, le linguiste affirme que «la mouvance de la revendication berbère émet un deuxième problème. Il y a une confusion entre tamazight, présentée au singulier, alors qu'elle est en réalité plurielle. Le pluralisme qui a été revendiqué au départ, durant les années 1980, redevenu monolingue, à l'image des arabistes et de la politique qui a été adoptée par l'Etat jusqu'à ce jour…» Et d'ajouter qu'aujourd'hui, c'est de multiculturalisme et multilinguisme qu'il faut parler. «Et c'est pour ça que la Constitution aménagée en 2016 parle du caractère officiel de tamazight dans des différentes variétés régionales. Le mozabite, le kabyle, le chinwi… toutes ces variétés sont officielles. Mais laquelle de ces variétés est généralisée et obligatoire ? Pour qui ? Cette problématique est grave… Car, dépassé le niveau politique, quand on fait dans l'analyse, pédagogiquement on trouve qu'il faut enseigner natia dans les zones où on parle le nata, le chaoui dans les zones où on parle chaoui, etc. Ce n'es plus une possibilité offerte aux gens d'enseigner un langue généralisée et obligatoire», s'exclame Abderezzak Dourari. Ce dernier fini par éclaircir que l'arabe scolaire, celui qu'on enseigne à l'école, n'est pas une langue maternelle ni autochtone des Algériens ! Elle sert l'administration et l'Etat. «Elle a été imposée à une époque en même temps aux arabophones algériens et aux amazighophones.» Quant à tamazight, avec ses variétés, c'«est la langue maternelle d'une partie des Algériens, les autres Algériens ont l'arabe algérien (derja) comme langue maternelle. De quel droit,l'amazighophone rendrait-il sa langue maternelle langue obligatoire et généralisée aux autres ? Il n'a jamais été question, dans la revendication de tamazight, de refuser une autre langue. C'est un débordement et une dérive !» – Il a dit Pour commencer, les élèves et leurs parents doivent comprendre que les deux langues, l'arabe et tamazight, sont des langues officielles et nationales et, donc, leur apprentissage est obligatoire et non facultatif. Le ministère de l'Education nationale avait déclaré que certains directeurs d'établissement avaient remis des formulaires aux parents concernant les cours de la langue amazigh… Par ailleurs, les élèves doivent savoir que le boycott des cours va sûrement les affecter dans leur cursus et leur résultat, notamment lors des examens officiels. Les cours de tamazight doivent désormais êtres généralisés à toutes les wilayas du pays et imposés dès les classes primaires. Maintenant, il faut que tous les élèves qui ont boycotté les cours, d'arabe ou de tamazight, soient sanctionnés. Je les appelle à être raisonnables et à rejoindre les bancs de l'école. Kamel Nouari, activiste dans l'éducation