L'officialisation de tamazight reste, pour certains partis politiques et militants associatifs, la seule option pour garantir la pérennité de la langue, tout en pensant à la mise en place de mécanismes pour sa promotion. Les printemps berbères ont été des événements marquants, qui ont mis au-devant de la scène cette revendication. Pour le professeur Abderrezak Dourari, directeur du Centre national pédagogique et linguistique de l'enseignement de tamazight (CNPLET), «l'Algérie doit lancer un processus de normalisation de la langue amazighe en créant une autorité académique». Il s'agit, explique-t-il, de l'aménagement de la langue. Le professeur Dourari met en relief les problématiques qui empêchent, pour le moment, l'officialisation de tamazight : «Il y un problème relatif à l'aspect politique. Depuis l'indépendance, il n'y a pas eu de pluralisme linguistique. C'est le monolinguisme qui a dominé. Mais aujourd'hui, les Algériens n'ont plus peur de revendiquer la langue de leurs ancêtres.» Le directeur du CNPLET rappelle que concernant le tamazight, il y a plusieurs variétés. De ce fait, ajoute le professeur, dans un processus d'officialisation, «il faut tenir compte de plusieurs aspects qui restent à surmonter, à savoir la question du métalangage, de la néologie, la polymonie, de la polygraphie, les normes orthographiques et la question dictionnirique». Pour le Pr Dourari, «toutes ces questions sont à résoudre dans le cadre d'une académie scientifique et morale, qui jouit d'une indépendance. C'est ainsi qu'il deviendra possible de parler d'officialisation de tamazight». Le Pr Dourari observe, par ailleurs, que «tamazight enseigné dans les écoles est une langue hybride qui ne répond à aucune norme». De son côté, l'éditeur Lazhari Labter rappelle «l'ancestralité de tamazight». «Langue des origines d'un peuple dont l'histoire plonge ses racines dans la nuit des temps, le tamazight, objet de déni et de tentative d'annihilation de la part des nationalistes baâthiste,s doit retrouver sa place et devenir une langue officielle en plus d'être nationale aux côtés de l'arabe», indique-t-il. Et d'ajouter : «Pour assurer sa promotion, elle doit être enseignée dans toutes les écoles algériennes comme deuxième langue obligatoire.» M. Labter appuie la revendication du professeur Dourari. «Une académie de la langue amazighe dotée des moyens financiers et humains nécessaires doit assurer sa promotion dans tous les domaines des arts et des lettres. Les Algériens ne seront apaisés que le jour où cette partie tronquée de leur identité, de leur culture et de leur histoire leur sera restitué», estime-t-il. Perpétuer les traditions L'écrivain et chercheur universitaire en patrimoine culturel immatériel amazigh, Rachid Oulebsir, indique à El Watan que «la constitutionnalisation de la langue amazighe comme langue nationale a été arrachée au prix fort. Une répression aveugle de la région de Kabylie qui s'est soldée par 128 jeunes assassinés par les forces de répression lors du printemps noir de 2001. Les traumatismes sont encore vivaces. Nous ne voulons pas de la voie de la violence. Cela prendra le temps nécessaire. Mais dans le cadre de l'Etat et avec le pouvoir actuel, je ne me fais pas d'illusion. Les luttes culturelles consistent en l'entretien de la revendication de façon régulière à travers une batterie d'actions de résistance». M. Oulebsir préconise de «continuer le combat multiforme dans l'espace et le temps. Elargir l'espace de la revendication à des segments jusque-là inconnus, tels que les cinq dimensions du patrimoine culturel immatériel définies par la Convention de sauvegarde de l'Unesco de 2003. Remobiliser sans cesse la militance ordinaire dans le mouvement associatif et travailler par la production à imposer tamazigh sur le terrain». Pour le chercheur, «parler et écrire tamazight est un acte citoyen de résistance culturelle». «Réhabiliter sans cesse le tissu culturel, retisser le lien socioculturel entre toutes les régions amazighophones, célébrer les rituels, sauvegarder les savoir-faire, nourrir les traditions, alimenter la langue comme vecteur principal de transmission de la culture et de l'identité. Retisser en permanence le lien entre l'université et la société amazighophone», sont pour notre interlocuteur des exemples pour la préservation de tamazight. Il ajoute que «le combat politique pour l'avènement d'un Etat de droit qui consacre toutes les libertés va de pair avec la résistance culturelle à l'usure, la perte des repères et l'entropie identitaire». M. Oulebsir constate qu'«on ne peut espérer officialiser tamazight sous une dictature. Il nous importe donc de capitaliser les avancées politiques pour l'avènement d'un Etat de droit où l'officialisation de tamazight deviendra un problème technique et non plus politique. Il est nécessaire, de nos jours, de faire un état des lieux des acquis et des pertes de la culture amazighe à l'échelle régionale. Un inventaire des domaines où la sauvegarde est encore possible permettra aux associations d'établir des objectifs mesurables et des échelles d'évaluation de leurs actions. A ce jour, nous n'avons pas réussi, par manque de moyen et surtout pour des raisons de divisions des chapelles politiques, à faire un état des lieux de notre patrimoine immatériel, savoir ce qui nous reste des valeurs des ancêtres et organiser la sauvegarde de notre identité, son actualisation et sa modernisation. Le combat est multiforme, il faut redonner de la fierté pour le citoyen qui se revendique de notre civilisation amazighe. L'un des espaces privilégiés demeure l'école».