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Ghaleb bencheikh (theologien)
Publié dans El Watan le 21 - 09 - 2004

La charia s'oppose-t-elle au fait que la femme soit un être majeur ?
L'appellation charia en tant que telle ne veut rien dire d'autre que loi. C'est simplement une législation qui se trouve, en l'occurrence, et notamment chez les islamistes, considérée comme une codification d'inspiration coranique. Cette législation n'a pris corps que quasiment 92 ans après la mort du Prophète, et c'est avant tout une œuvre humaine. C'est une ineptie inacceptable et intolérable que de justifier le maintien de la femme dans un statut de mineure par la charia islamique. Un mensonge et une atteinte gravissime à la dignité humaine dans sa composante féminine. Non seulement rien dans le Coran ne s'oppose à des réformes, mais plus encore, c'est l'esprit du Coran qui nous pousse à la réactualisiation, à la réforme de la loi islamique pour qu'il demeure valable sous tous les cieux, toutes les latitudes et pour tous les temps, sinon on le fige. S'il devait y avoir une quelconque minorité de la femme, il n'y aurait pas eu un discours divin s'adressant au duel, à l'homme et à la femme, sur les considérations de l'observance liturgique. On pourrait plutôt parler de ce que d'autans présentent comme une prééminence de l'homme sur la femme. Ce sont trois ou quatre dispositions qui, encore une fois, sont frappées de caducité, sont tombées en désuétude et les raisons qui ont fait que cela ait été énoncé ainsi ne sont plus valables. Pour l'époque, c'est-à-dire le VIIe siècle dans la péninsule arabique, cela pouvait être compris comme un progrès spectaculaire.
De quoi s'agit-il ?
Il s'agit globalement de l'héritage, du témoignage et de la tétragamie ou de la polygamie. En matière d'héritage, la fille hérite d'une demi part alors que le garçon reçoit une part entière. C'était l'époque où la femme faisait partie du butin, du patrimoine allégué. Non seulement elle n'était pas héritière mais en plus elle était un bien transmissible. Faire passer un individu qui était objet à sujet capable d'hériter, pour l'époque c'était un progrès spectaculaire que nulle autre civilisation n'avait donné. La part de la fille, qui jouissait d'une autonomie financière, pouvait être augmentée de ce qu'on appelait le douaire. Cet argument aujourd'hui tombe, puisque l'épouse et l'époux tous deux, ensemble, subviennent aux besoins du foyer, et une législation positive, respectueuse de l'esprit d'équité entre les deux époux fera en sorte qu'on n'ait plus à tenir compte du contexte du VIIe siècle. Pour ce qui est de la polygamie ou de la tétragamie, il est dit dans le Coran «Dans le cadre de la prise en charge des veuves et des orphelines, il vous est possible d'épouser parmi celles qui vous plairont une, deux, trois ou quatre épouses à condition que vous soyez équitable et comme vous ne pourrez être équitable, alors une seule épouse vous est meilleure.» C'est la conduite la plus proche de justice. Un peu plus loin il est dit «mais Dieu n'a pas placé deux cœurs dans la poitrine de l'homme, vous ne pourrez être équitables envers vos épouses, même si tel était votre désir le plus ardent».
Autrement dit c'est dissuasif ?
C'est même une invitation claire à la stricte monogamie. Le Coran ne se découpe pas, il se lit de manière globale. En cas de témoignage, on nous dit qu'il faut deux femmes pour un homme. C'est faux, ce n'est pas dans tous les cas. C'est simplement dans les cas de contrat de vente et de négociation entre caravaniers que le verset a été révélé, parce qu'à l'époque les femmes étaient exclues de ce type de contrats. C'était un progrès spectaculaire et pour quelque société que ce fût ce n'était pas possible à l'époque. Il y a des passages dans le Coran dont la portée sociale est tombée en désuétude par elle-même. Il faut que l'on cesse de vouloir la réactualiser à chaque instant, c'est fait par une mauvaise foi manifeste et par une méconnaissance gravissime du sujet lui-même. Je ne comprends pas pourquoi les choix sélectifs des islamistes.
Les islamistes, opposés à la réforme du code de la famille, ont avancé que la tutelle matrimoniale est consacrée par la parole divine ? Y a-t-il des dispositions dans le Coran, les hadiths, la sunna qui déterminent cela ?
Dans un Etat démocratique, dans un Etat qui se respecte, les députés, qui sont l'émanation de la volonté populaire, n'ont pas à se référer à un quelconque discours sacralisé, divinisé, ils ont ensemble à voir ce qui est le mieux pour gérer la Cité et ce qui est le mieux dans une législation qui soit positive, comme cela a été à travers les siècles, pour pouvoir répondre aux exigences de notre temps. Dans la société patriarcale, sémite, de la péninsule arabique, on demandait à la jeune fille son avis, cela relevait d'un contexte social. La femme déjà mariée, devenue veuve ou divorcée n'avait besoin de personne pour parler en son nom.
Une femme majeure peut donc très bien se marier sans tuteur ?
Ce n'est antinomique ni avec l'esprit ni avec la lettre du Coran. Ce pourrait être antinomique avec la lettre de ce qu'ont compris certains messieurs misogynes, sexistes et machos à travers les siècles. A ma connaissance il n'y a pas dans le Coran de manière aussi nette, aussi tranchée, une mise sous tutelle de la femme. De par la Constitution algérienne, une femme peut postuler à la magistrature suprême. Comment un individu qui est chef des armées, qui est à la tête de l'Etat, qui engage et incarne la nation, puisse être, en cas de considération privée, sous la tutelle d'un autre citoyen ?
C'est donc une question d'interprétation ?
Raison de plus pour que nous nous arrogions le droit d'interpréter. Aucune des quatre grandes écoles de l'Islam, et même les autres, n'ont engagé les musulmans de leur époque pour des siècles ultérieurs. L'appréciation du droit était différente d'une société à l'autre, a fortiori quand il s'agit d'une distance de plusieurs siècles. On ne peut pas en 2004 accepter les archaïsmes d'une interprétation éculée. C'est contraire aux fondements de la civilisation et du progrès universels et ce n'est pas antinomique avec le fait d'être musulman.
Sur quoi ceux qui s'opposent à la réforme du statut de la femme et du code de la famille en Algérie fondent-ils leurs arguments quand ils invoquent l'Islam, quand ils disent que cette réforme porte atteinte à l'harmonie familiale ?
Il y a une extraordinaire erreur au départ, celle de considérer que l'Islam est un tout monolithique. Le fait de dire «ceci n'est pas conforme à l'Islam» est déjà en soi problématique. De quel Islam s'agit-il ? Il nous incombe d'ouvrir tout un chantier de réinterprétation. Il incombe aussi bien à l'épouse qu'à l'époux la responsabilité de l'éducation des enfants, comme il leur incombe d'investir le champ social extérieur au foyer, ensemble de manière égale. C'est cela l'harmonie familiale.
L'obéissance d'une épouse à son époux n'a rien d'une obligation religieuse ?
Nous devrions plutôt parler d'amour et d'entente au sein du couple que d'une relation de dominant à dominé. Obéir à quoi ? Si c'est pour les choses de la vie quotidienne cela doit se faire par le dialogue et la concertation. Et cette harmonie chère aux islamistes ne saurait se réaliser dans une relation de coercition et de domination. La Tunisie, pays musulman, a codifié l'égalité entre l'homme et la femme au sein de la famille. Le Maroc s'engage à réformer la Moudawana. L'Islam ne semble pas poser à nos voisins de problèmes. Cela montre encore une fois que la charia islamique est sujette à des interprétations humaines. L'unique jauge à l'aune de laquelle on mesure le progrès ou la régression d'une nation, c'est ce qu'elle fait de ses citoyens et citoyennes. Les écoles de la réforme du temps de Ben Badis n'ont jamais demandé, y compris Ben Badis lui-même, aux filles de se voiler. Aujourd'hui on revient à un uniforme, qui n'a pas de fondement théologique, coranique.
Le voile n'est pas une prescription religieuse ?
Le voile n'est pas une innovation coranique et dans la religion musulmane, il est simplement une recommandation à la pudeur. Certains versets du Coran doivent être compris comme une jurisprudence pour une société tribale. La visée qu'il y a dans l'interprétation c'est celle de la pudeur, de l'acquisition du savoir, de la culture et de la vertu, ce n'est pas le fait de tenir mordicus au voile en tant que tel. En plus ce n'est pas une obligation immuable et inamovible comme les cinq piliers.
L'Islam est dans les pays musulmans religion d'Etat…
L'Etat n'a pas à être doté d'une religion, l'Etat doit être le garant du libre exercice des cultes.
C'est tout le débat sur la laïcité et la séparation de l'Etat et de la religion.
Des trois traditions religieuses dites monothéistes, celle qui s'adapte le mieux à l'espace et à l'idéal laïques, c'est bien l'Islam. Seulement, il y a un paradoxe. La tradition musulmane n'a pas de structure cléricale et d'autorité centrale, de caste sacerdotale. Le califat est une innovation, il n'a pas de valeur religieuse. La tradition islamique est une tradition on ne peut plus laïque au sens étymologique et au sens théologique. Simplement parce que nous n'avons pas d'église nous n'arrivons pas à séparer les deux pouvoirs. C'est pour cela qu'il faut quelques institutions laïques mais qui soient indépendantes du pouvoir en place. Les deux slogans qui prétendent que l'Islam c'est la solution, et que l'Islam est religion et Etat sont malhonnêtes et non fondés théologiquement. Ni dans le Coran, ni dans les hadiths du Prophète, ni chez les fouqahas l'Islam est dinn oua dawla.» Ce slogan est très récent, il remonte à Hassan el Bana et d'autres. Le mot dawla en tant que tel n'est pas coranique. En arabe, il ne veut rien dire d'autre, dans son sens étymologique, qu'alternance, et dans son sens politique, dynastie. On pourrait nous avancer que dans le Coran on ne trouve pas de mention de séparation de l'église et de l'Etat et on ne trouve pas l'équivalent du denier de César. C'est une question d'interprétation. Nous n'avons nulle part, ni dans le Coran ni dans la Sunna la moindre allusion faite à la collusion entre les deux ordres, temporel et spirituel. Le Prophète lui-même n'était pas chef d'Etat comme certains le disent. On avait affaire à un arbitre, à un médiateur, à un juge, à un référent moral et spirituel et temporel, pour cette époque là et pour cette communauté-là.


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